Les états se réduisent à l’impuissance

Publié le 07.12.2010

Engoncés dans leurs problèmes de déficit et d’emploi, les pays occidentaux réitèrent sans ciller, à chaque grand-messe internationale et avec la bénédiction des grands émergents, leur foi inébranlable dans les vertus du commerce et de l’investissement, appelant sans discontinuer à la création de conditions propices à l’expansion du secteur privé afin de favoriser la croissance et l’emploi : « nous réaffirmons notre engagement en faveur de la liberté du commerce et de l’investissement, éterminants pour la reprise » (Plan d’action du G20 à Séoul, novembre 2010)[[Notre traduction]].

Il faudrait, à les entendre encore, que chacun adapte son cadre juridique et fiscal, voire son territoire et sa population, et réduise toute forme d’intervention étatique dans l’économie afin de laisser prospérer les forces du marché au bénéfice supposé de tous. S’il a bousculé quelques certitudes quant à la supposée autorégulation des marchés financiers, le séisme financier de 2008 n’a pas eu raison de cette idéologie.

Ils naviguent à vue

Au-delà même du fait que l’analyse empirique – notamment de l’impact calamiteux de ces politiques dans les pays les plus pauvres – devrait les amener à réviser, ou du moins à qualifier, leur jugement, l’injonction du G20 repose sur des statistiques fragiles. En gommant la fiction des multiples transactions offshore, la Banque de France a montré que les flux d’IDE vers la France étaient, en réalité, 85 % moindres qu’annoncés (voir p. 12). De telles données devraient, pour le moins, amener le gouvernement français à réinterroger la pertinence des sacrifices consentis pour attirer les investisseurs. De même, le détournement d’une part considérable du commerce mondial par des sociétés sans réalité économique devrait amener les tenants d’une « croissance commerciale au bénéfice de tous » à remettre en question leurs croyances.

Surtout, les pays du G20 semblent ne pas voir que cette difficulté à appréhender la réalité des activités économiques masque l’évaporation, en chemin, de la valeur produite par les échanges internationaux et l’investissement, happée par les filiales offshore. Bien sûr, cette valeur n’est pas perdue pour tout le monde et le lobbying des entreprises multinationales et des banques est puissant. Doit-on, pour autant, en conclure que le G20 ferme volontairement les yeux sur cette captation de la richesse mondiale par une minorité ? Sans contester le cynisme de certains, nous ferons plutôt l’hypothèse d’un aveuglement des principaux dirigeants mondiaux, bernés par le trompe-l’œil offshore et bercés par l’illusion d’un phénomène aux marges de l’économie – qu’il suffirait de mettre au pas en contraignant les territoires rétifs à coopérer. Reste que s’ils veulent avoir une influence sur la création et le partage des richesses au plan mondial, ou ne serait-ce que disposer des instruments pour pouvoir en débattre en connaissance de cause, il leur faut accepter de jeter une lumière crue sur le phénomène offshore afin d’en démasquer la supercherie.Et nous faisons le pari qu’il sera plus aisé et, surtout, plus efficace d’obtenir une image fidèle de la réalité économique en braquant les projecteurs sur les émetteurs de données trompeuses, plutôt que sur les réceptacles – certes consentants, mais remplaçables, de comptes erronés (voir chap. 4).

Au supermarché des souverainetés

Ayant organisé un monde où les capitaux circulent librement, ou presque, les États se livrent à présent une concurrence féroce pour les attirer. Les plus petits d’entre eux ont vite compris qu’il leur fallait aller loin dans l’abandon de leur souveraineté pour attirer les flux financiers. Au point d’en faire commerce, adoptant la posture du passager clandestin[[Consistant, en théorie économique, à retirer des bénéfices d’un processus sans n’en assumer aucun coût. ]] de l’économie mondialisée.

« Les paradis fiscaux constituent l’une des questions politiques les plus importantes de notre époque. »
Christian Chavagneux[[Op. cit., L’Économie politique n° 42, p. 32]]

En 2006, l’Assemblée nationale de Jersey a par exemple adopté une loi sur les trusts permettant d’accroître l’opacité du dispositif sans que personne n’y trouve à redire. Pour Chavagneux et al., « les législateurs ont fait exactement ce qu’exigeait l’industrie locale des services financiers (…). En échange d’une législation, les paradis fiscaux perçoivent un revenu des activités que la communauté offshore apporte chez eux sans que cela ne leur coûte quoi que ce soit »[[Idem, p. 31.]]. Cette marchandisation des législations, parce qu’elle tire vers le bas les lois – fiscales ou réglementaires – d’autres pays et en organise le contournement, est une contestation directe de la souveraineté des États. À ce « jeu »-là, les États les plus faibles – en particulier dans les pays en développement – sont les moins armés pour résister.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce ne sont pas tant, là non plus, les paradis fiscaux qui siphonnent la capacité souveraine des États à agir sur le cours des choses. Au super marché des souverainetés, le client est roi.

C’est le banquier ou le cabinet d’audit agissant au service de ses riches clients et des entreprises multinationales qui, achetant la souveraineté de tel ou tel îlot ou autre pays pauvre, en détermine les lois applicables aux non-résidents. Ce qui se joue offshore, c’est bien la confiscation des souverainetés par des multinationales et leurs intermédiaires juridiques et financiers – ou, comme l’écrit Alain Deneault, l’invention d’une « souveraineté offshore », où « Coca-Cola est une économie comme le Groupe George Forrest ou le Brésil en sont d’autres »[[A. Deneault, Offshore, La Fabrique, Éditions, 2010,Paris, p.117.]].

On comprend mieux, dès lors, l’apparente difficulté des pays du G20 à résoudre le problème des paradis fiscaux. Si c’était David contre Goliath, l’Union européenne comme le G20 auraient pu sans difficulté faire rentrer dans le rang les confettis récalcitrants. Or derrière les paradis fiscaux, sortes de miroirs sans tain déformants de l’économie réelle, on voit que se tiennent des groupes industriels et financiers dont le chiffre d’affaires pèse, bien souvent, plus que le budget des États. Ce bras de fer, le G20 ne l’a pas engagé. Pour autant, les États du G20 ne conservent-ils du pouvoir que l’illusion ? La réponse, à notre sens, est encore non. Mais il y a urgence. Pour recouvrer pleinement leur capacité à infléchir le cours de l’histoire, et pouvoir répondre aux aspirations légitimes de leur population, il faudra aux responsables politiques réagir vite, avec détermination, et en ciblant, cette fois, la racine du mal (voir ch. 4)

Déboussolés eux aussi : les dirigeants du G20 eux-mêmes, comme l’ensemble des enceintes prétendant piloter la mondialisation. En brouillant les repères de l’économie mondiale, le miroir déformant des paradis fiscaux limite fortement la capacité des États à peser sur le cours de l’histoire. En un mot, leur souveraineté.

Des paradis fiscaux gagnants mais vulnérables

Les paradis fiscaux gagnent à attirer les multinationales : le Luxembourg, les Bermudes et le Liechtenstein sont dans le top five mondial en termes de PIB par habitant (Liechtenstein en tête avec 97 680 euros/habitant en 2007).[[Source : CIA World Factbook.]] Récolter ne serait-ce qu’1 % des bénéfices enregistrés sur leur territoire en impôt, représente une somme considérable pour la plupart d’entre eux, dont la taille modeste et la faible population engendrent une dépense publique moindre que dans les grands États. Toutefois, ces économies sont vulnérables : l’utilisateur n’ayant aucun attachement au territoire, il lui importera peu de déplacer sa fortune ou sa filiale fictive à la moindre inquiétude. Dans les six premiers mois de 2008, après le scandale des fichiers de clients vendus au fisc allemand, la banque du Liechtenstein LGT-Bank a ainsi vu les entrées d’argent s’effondrer de 95 % par rapport à l’année précédente. Les Îles Caïmans se sont retrouvées au bord de la faillite sous l’impact de la crise. Les paradis fiscaux sont aussi à la merci d’un scandale ou d’un changement de contexte politique, à l’image de Nauru, île du Pacifique ruinée après sa mise au ban des nations au tournant du millénaire, pour l’exemple.

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