Agriculture au Sud: la fin de l’abandon par les Etats ?

Publié le 15.10.2013

La baisse des investissements publics dans l’agriculture des pays du Sud est depuis longtemps pointée du doigt par de nombreux acteurs.


Pendant plus de trente ans, la tendance à la baisse était marquée quel que soit le canal de financement étudié : ressources budgétaires domestiques, ou aide publique au développement. L’année 2005 a constitué un tournant dans les discours, et l’agriculture fait maintenant l’objet d’annonces de plans spécifiques destinés à mettre fin à l’insécurité alimentaire, particulièrement dans les zones vulnérables comme certaines régions d’Afrique Subsaharienne. Mais avec quels effets ?

La part des dépenses dédiées à l’agriculture dans le budget national des états a baissé de manière globale entre les années 1980 et 2000
(toutes les régions sauf Europe et Asie Centrale). En moyenne elle est passée d’un peu moins de 7% en 1980 à 4% en 2007, les états ayant priorisé une augmentation des dépenses publiques dans d’autres secteurs comme les mines ou l’énergie.
Même si comme le montre le graphique ci-dessous, la tendance globale est la même dans toutes les régions, les effets se font particulièrement ressentir dans les pays dont le secteur agricole est primordial pour les économies locales comme en Amérique Latine ou en Afrique Subsaharienne. Dans cette dernière région, 70% de la population active travaille en milieu rural.

Les auteurs d’une étude sur les flux financiers dans l’agriculture notent le caractère particulièrement « décourageant » de l’évolution des dépenses dans l’agriculture par les pays d’Afrique Subsaharienne [[Financial resource flows to agriculture – A review of data on government, official development assistance and foreign direct investment – ESA Working paper n°11-19 – S.K.Lowder et B..Carisma]] . Sur ces dix dernières années, la part de l’agriculture dans le budget national de ces pays oscille entre 3 et 6%. Au début des années 2000, dans un contexte d’insécurité alimentaire croissante, les Etats africains s’en sont eux-mêmes alarmés, et répondant aux interpellations des sociétés civiles, se sont engagés à accroître leurs efforts pour l’agriculture (voir encadré), avec cependant un succès limité.

Les accords de Maputo : où en sommes-nous ?
En 2003 au Mozambique, lors de l’Assemblée de l’Union Africaine, les chefs d’Etat ont signé la déclaration de Maputo : reconnaissant l’importance de l’agriculture pour les économies africaines, ils s’engageaient sur un Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (le CAADP). Ce programme a deux objectifs spécifiques : augmenter la productivité agricole (6% annuellement d’ici à 2015) et relever la part des dépenses publiques dédiées à l’agriculture afin qu’elle atteigne 10% d’ici 2008 [[AU 2003 Maputo Declaration on Agriculture and Food Security , http://www.nepad.org/system/files/Maputo%20Declaration.pdf]]. Soit le niveau d’investissement public moyen dans les années 1980.
Un acte politique et diplomatique majeur qui a permis de remettre l’agriculture africaine dans les priorités de développement du continent.
Malheureusement, dix ans après, tous ne semblent pas avoir atteint l’objectif. Entre 2004 et 2010, sur 45 pays pour lesquels les informations sont accessibles, seulement 10 pays [[Ghana, Zimbabwe, Malawi, Senegal, Tchad, Mali, Ethiopie, Niger, Burkina Faso, Guinée]], ont atteint l’objectif de 10% et seulement 3 l’ont atteint sur toute la période. Pire, 1/3 des pays ont même connu un recul de leurs dépenses publiques dans l’agriculture sur la période [[Financial ressource flows to agriculture – A review of data on government, official development assistance and foreign direct investment – ESA Working paper n°11-19 – S.K.Lowder et B..Carisma]].
Au-delà des aspects statistiques, l’accord de Maputo n’a pas permis de traiter la question de l’efficacité de l’investissement, ni de prioriser des secteurs ou des acteurs. Les organisations paysannes du continent plaident aujourd’hui pour une transparence des budgets agricoles et l’allocation d’un pourcentage spécifique aux agricultures familiales et pêcheries artisanales.

La situation en Afrique Subsaharienne est donc aujourd’hui très inquiétante : l’indice d’orientation agricole élaboré par la FAO [[En rapprochant les données relatives à la part de l’agriculture dans le PIB et par rapport aux dépenses totales, il est possible d’établir un indice d’orientation agricole indiquant dans quelle mesure les dépenses publiques en faveur de l’agriculture correspondent (ou non) à l’importance de l’agriculture dans l’économie globale. Pour calculer cet indice, la part des dépenses agricoles par rapport aux dépenses publiques totales est divisée par la part de l’agriculture dans le PIB. Plus l’indice est élevé, plus la part des dépenses agricoles est proche de la part de l’agriculture dans le PIB]] souligne que pour 12 pays étudiés dans la zone on note une priorité moindre donnée à l’agriculture en comparaison à d’autres gouvernements d’autres régions. Depuis 2005, la part de l’agriculture dans le budget global des Etats de la région est en baisse, bien loin de la mise en œuvre des accords de Maputo…

La baisse des investissements publics dans l’agriculture a également été observée dans l’aide publique au développement (APD), dès les années 1980. L’APD agricole est ainsi passée de 20% de l’APD globale dans les années 1980 à 4% au milieu des années 2000, soit de 15 milliards d’euros à 2,3 milliards d’euros [[Statistiques de l’Aide – OCDE – disponibles sur http://www.oecd.org/fr/cad/stats/]], les secteurs et priorités d’intervention des opérateurs s’étant diversifiés (santé, éducation, énergie, ressources naturelles, infrastructures,….).
Depuis 2005, la tendance semble doucement s’inverser, l’agriculture représentant désormais 6% de l’ensemble des dépenses de l’APD, soit pour 2012 un peu plus de 7 milliards de dollars sur les 125,6 milliards de $ de l’APD globale . On est encore loin des sommets des années 1980…

Certains effets d’annonce peuvent même tromper quant au regain d’intérêt réel des Etats et institutions publiques pour l’agriculture et la sécurité alimentaire [[« La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique, économique et social à un e nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » recouvrant ainsi quatre piliers : l’accès, la disponibilité, la qualité et la régularité – Sommet mondial de l’Alimentation, 2009]] : suite aux émeutes de la faim en 2008, notamment, on a observé un sursaut de la mobilisation internationale, avec en particulier, l’annonce en 2009, par les Etats membres du G8, d’un investissement de 20 milliards de dollars dans le secteur en Afrique pour la période 2009-2012.
Des annonces malheureusement pas toujours suivies d’effets : ce type d’initiative exige d’être suivie sur le long terme afin de vérifier les décaissements réels et leur dimension réellement additionnelle. Entre 2002 et 2009, les décalages ont pu atteindre 1 milliard de $ par an sur l’ensemble de l’APD agricole [[Financial resource flows to agriculture – A review of data on government, official development assistance and foreign direct investment – ESA Working paper n°11-19 – S.K.Lowder et B. Carisma – FAO- décembre 2011 ; pp21-24]]. Et l’Initiative du G8 n’échappe pas à la règle.

G8 – Initiative de l’Aquila pour la Sécurité Alimentaire : les yeux plus gros que le ventre ?
Les Etats membres du G8 s’étaient engagés à débourser plus de 20 milliards d’euros entre 2009 et 2012 pour lutter contre l’insécurité alimentaire en Afrique (Initiative de l’Aquila pour la Sécurité Alimentaire – AFSI). Un an après la fin d’exercice de cette initiative, les engagements financiers n’ont pas été concrétisés par l’ensemble des donneurs. Par exemple, La France n’a réellement déboursé que 54% des sommes promises, le reste restant dans la catégorie « en cours de décaissement » [[Lough Erne Accountability Report, June 2013 – Disponible sur http://www.mofa.go.jp/mofaj/files/000006822.pdf]].
Les pays du G8 aiment annoncer des montants d’aide importants (20 milliards de $) pour une mise en œuvre sur un temps court (3 ans). Mais cela oblige les Etats à des décaissements élevés et rapides, ce qui les amène à inclure dans l’initiative des projets de tous formats déjà prévus. On est loin d’une planification nouvelle basée sur la mise en place d’une stratégie commune entre les Etats membres du G8 et les Etats africains… Et donc, loin de ce qu’exigerait la réponse à l’enjeu du moment : la crise alimentaire en Afrique.

Focus : Et du côté français ?
La France a depuis longtemps placé l’agriculture dans les priorités de sa politique internationale, et notamment la défense des agricultures familiales et la lutte contre l’insécurité alimentaire. Elle a récemment reprécisé ses objectifs dans les documents d’orientation de sa politique et de ses financements en matière de développement.

En procédant à la révision de son cadre d’intervention sectoriel (CIS) sur la sécurité alimentaire en Afrique Subsaharienne pour la période 2013-2016 [[Sécurité alimentaire en Afrique Subsaharienne – Cadre d’intervention sectoriel 2013-2016, AFD, 2013 – http://issuu.com/objectif-developpement/docs/maq-cis-2013]], l’Agence Française de Développement a « souhaité rénover en profondeur sa stratégie pour promouvoir la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne » [[Agriculture en Afrique subsaharienne : l’Agence Française de Développement double ses engagements au service de la durabilité – Communiqué de presse de l’AFD – http://www.afd.fr/home/presse-afd/communiques?actuCtnId=101064]]. Avec un engagement sur 400 millions d’euros additionnels par an [[Engagement AFD sécurité alimentaire Afrique Subsaharienne 2009-2012 : 1 milliard d’euros]], l’AFD répond à une critique formulée dans le rapport de la Cour des Comptes sur l’APD française en mai 2012, qui soulignait la déconnexion entre les priorités politiques et les engagements financiers.
Ce nouveau cadre stratégique rappelle le rôle central de l’agriculture familiale, durable et productive. Ainsi le souligne Anne Paugam, nouvelle Directrice de l’AFD depuis juin 2013, « Soutenir les agricultures familiales d’Afrique, c’est contribuer au développement durable à trois niveaux : la sécurité alimentaire, la création d’emplois en nombre et la conservation de la nature. Depuis 2009, l’AFD a octroyé un milliard d’euros pour le développement rural et la sécurité alimentaire dans cette zone, mobilisant l’ensemble de ses outils financiers. Sur la période 2013 – 2016, l’AFD double ses engagements dans ce secteur, qui représenteront désormais 15% des financements de l’Agence en Afrique subsaharienne » .
L’Agence prend également plusieurs engagements à l’occasion de la révision de plusieurs de ses cadres d’intervention sectoriels (CIS) [[Cadre d’intervention sectoriel sécurité alimentaire mais également Cadre d’intervention Biodiversité]] devant permettre de mettre en cohérence son action avec les politiques de développement, notamment concernant la lutte contre la déforestation, contre les acquisitions de terres à grande échelle , et elle se prononce clairement contre l’achat, le financement de la recherche, la promotion ou la multiplication de semences génétiquement modifiées.
Ces points mis en avant par l’Agence sont certes très positifs. Cependant il manque des éléments qui renforceraient la cohérence globale de son action en matière de sécurité alimentaire et de développement : l’Agence ne priorise pas lorsqu’elle se réfère au respect de l’ensemble des initiatives et textes auxquels participe la France, alors que certains sont contradictoires. De plus, le CIS sécurité alimentaire distingue insuffisamment les acteurs du secteur privé, englobant parfois agriculteurs familiaux et grandes entreprises, et il n’est pas clair concernant la relation entre les politiques publiques et le secteur privé. De fait, il semble à plusieurs reprises que l’objectif majeur, central, des politiques publiques en matière agricole se limite à soutenir et assurer le développement des investissements privés, au risque de mettre de côté le rôle central de l’Etat et des investissements publics dans un développement agricole durable.
Par ailleurs, quels que soient les efforts réalisés dans les CIS, ils resteront limités si dans le même temps, les règles en matière d’évaluation et de maîtrise des risques, et de modalités de financement des projets, n’évoluent pas. Certains de ces outils peuvent ainsi faire entrer l’agence en contradiction avec les orientations politiques et stratégiques définies dans les CIS .

Le cadre de maitrise des risques sociaux et environnementaux du groupe AFD
Conscient que toute démarche de développement engendre des risques financiers, sociaux et environnementaux, le groupe AFD (Agence Française de Développement), qui inclue PROPARCO, sa filiale dédiée au secteur privé, a développé un cadre devant lui permettre d’identifier, prévenir et réparer les risques et les impacts inhérents à ses activités. Cette démarche commune au groupe, est censée s’appliquer en amont et en aval des financements.
Ainsi, le groupe AFD « doit s’assurer que ses opérations contribuent effectivement aux finalités essentielles du développement durable (la lutte contre la pauvreté et la satisfaction des besoins humains, le renforcement des solidarités entre les êtres humains et entre les territoires, la préservation de la biodiversité, des milieux et des ressources naturelles, la lutte contre le changement climatique) en soutenant un développement économique basé sur l’adoption de modes de production et de consommation responsables et en améliorant les pratiques publiques et privées [[Cadre d’intervention sectoriel sécurité alimentaire mais également Cadre d’intervention Biodiversité 2010]] (…) ».

La démarche de maitrise des risques dans le cadre du suivi d’un projet implique tout d’abord le classement des projets en fonction de leur niveau de risques. Ce classement environnemental et social des opérations financées par le groupe AFD, proche de celui pratiqué par la plupart des agences de financement du développement (y compris la Banque mondiale), s’établit en accord avec les standards internationaux en la matière et selon les catégories suivantes :

– les opérations financées directement par le groupe AFD sont classées en trois catégories selon le risque social et environnemental qu’elles présentent : (i) catégorie « A » (risques élevés), catégorie « B » (risques modérés) et catégorie « C » (peu ou pas de risques) ; à l’instar des autres institutions financières de développement regroupées au sein de l’EDFI [[Cadre d’intervention sectoriel sécurité alimentaire mais également Cadre d’intervention Biodiversité 2010]] pour le secteur privé, PROPARCO a intégré une catégorie B+, intermédiaire entre les catégories A et B ;

– les opérations financées via un intermédiaire financier sont classées « IF ». En fonction du risque environnemental et social de leur portefeuille d’activités, ces opérations sont ensuite classées en IF-A, IF-B ou IF-C, selon le même principe que pour les financements directs.

En juillet 2013, à l’occasion du Comité Interministériel de la Coopération internationale et du Développement (CICID), qui réunit sous l’égide du Premier Ministre, les 15 ministres « concourant à la politique française de développement » [[Relevé de décisions du CICID, 31 juillet 2013 – Pour rappel, le CICID, dont s’était la première réunion depuis quatre ans, est chargé de définir les principes et les priorités de l’effort de solidarité internationale de la France.]], le gouvernement français a de nouveau affirmé que la lutte contre l’insécurité alimentaire et le soutien aux agricultures familiales était une priorité de la France.

(Extrait du relevé de décision du CICID)
Décision n°6 . Le gouvernement réaffirme que le soutien aux agriculteurs dans les pays du Sud est un levier essentiel de la lutte contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté.
1. Le Gouvernement décide de promouvoir une agriculture familiale, productrice de richesse et d’emplois et respectueuse des écosystèmes. La France soutiendra des initiatives permettant à l’agriculture familiale de jouer pleinement son rôle
: adoption de politiques agricoles, renforcement de l’intégration régionale, structuration des marchés agricoles, développement de filières, appui aux organisations paysannes, recherche de l’accès équitable à l’eau, sécurisation du foncier et lutte contre la dégradation des terres. Le Gouvernement approuve les orientations adoptées par l’AFD en ce sens.

Mais l’APD française ne passe pas uniquement par son opérateur de développement, l’AFD. Sur les quasi 8 milliards d’euros engagés en 2008, au titre de l’APD totale de la France, 60% ont transité par le canal bilatéral et 40% par le canal multilatéral (part qui a doublé au cours des vingt dernières années [[L’aide publique au développement française : analyse des contributions multilatérales, réflexions et propositions pour une plus grande efficacité, Henriette Martinez et Secrétariat d’Etat à la coopération et à la francophonie, Juillet 2009]]). La France est donc en première ligne d’initiatives politiques internationales (notamment dans le cadre du Comité sur la Sécurité Alimentaire Mondiale). Mais elle est également un bailleur important d’initiatives dédiées à la lutte contre l’insécurité alimentaire. Dans le cadre du G8 en particulier, elle a engagé 1,5 milliard d’euros pour l’AFSI, et a annoncé une participation financière de 310 millions d’euros dans la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition, pour les 6 premiers pays concernés, ce qui en fait le troisième contributeur public derrière les Etats Unis – à l’origine de l’Alliance – et l’Union Européenne.

Cependant ces aides publiques au développement agricole ont changé de nature : elles s’appuient de plus en plus sur le soutien et l’encouragement aux investissements privés, et très peu sur des investissements publics directs.

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