Positions des associations françaises de solidarité internationale et de protection de l’environnement

Publié le 11.09.2003| Mis à jour le 08.12.2021

C’est peu dire que les associations françaises de solidarité internationale et de protection de l’environnement sont mal à l’aise face au processus de négociation qui se déroule dans le cadre de l’OMC.


La prééminence des mécanismes de marché et du libre-échange de biens, de services et de capitaux sur toute autre préoccupation, qui est l’essence de l’OMC, est portée par chacun des accords qui s’y réfèrent… Et pour éviter toute hésitation ou retour en arrière, s’imposent à la fois une absence d’évaluation des impacts des étapes antérieures de libéralisation et un incroyable principe d’irréversibilité ! L’agenda de Doha n’est pas celui du développement, et encore moins du développement durable.

Les Associations françaises ont d’autant plus de doutes des bienfaits du tout commercial, qu’elles côtoient chaque jour aux quatre coins du monde des familles, des communautés et des peuples entraînés dans des spirales de la pauvreté, qu’elles travaillent dans des territoires en voie de marginalisation et qu’elles observent la dramatique dégradation des ressources naturelles. Il nous est difficile de ne pas lier ces situations concrètes aux évolutions des règles du jeu qui se négocient au niveau international. La moindre des choses serait de reconnaître que tout le monde n’est pas gagnant à ce jeu du libre-échange généralisé !

Nous demandons :

• La reconnaissance de la prééminence des droits universels et des principes de durabilité sur le commerce.

• La réalisation d’évaluations indépendantes et participatives des impacts sociaux et environnementaux des différents accords. En effet, nous voulons savoir : qui gagne et qui perd dans ces processus de libéralisation ? Où et dans quelles conditions ces processus peuvent à la fois développer le commerce international et produire de la richesse, du progrès social et de la préservation environnementale ?

• La reconnaissance d’un devoir de responsabilité sociale et environnementale des acteurs économiques et, en cas de manquement manifeste, la possibilité de sanctionner les acteurs défaillants.

• La délimitation du champ dans lequel doivent se dérouler des négociations commerciales soucieuses aussi bien de la création de richesse, que du progrès social, que de la qualité environnementale.

Nous demandons que la finalité des accords soit bien le développement durable des différentes régions et pays du monde et non la libéralisation du commerce, qui ne peut être qu’un moyen parmi d’autres pour atteindre cette finalité.

Les associations françaises de solidarité internationale et de protection de l’environnement, tirant les leçons de leurs engagements au service de leurs partenaires dans les réalités locales les plus diverses, formulent les propositions suivantes sur les sujets qui seront à l’ordre du jour de la 5ème conférence ministérielle de l’OMC à Cancun :

1.Rendre le fonctionnement de l’OMC plus transparent et plus démocratique

Malgré quelques tentatives d’ouverture, l’OMC reste une organisation peu transparente et dépourvue de contrôle démocratique. L’OMC demeure une organisation à deux vitesses où une minorité d’Etats Membres dicte leurs lois tandis qu’une majorité de pays, dotés d’une expertise et de moyens insuffisants, ont le plus grand mal à participer aux négociations et à affronter la complexité des dossiers négociés et donc à défendre leurs intérêts.

Nous demandons :

• L’égalité de tous les pays dans les négociations et prises de décision à l’OMC.

• L’adaptation du fonctionnement de l’Organe de règlement des différends (ORD) à la situation des pays en développement
L’accès à l’ORD de l’OMC pour les pays en développement doit être facilité par la fourniture d’une assistance juridique. Il convient aussi de revoir le mécanisme de sanction en facilitant son usage pour les pays en développement, ces derniers rencontrant d’énormes difficultés à s’imposer à plus forts qu’eux et obtenir réparations.

• L’instauration d’une plus grande transparence de l’OMC
Au niveau national et européen, les parlementaires doivent être associés à la définition des positions des négociations commerciales.
Il est également nécessaire d’améliorer le dialogue avec les ONG. Celles-ci devraient pouvoir transmettre des propositions écrites ou orales et avoir la possibilité de participer aux réunions de l’OMC.

2.Promouvoir la souveraineté alimentaire

L’alimentation concerne tout le monde, particulièrement les 800 millions de personnes qui souffrent de la faim. La moitié de la population mondiale est engagée dans une activité agricole. Or la concurrence entre les agricultures du Nord et celles du Sud est biaisée en raison d’un écart considérable de compétitivité, écart encore aggravé par des subventions massives accordées par la plupart des pays du Nord à certains de leurs agriculteurs. De plus, la libéralisation favorise l’adoption de modèles productivistes et de pratiques polluantes qui menacent l’environnement et, à terme, la sécurité alimentaire.

Nous demandons :

• L’application du droit à l’alimentation en tant que droit fondamental
Ce droit, déjà inscrit dans le Pacte international des Nations Unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, confère aux Etats concernés et à la communauté internationale tout entière une responsabilité partagée vis-à-vis de la sécurité alimentaire des populations. Les mesures adoptées dans le cadre de l’OMC doivent être systématiquement analysées en prenant en considération le nécessaire respect de ce droit.

• Une reconnaissance du principe de souveraineté alimentaire
Nous soutenons le droit des gouvernements à faire usage d’une « souveraineté alimentaire », synonyme d’un droit à conserver et à développer leurs agricultures nationales ou, s’ils sont engagés dans des unions régionales, leurs agricultures régionales. Nous demandons que s’applique pleinement un « traitement spécial et différencié » pour les pays en développement, et plus particulièrement les pays les moins avancés qui doivent pouvoir mettre en œuvre des politiques nationales et/ou régionales leur permettant de protéger leurs producteurs et leurs consommateurs pauvres.

• La fin du dumping et le droit à la protection
– Il faut d’urgence mettre fin au dumping sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de vente des produits en dessous de leur coût de production, de soutien aux exportations et d’utilisation de l’aide alimentaire hors situations d’urgence, et de respecter le droit à la protection des agricultures du Sud. D’autre part, les pays développés doivent favoriser l’accès des produits agricoles du Sud à leurs marchés dans une démarche de solidarité internationale, c’est-à-dire sur la base de prix rémunérateurs pour toutes les parties et dans le respect de l’intérêt réel de la petite paysannerie des pays en développement. En outre l’ouverture des marchés des pays développés doit être abordée au regard de leur droit à la souveraineté alimentaire pour les produits tempérés faisant l’objet d’échanges internationaux (sucre, oléagineux, céréales, viandes, produits laitiers, etc..). Les pays développés doivent aussi arrêter de surtaxer les produits transformés importés, afin que les pays du Sud puissent conserver une plus grande part de la valeur ajoutée, via le développement des entreprises de transformation.

• La mise en place d’instruments permettant de contrecarrer l’instabilité des marchés agricoles internationaux
Depuis plusieurs décennies, les prix agricoles se caractérisent par une instabilité et une tendance prolongée à la baisse. Aujourd’hui, les prix agricoles pratiqués sur le « marché mondial » n’ont plus aucune signification économique. Ils précipitent les paysanneries dans une paupérisation dramatique et les obligent à adopter des pratiques prédatrices pour l’environnement. Au-delà d’un retour à des pratiques loyales, les négociateurs doivent concevoir et négocier des mécanismes de régulation du marché permettant de maintenir les prix agricoles à un niveau suffisamment rémunérateur.
A titre d’exemple, les associations françaises suivront avec attention les débats engagés autour de la filière coton, production largement subventionnée par les pays producteurs du Nord, et ceux qui concernent la filière café, qui est l’objet d’expériences importantes de commerce équitable. Elles s’efforceront de promouvoir ces expériences et d’extrapoler les leçons que l’on peut en tirer pour rendre le commerce mondial plus équitable.

3.Défendre des droits de propriété intellectuelle plus équitables

L’Accord de l’OMC sur le droit de propriété intellectuelle lié au commerce (ADPIC) offre aux firmes multinationales un système de protection qui se construit le plus souvent, lorsqu’il touche à des biens essentiels, aux dépens des droits et du bien être de la vaste majorité de la communauté internationale. Avec les menaces qui pèsent sur l’accès aux médicaments et sur l’accès aux ressources génétiques, ce sont la santé et l’alimentation d’une grande part de l’humanité qui sont remises en cause. C’est aussi la confiscation de la biodiversité, la spoliation des agriculteurs, la main mise par quelques groupes internationaux sur les semences et les intrants agricoles. C’est enfin la diffusion sans « précaution » des OGM.

Nous demandons :

• La mise en œuvre effective de la déclaration de Doha sur l’accès aux médicaments (accord ADPIC)
La déclaration de Doha reconnaît le droit des membres de l’OMC de protéger la santé publique de leurs citoyens et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments. Pour ce faire, chaque membre a le droit d’accorder des « licences obligatoires » si la situation sanitaire nationale l’exige. Pourtant, cette avancée décisive reste sans portée pratique pour l’immense majorité des pays qui n’ont pas de capacité de production pharmaceutique. Il convient donc, pour ces pays, que soit établie une formule qui leur permette d’importer des médicaments à des prix accessibles.

Pour ce faire, nous proposons plus précisément :
– une interprétation de l’Article 30 de l’ADPIC (sur les exceptions aux droits exclusifs conférés par un brevet) qui permette aux pays du Sud producteurs de génériques d’exporter leurs produits et aux pays non producteurs de les importer
– l’application du principe de non-discrimination entre les pays : les modalités d’exportation/importation de génériques, qui concernent principalement les pays faiblement industrialisés, ne doivent pas être plus restrictives que les modalités de fabrication de génériques, qui concernent les pays industrialisés

• Un appui aux législations qui refusent la brevetabilité du vivant :
Le patrimoine vivant doit être exclu de toute forme d’appropriation et le libre accès aux ressources doit être maintenu. Les dispositions de l’ADPIC concernant les systèmes sui generis donnent une marge de manœuvre aux pays en développement, via la formulation de propositions alternatives, mais des appuis et des moyens financiers sont nécessaires pour la définition et la mise en œuvre de tels systèmes. Ces démarches supposent le réexamen substantiel de l’article 27.3 b) de l’accord ADPIC afin de :
– interdire la brevetabilité du vivant (génomes humain et végétal)
– obliger la mention de l’origine des ressources génétiques utilisées et des savoirs traditionnels sollicités dans une innovation
– reconnaître le droit des agriculteurs à conserver, produire, échanger et vendre librement leurs semences et les variétés qu’ils cultivent.

4.Préserver les services répondant à des droits fondamentaux

L’Accord général sur le commerce des services (AGCS) définit un cadre incitant les pays à négocier l’ouverture des marchés pour l’ensemble des services, y compris pour les services comme la santé, l’éducation, l’eau ou la culture, qui doivent en priorité répondre à l’intérêt public et non servir des intérêts marchands. L’AGCS contient des dispositions qui limitent la possibilité des gouvernements à édicter des règles nationales et à choisir leur propre politique de développement, et cela de manière quasiment irréversible. Les pays du Sud ont peu de bénéfices à retirer de cet accord, voire en pâtiront d’autant qu’ils sont soumis à de nombreuses pressions pour ouvrir à la concurrence des secteurs vitaux pour leurs populations et stratégiques pour les entreprises multinationales.

Nous demandons :

• Un moratoire sur la mise en œuvre de l’Accord tant qu’une évaluation indépendante et pluraliste des impacts des étapes antérieures de la libéralisation des services n’aura pas été réalisée

Les négociations doivent être interrompues tant qu’une véritable évaluation respectant les principes que nous avons énoncés plus haut, n’a pas été menée. Seuls les résultats de cette évaluation permettront de décider de la pertinence des modalités d’application de l’AGCS, des conditions et du champ de la libéralisation des services et de la poursuite ou non des offres et demandes d’ouverture commerciale, en faveur d’un développement durable.

• L’exclusion de la négociation des services répondant à des droits fondamentaux
Au-delà de l’exclusion de l’AGCS des services fournis gratuitement et sans concurrence « dans l’exercice du pouvoir gouvernemental », comme prévu à l’article 13 c), les services jouant un rôle primordial dans la société telles que, par exemple, l’éducation, la santé ou la culture ne doivent pas faire l’objet de négociations commerciales, et être exclus du champ de l’accord.

• Des négociations transparentes sur les services
Les demandes et les offres initiales de libéralisation doivent être publiées et disponibles, contrairement à la pratique actuelle.

5.Refuser la subordination de l’environnement au commerce

Le mandat de Doha a confirmé que peu d’Etats étaient prêts à s’engager sur la voie d’une conciliation entre les objectifs de libéralisation des échanges et ceux de protection de l’environnement :
• Aucune disposition n’est prévue pour arbitrer en cas de conflits entre les logiques différentes portées par les accords multilatéraux sur l’environnement (AME) et les accords multilatéraux sur le commerce. Un flou juridique persiste sur la façon dont pourraient être réglés des différends impliquant des membres de l’OMC parties et non parties à un AME. L’entrée en vigueur du Protocole « Biosécurité » qui n’a pas été ratifié par les principaux pays exportateurs d’OGM constituera un test sur la façon l’OMC entend régler ce vide juridique.
• De plus, les instances de ces deux familles d’accords internationaux sont appelés à s’informer mutuellement, pourtant aucun mécanisme véritablement opérationnel permettant un tel échange n’existe à ce jour
• Le principe de précaution a été évacué des débats, alors qu’il est au cœur des AME.
• La libéralisation des biens et services environnementaux se fait dans la continuité des autres services avec comme principal objectif la protection des intérêts des firmes des pays industrialisés sans tenir compte de l’environnement et des besoins des populations du Sud, plus vulnérables.

Nous demandons :

• Une affirmation du principe de non domination du droit commercial sur le droit environnemental, la traduction de ce principe en modalités concrètes d’arbitrage et, le cas échéant, le renvoi devant les instances compétentes des AME des conflits commerciaux mettant en cause une de leurs dispositions

• L’octroi d’un statut d’observateur permanent pour le PNUE et pour les Secrétariats des AME dans les différents comités de l’OMC et l’intégration d’experts disposant de compétences techniques environnementales au sein des panels

• Le lancement d’un programme d’appui technique et financier à destination des pays du Sud leur permettant de participer pleinement à l’élaboration et la mise en œuvre de normes environnementales et sanitaires ainsi qu’au développement de filières d’éco-labels

6.Exclure toute nouvelle question du champ de l’OMC

Un certain nombre de gouvernements de pays du Nord font pression pour lancer dans la négociation quatre nouveaux sujets, dits « sujets de Singapour », concernant l’investissement, la politique de la concurrence, la transparence des marchés publics et la facilitation du commerce. Ces questions, mises de côté lors de la conférence ministérielle de l’OMC de Singapour en 1996 du fait de l’opposition catégorique de nombreux gouvernements, sont réapparus dans la déclaration ministérielle de Doha. Aujourd’hui alors que le programme de mise en œuvre des accords de l’OMC est surchargé et que ses membres peinent à trouver des issues favorables aux nombreux dossiers soutenus par les pays du Sud, l’ouverture de négociations sur ces sujets suscite une profonde inquiétude.

Plutôt que donner carte blanche aux investisseurs et restreindre la capacité des gouvernements à engager des mesures politiques favorables au développement, nous pensons préférable de poursuivre la réflexion sur le devoir de responsabilité sociale et environnementale des entreprises multinationales. Parallèlement, nous pensons également qu’il conviendrait de soutenir les pays qui s’efforcent de définir des politiques d’accompagnement, voire d’encadrement, des investissements directs étrangers de manière à en faire de véritables leviers de développement en terme d’emploi, de progrès social, de rémunération, de formation, de transfert de technologies ou de réinvestissement local.

Nous demandons :

• L’exclusion de la négociation des nouveaux sujets dits « de Singapour ».

Organisations signataires :
Coordination SUD
Solagral
Agir ici
Greenpeace France
CCFD
Initiative de Développement Stratégique
Artisans du Monde
Act up
Max Havelaar France
4D
Agir pour l’environnement
CRID
Les Amis de la Terre
FRAPNA
AITEC
Oxfam
CEIPAL

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