Les « bouseux » prennent leur avenir en main

Publié le 10.12.2011| Mis à jour le 08.12.2021

Alors que le monde rural représente plus des deux tiers de la population totale des Philippines, le manque de politique agricole gouvernementale depuis plus de trente ans et l’ouverture des marchés entraînent la paupérisation d’un nombre croissant de petits exploitants, paysans ou pêcheurs, qui se retrouvent aujourd’hui de plus en plus marginalisés, voire abandonnés. Une situation que refuse l’IRDF*, partenaire du CCFD-Terre Solidaire.


À près de soixante ans, Lucado, paysan, fils et petit-fils de paysans, sait de quoi il parle. « Lorsque l’on utilise des fertilisants chimiques, cela “booste” la plante, mais ça attire aussi des insectes, explique-t-il. Car les feuilles et les tiges restent très tendres. Avec une fertilisation organique, c’est toute la plante qui est renforcée. » Autre atout, et non des moindres, selon lui, de ce dernier procédé : « Auparavant, je vendais mon sac de riz “chimique” de 50 kg 1 800 pesos (30 euros). Maintenant, je peux obtenir jusqu’à 3 000 pesos (50 euros) pour un sac de riz “bio”. »
Si ce riziculteur est aujourd’hui un fervent défenseur de l’agriculture raisonnée, cela n’a pas été toujours le cas. « Avant, nous utilisions tous des intrants chimiques. Cela a commencé du temps de Marcos, dans les années 1970, lorsqu’il y a eu la Révolution verte. Et c’est vrai que nos productions ont alors augmenté d’un coup », se souvient-il.
Le miracle se transformera cependant rapidement en dépendance. « Au début, nous n’avions besoin que d’un ou deux sacs de fertilisants. Puis, il a fallu en acheter de plus en plus et les coûts de production ont augmenté d’autant alors que les prix à la vente, eux, ne progressaient pas. » Sans oublier les dangers pour la santé que faisait courir le « tout chimique » : « Des paysans sont morts de cancers du sang, d’autres souffrent d’hypertension, de maladies de peau, de problèmes respiratoires » témoigne Lucado. « Et puis il y a la pollution de l’environnement, notamment celle de l’eau. »
Ce changement radical dans ses pratiques agricoles, Lucado l’entrepris il y a tout juste deux ans. Après avoir participé à un séminaire proposé par l’IRDF, une ONG locale de développement partenaire du CCFD-Terre Solidaire (voir encadré), présente depuis une dizaine d’années dans la province de Sorsogon, située à l’extrême sud de l’île de Luzon. L’une des régions les plus pauvres des Philippines.

Un dynamisme rural très varié

« Ici, les paysans n’ont que de petites parcelles et tout se fait encore à l’ancienne, sans moyens technologiques dignes de ce nom. Résultat : ils ne sont plus compétitifs », déplore Alex, responsable des activités de l’IRDF pour la province. « Notre but est d’aider ces petits exploitants à passer d’une monoculture exclusivement orientée vers la vente – qui ne les nourrit plus – à une agriculture intégrée et respectueuse de l’environnement, qui leur permet, en consacrant un bout de leur terrain à un potager, à l’élevage de quelques poules et d’un cochon, de se nourrir et d’améliorer sensiblement leurs revenus. »
Les agriculteurs de Sorsogon ne sont pas les seuls à profiter des conseils et des programmes de l’IRDF. Par des formations spécialisées, qui vont de la comptabilité au marketing ou le « contrôle qualité » l’ONG vient aussi en aide aux femmes. En leur fournissant un petit capital de départ, la fondation offre à des mères de famille la possibilité de se lancer dans des microentreprises artisanales. Sacs ou chapeaux en fibres d’abaca, briques, bijoux fabriqués à partir de noix de pili. Une noix dont les graines, comestibles, peuvent aussi être transformées en confiture, bonbons, gâteau, huile… Autant d’activités qui peuvent rapporter une moyenne de 150 pesos (environ 2,30 euros) par jour. Ce qui est loin d’être négligeable pour des familles où cela représente parfois l’unique salaire.
Ici, c’est un village de petits pêcheurs accroché à la baie de Sorsogon qui, depuis dix ans, travaille de concert avec l’ONG à la plantation et l’entretien d’une mangrove. Dans cette zone saturée de bateaux, où le poisson se fait de plus en plus rare, la mangrove représente aujourd’hui un repaire privilégié pour les crevettes, crabes et autres coquillages. De quoi arrondir les maigres ressources, entre 0 et 300 pesos par jour, selon la capture, que procure une pêche pratiquée encore de manière artisanale.
Plus loin, c’est toute une communauté villageoise regroupant associations de paysans et de pêcheurs, groupe de femmes et élus locaux, qu’il faut soutenir dans leur action contre une compagnie philippine de production d’énergie géothermique implantée dans le voisinage. La raison de leur colère ? Les « boues rouges » rejetées dans la baie et qui empoisonnent les coquillages. Ce qui n’est bon ni pour la santé, ni pour le porte-monnaie de ces populations, qui perdent là une part de leurs ressources, alimentaires et financières. « Le problème est que cette compagnie appartient à la famille Lopez, l’une des vingt-quatre familles qui contrôlent le pays. Des amis d’Aquino », prévient Mike, un pêcheur à la langue bien pendue.
Études, relais de l’information, forums, capacité organisationnelle, conseils juridiques et légaux, l’IRDF apporte sa pierre à un combat d’autant plus difficile qu’il n’y a pas si longtemps que cela, « le simple fait de revendiquer pouvait suffire à vous jeter en prison. Voire pire », rappelle-t-il. Lui qui n’a pas oublié les exactions commises dans la région du temps de l’ancienne présidente, Gloria Macagapal-Arroyo.
« Il n’y a que pendant les élections que les politiciens nous aiment bien. Quand ils débarquent dans les villages avec leurs affiches et leurs slogans pour nous dire qu’ils sont avec nous et nous soutiennent. Le reste du temps, ils n’ont rien à foutre de nous », résume de son côté Antonio, un fermier d’une quarantaine d’années. « Vous savez comment ils nous appellent quand on va à Manille pour essayer de trouver un boulot entre deux récoltes ? Les “bouseux” ! »
Des « bouseux » qui ont pourtant compris, grâce, notamment, à l’action d’organisations comme l’IRDF, qu’ils pouvaient relever la tête et que, pour se défendre et faire valoir leur droit à une vie décente, ils se devaient de prendre leur avenir en main. Une première victoire.

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