Thaïlande/Bienvenue chez les migrants birmans

Publié le 15.12.2013

Vingt-deux bénévoles du CCFD-Terre Solidaire partis des régions du nord et nord-est de la France pour un voyage d’immersion, se sont rendus, cet été, en Thaïlande, à la rencontre des migrants birmans. À leur retour, ils témoignent des conditions de vie de ces populations et du travail remarquable accompli, dans des conditions difficiles, par des associations partenaires, sur place.


Les autorités thaïlandaises enregistrent officiellement 1,5 million de migrants birmans dans le royaume. Selon les ONGs, ils seraient plus de trois millions. Partis à leur rencontre en août, vingt-deux bénévoles du CCFD-Terre Solidaire se sont immergés parmi eux. Ils relatent les situations et aussi les témoignages qui les ont marqués. Comme dans ce village de montagne, perdu à plus de deux heures de route de Chiang Maï, dans le nord du pays qui abrite une centaine de familles issues de différentes minorités ethniques peuplant l’État kachin, au nord de la Birmanie. Fuyant les atrocités de la guerre qui ravage leur région (voir FDM 271), la plupart des habitants sont arrivés là quasiment sans ressources.

Sans papiers, ils sont dans l’impossibilité de quitter ce bout de terre inhospitalier où ils vivent sans eau durant la saison sèche (la moitié de l’année) et où, faute de moyens, l’école est fermée. Les maigres récoltes de riz ou de maïs, recueillies lors de la saison des pluies, suffi sent à peine. « On leur a permis de s’installer et après, plus personne ne s’occupe d’eux. Ils sont bloqués là », s’insurge Anne-Lise, l’une des participantes au voyage. Certes, l’Association des femmes kachins de Thaïlande (Kwat), partenaire du CCFD-Terre Solidaire, leur apporte un peu d’aide. Elle travaille surtout en Birmanie en appui aux populations kachins*.

Exploités par les employeurs thaïlandais

Au nord-ouest de la Thaïlande, Mae Sot offre une image bien différente. Bordée par la rivière Moï qui fait frontière avec la Birmanie, la ville a des allures de bourgade birmane. Les Birmans y constituent plus de 60 % de la population locale. Agriculture, services, restauration et hôtellerie, ateliers de confection… on les retrouve dans tous les secteurs d’activités. Leur exploitation par les employeurs thaïlandais semble être la règle. Horaires à rallonge, salaire atteignant rarement le minimum local, fixé à 300 bahts par jour (environ 7 euros), sécurité sociale inexistante, conditions de sécurité aléatoires… Certains accusent même leurs patrons de « mettre des amphétamines dans les boissons afin de combattre la fatigue, et augmenter les cadences ».

Des conditions contre lesquelles se bat depuis plusieurs années le Programme assistance migrants (Map), une ONG locale partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Le Map dispense des formations sur la santé, le droit des travailleurs et celui des femmes ; des thèmes sur lesquels il réalise un travail de sensibilisation grâce, notamment, à deux émetteurs de radio, à Chiang Maï et à Mae Sot. Programmes religieux ou culturels, cours de langue ou relais d’émissions de Radio Free Asia ou Voice of America, les deux antennes de Map Radio, gérées par des migrants pour les migrants, permettent de toucher un très large public, souvent inaccessible autrement.

Quelques heures après leur visite dans les studios de Mae Sot, les bénévoles immergés venant du nord de la France le vérifieront. Ces « Français entendus à la radio » seront accueillis à bras ouverts par une petite communauté birmane installée dans une décharge à ciel ouvert des environs. L’occasion pour eux de découvrir, de l’intérieur, la vie de ces femmes et hommes qui n’ont, pour tout horizon, qu’un amas de détritus d’où ils extraient métaux, plastique et papiers qu’ils revendront pour être recyclés, pour un prix dérisoire. Un moment « très fort » pour Alain, qui se dit « marqué par les déclarations d’un migrant avouant qu’il était mieux dans cette décharge qu’en Birmanie ».

Dans le sud de la Thaïlande, au nord de Phuket, la Fondation pour l’éducation et le développement (Fed), partenaire du CCFD-Terre Solidaire, est sur tous les fronts : centres d’accueil temporaire, création d’écoles pour les enfants migrants, consultations médicales, autonomisation des femmes, défense des droits des travailleurs et formations en tout genre.

Ses interventions multiples touchent aujourd’hui plusieurs milliers de familles birmanes : une population employée notamment dans les plantations d’hévéas, la construction, le tourisme. Mais aussi dans les secteurs liés aux activités de la pêche et de son industrie, comme l’élevage de crevettes (produit phare de l’exportation thaïlandaise), conditionnées dans des usines de transformation locales peu respectueuses des droits des travailleurs. « Des crevettes qui finissent dans nos assiettes », remarque Nicolas, l’un des bénévoles immergés. « On peut mesurer là concrètement l’impact de nos choix de consommation sur ces populations. Il y a un lien évident. »

Plus grave, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), dans le secteur de la pêche, un tiers des migrants embarqués sur les bateaux de pêche thaïlandais auraient été « trompés quant à leur emploi », un sur six le serait « contre son gré ».

Travail forcé et traite

Un véritable « esclavage » pour l’organisation internationale Walk Free Foundation qui, en octobre, estimait qu’une « proportion significative des quelque 200 000 migrants employés dans l’industrie de la pêche thaïlandaise était victime de travail forcé et de la traite d’êtres humains ». Cette industrie ne serait d’ailleurs pas la seule à recourir à de telles méthodes. L’agroalimentaire, les emplois domestiques seraient également concernés.

La lutte contre la traite des êtres humains, l’Association des Birmans en Thaïlande (Mat), basée dans le sud de Bangkok, en a fait sa spécialité. « En 2012, nous avons pu sauver 292 migrants vendus par des intermédiaires et faire arrêter 18 passeurs », révèle Kyaw Thaung, son directeur. « Et, en 2013 [ndlr : jusqu’au mois d’août], nous sommes intervenus dans 32 cas de traite d’humains et avons secouru 178 travailleurs, ce qui a conduit à l’arrestation de 25 personnes impliquées dans ces trafics. » Une goutte d’eau face à l’ampleur du phénomène. « Les victimes sont des milliers et nous ne disposons que d’une équipe de 8 personnes », regrette-t-il.

D’autant que la marche à suivre n’est pas simple. La procédure est longue, complexe et risquée. Comme lorsque le propriétaire d’une usine est un… « trois étoiles » de la police thaïlandaise ! « Il y a eu une fuite et j’ai dû m’enfuir avec un autre membre de l’équipe. Des tueurs avaient été envoyés pour nous liquider », assène Kyaw Thaung. Un danger qui fait désormais partie de son quotidien. « Je reçois régulièrement des menaces par téléphone, il y a des gars en moto qui vérifient si je suis là. Je suis parfois suivi», continue-t-il. « Il ne me reste aujourd’hui que trois options possibles : retourner en Birmanie, continuer ici, ou être tué. »

Une rencontre qui marquera tous les bénévoles immergés. « Je ne mesurais pas le degré de violence qui entoure ce trafic », avoue Nicolas. «Ce gars risque sa vie tous les jours ! »

Témoigner des réalités vécues par les migrants

De quoi motiver encore davantage les participants à cette immersion qui rapporteront leur expérience auprès de leurs équipes locales, mais aussi dans des écoles ou à l’invitation d’associations. « Cela va être difficile », reconnaît Alain. « Il y a un tel décalage entre les préoccupations des gens ici et les préoccupations des gens de là-bas », explique-t-il. «L’essentiel maintenant est de témoigner de la réalité de ce que vivent ces migrants mais aussi de la volonté, de la ténacité, de l’engagement des ONGs qui agissent localement. »

Un soutien nécessaire. Htoo Chit, fondateur de la Fed, estime en effet que ce mouvement migratoire vers la Thaïlande est loin de se ralentir. « Avec les changements qui ont lieu en Birmanie, nous nous attendions à ce qu’un certain nombre de migrants rentrent chez eux », reconnaît-il. « Il n’en est rien. C’est même le contraire qui se passe. » En effet, le développement en Birmanie se fait sur le dos des plus pauvres. « De nombreuses terres ont été confisquées par le régime birman et ses “petits copains”. Dépossédés de leurs champs, les fermiers migrent vers les grandes villes, puis vers la Thaïlande », explique-t-il. En outre, le gouvernement thaïlandais et surtout les entrepreneurs locaux ont conscience de l’importance de ces travailleurs pour l’économie et auraient bien du mal à se passer d’eux aujourd’hui, « ce qui les rend de plus en plus conciliants », se réjouit-il. Résultat : « Chaque jour, de nouveaux migrants continuent d’arriver. Et ils sont contents d’être là », constate Htoo Chit. « Malgré les mauvaises conditions de travail ou le manque de sécurité. »

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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