Une relation inégalitaire

Publié le 03.04.2006| Mis à jour le 08.12.2021

Riche d’une expérience professionnelle de six ans dans le tourisme au Maroc, Françoise El Alaoui est l’auteur d’un mémoire de recherche sur le tourisme équitable, effectué dans le cadre d’un Master de Management du Tourisme.

Comment expliquez-vous que les pays d’accueil profitent si peu des bénéfices générés par le tourisme mondial ?

D’abord une petite précision : en dépit de tous ses méfaits, le tourisme est un facteur d’enrichissement pour les pays d’accueil. C’est une industrie unique qui implique un nombre considérable de secteurs. Les médecins, par exemple, sont plus sollicités dans une zone touristique, alors que leur activité est à priori indépendante du tourisme. Toutefois, cette industrie exige des infrastructures – aéroports, réseau routier, adduction d’eau, équipements sanitaires … – sans lesquelles le tourisme est inimaginable. Certes dans la plupart des cas, la population locale en profite aussi. Mais pas toujours. Les Etats investissent donc dans des infrastructures qui bien souvent sont construites par des sociétés étrangères , avec des matériaux étrangers payés en devises. Les pays du Sud ne rentrent pas dans leurs fonds, tandis que les pays occidentaux s’enrichissent encore un peu plus, bénéficiant des contrats et des intérêts sur des emprunts contractés auprès de leurs banques. Même chose pour les complexes touristiques. Les Tours Opérateurs (TO) obtiennent des conditions très avantageuses sur le plan foncier et fiscal. Dans les hôtels de luxe, absolument tout est importé : de la literie à la petite cuillère, en passant par la viande servie au restaurant. Sans compter le personnel dirigeant. Bien sûr, le personnel local formé correctement est rare. Mais le transfert de compétences n’est pas non plus la priorité des TO. Economiquement c’est un problème, et sur le plan social, ça entraîne d’énormes frustrations. Le pire ce sont les formules où tout est compris au départ. Ce n’est plus 60 mais plutôt 90 % du montant du forfait qui retombe alors entre leurs mains des TO, puisque ces derniers gèrent directement l’ensemble des prestations vendues au touriste. Finalement l’industrie du tourisme est une forme de colonialisme moderne.

Qu’est-ce qui vous choque le plus dans le tourisme de masse ?

L’indifférence totale de la plupart des touristes vis à vis de la culture et des conditions de vie de leurs hôtes. Ils ont payé, ils considèrent donc leurs vacances passées en terre étrangère est un du. Ce type de comportement se retrouve aussi dans le tourisme d’élite. Or lorsqu’on propose la semaine en Tunisie à 150 euros, à peine davantage qu’une journée à Dysney Land, cela se fait forcément sur le dos de quelqu’un. Se demandent-ils si les femmes « girafes » qu’on peut photographier telles des animaux dans un zoo, sont consentantes ? Pourtant la Birmanie est une des pires dictatures au monde. Savent-ils que des régions entières sont vidées de leur population initiale pour laisser place à des complexes touristiques ? Ce fut le cas à Hawaï, aux Philippines, aux Antilles… Enlevées à leurs terres ancestrales , de nombreuses tribus indigènes ont été privées de leurs ressources vivrières. Le Maroc a déclaré six grandes zones d’intérêt prioritaire pour le développement touristique. Cela entraîne nécessairement des déplacements forcés de population car dans les pays peu ou pas démocratiques, les gens n’ont même pas idée qu’ils pourraient se rebiffer. Parfois c’est de bonne foi que les touristes ont des comportements irresponsables. Prenez l’exemple de la mendicité infantile. Combien de familles j’ai vu éclater parce que l’enfant récoltait une journée ce que son père gagnait pour une semaine de travail ! Il suffirait souvent que les touristes se posent quelques questions pour éviter le pire.

Quelles ont été les étapes déterminantes dans la promotion d’un autre tourisme ?

La remise en question du tourisme de masse apparaît en même temps que son essor – c’est à dire dans les années 1970 – et donne lieu à quelques initiatives alternatives. Notamment en Casamance où s’est créé des campements destinés à ” associer les populations rurales aux activités touristiques sans déséquilibrer leur environnement socioculturel”. Toutefois, ce sont les églises, avec la Coalition Œcuménique sur le Tourisme du Tiers-Monde (ECTWT ), qui jetteront le premier pavé dans la mare. Réunies à Bangkok en 1982 pour analyser les effets du tourisme au Sud, elles dénoncent le terrible accroissement de la prostitution infantile en Asie. Leur mobilisation donne lieu, huit ans plus tard à la campagne internationale, ECPAT, devenue depuis une association. Mais si l’exploitation sexuelle des enfants fait le consensus dans l’indignation, il reste difficile de convaincre les gens sur les autres méfaits du tourisme de masse. Ce n’est pas désespéré pour autant. Le concept de « Tourisme équitable » commence à se populariser, en partie grâce à la notoriété croissance des valeurs défendues par le « commerce équitable » mais aussi parce que sur la plan de la communication, le terme « équitable » renvoie directement à la notion de justice alors que des appellations telles que tourisme « responsable », « éthique » ou « durable » sont plus difficilement déchiffrables. Par ailleurs, Le Code Mondial d’Ethique du Tourisme est une avancée . Il a été adopté en 2000 par l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) qui fait aujourd’hui partie intégrante de l’ONU. L’OMT représente essentiellement les Tours Opérateurs et le texte se soucie davantage de protéger les touristes que de préserver les intérêts des populations locales. Mais il a comme tous les grands textes internationaux une vertu incitative et le mérite d’envisager le tourisme sous l’angle de l’éthique. Enfin le projet « Global Reporting Initiative » de l’ONU peut-être très porteur . Chaque secteur, pas seulement le tourisme, est invité à définir des indicateurs permettant d’évaluer son activité en terme de développement durable. Jusqu’à présent ,seuls les TO ont produit des indicateurs. Mais si les ONG et les populations locales s’y mettaient, ça permettrait de comparer les pratiques touristiques selon des critères vraiment pertinents.

De quelles dérives le tourisme alternatif est-il porteur ?

D’abord ça reste du tourisme. Aussi respectueuses que soient les personnes qui s’y adonnent, elles finissent par repartir, tandis que l’Africain ou l’Asiatique qui les a accueillies continue à se battre avec les difficultés inhérentes aux pays en voie de développement. La relation reste donc profondément inégalitaire. Par ailleurs, il y a encore trop peu d’initiatives réellement conçues et portées par les populations locales. Cela pose la question de l’adéquation de ces projets aux besoins réels des communautés. Enfin le concept peut facilement être récupéré au profit d’une simple opération de marketing. D’ailleurs les plus grands Tours Opérateurs se vantent aujourd’hui de faire du tourisme durable. On a vu comme ils se sont précipités pour participer à l’opération « Tourism for Développement » de Mustapha El Gendy. La dite opération consistant à céder un $ à une association de développement pour chaque nuitée dans un hôtel, sans questionner un seul instant le comportement des touristes ou le fonctionnement de l’industrie touristique. C’est pourquoi il est tellement important qu’associations et TO s’assoient à la même table pour faire le point sur le concept.

Qu’en est-il en France ?

Les Italiens et les Anglais plus pragmatiques ont su le faire. En France malheureusement, on reste beaucoup dans l’idéologie. Deux grands acteurs se partagent le terrain : l’UNAT (Union Nationale des Associations de Tourisme) qui réunit les associations de tourisme social et le réseau ATR (Agir pour un Tourisme Responsable) qui regroupe des T.O. orientés “Ecotourisme” et/ou “tourisme d’aventure”. Associations à but non lucratif et entreprises ont beaucoup de mal à dialoguer. La dispersion des efforts et des initiatives n’aide pas du tout la cause du Tourisme alternatif et donne une image brouillée de ce concept dans notre pays. D’autant que la notion de « tourisme solidaire » promue par l’UNAT – autrement dit le fait de contribuer à un projet de développement par son voyage – tend à éclipser celle de « tourisme équitable ». C’est dommage parce que réducteur. Il faut absolument insister sur la responsabilité des parties : touristes, TO… Par ailleurs si ces deux acteurs se sont munis de chartes éthiques , aucun contrôle extérieur n’en garantit le respect. Cette auto-labellisation pose un vrai problème. Les pouvoirs publics semblent vouloir mettre fin à cette joyeuse anarchie. Les prochains mois seront peut-être porteurs de changement. Je pense pour ma part qu’il est trop ambitieux de labelliser toute une entreprise. Labelliser un produit, comme le fait l’organisme indépendant FTTSA (Fair Trade in Tourism South Africa) m’apparaît plus crédible.
Nous avons aussi quelques raisons d’espérer avec l’entrée sur scène du Réseau Archimède, une plate forme de réflexion qui rassemble des acteurs très divers : professionnels du tourisme, chercheurs, anthropologues, collectivités territoriales …

Le tourisme équitable est-il condamné à n’être qu’un marché de niches ?

Il faut être réaliste. Les multinationales ne sont pas des enfants de cœurs et elles ne sont pas prêtes à renoncer aux revenus du tourisme de masse. Les gouvernements non plus. Après le passage du Tsunami, un haut lieux touristique tel que l’île de Phuket en Thaïlande sera reconstruit à l’identique. Même injustement redistribué, l’argent laissé par les touristes fait vivre des centaines de familles, ce qui ne sera jamais le cas d’un projet alternatif. Sans compter qu’une petite structure associative ne versera pas aux dirigeants corrompus des pots de vin comparables à ceux qu’ils touchent des grands Tours Opérateurs. Ceci étant dit, le tourisme équitable peut s’avérer un complément de revenus précieux pour certaines communautés à condition de ne pas être conçu comme une fin en soi, mais plutôt comme un volet parmi d’autres du développement local. Le concept par ailleurs a une portée pédagogique. Des initiatives, même marginales d’un point de vue macro-économique, peuvent avoir valeur d’exemple et modifier les exigences du plus grand nombre.

Entretien Avril 2006

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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