Toutes les modalités de financement… même les moins transparentes ?

Publié le 15.10.2013

Ces dernières années, les institutions financières de développement ont fortement diversifié leurs modalités de financement, notamment via leur branche dédiée au secteur privé, et dans la manière dont elles travaillent avec les acteurs bancaires et financiers.


Ces modes de financement les éloignent de plus en plus du suivi, voire de la connaissance, du projet financé en bout de chaîne.

Ainsi en France, PROPARCO (filiale du groupe AFD), place le développement de ses activités avec ces acteurs dans le cadre de sa stratégie de dynamisation des marchés financiers. Pour cela elle a développé les prises de participation directes et indirectes, destinées à être cédées aux autres actionnaires ou sur le marché financier. Deux modes d’intervention existent :

  • la participation directe (« Dans une logique d’accompagnement PROPARCO investit en fonds propres et quasi fonds propres dans des opérations de haut de bilan : apports en capital, comptes courants d’actionnaires, obligations convertibles, prêts participatifs, prêts subordonnés. Ces interventions directes concernent généralement les institutions financières et les grandes entreprises régionales » [[http://www.PROPARCO.fr/Jahia/site/PROPARCO/Participations]])
  • la participation indirecte (« Dans une logique d’intermédiation et d’entraînement du secteur privé, PROPARCO prend aussi des participations dans des fonds d’investissement. PROPARCO met en avant le fait que l’effet de levier procuré lui permet de contribuer au financement des petites et moyennes entreprises locales. Les fonds d’investissement dans lesquels PROPARCO investit présentent des caractéristiques variées : sur un seul pays ou sur une région plus large, plurisectoriels ou non, dédiés au capital-investissement, capital-transmission ou encore au capital-développement » [[http://www.PROPARCO.fr/Jahia/site/PROPARCO/Participations]])

Un projet est qualifié de projet en intermédiation financière lorsque le groupe AFD finance :

  • en direct un intermédiaire financier ;
    ‐* des projets/entreprises à travers le refinancement d’un intermédiaire financier ou à travers la prise de participation dans des fonds d’investissement ;
    ‐* des collectivités locales à travers le refinancement d’un intermédiaire financier.

Cette modalité de financement, pour efficace qu’elle soit en termes de levée de fonds, soulève de nombreuses questions. L’une d’elles, et non la moindre, touche en à la capacité du bailleur institutionnel à assurer le suivi du projet final financé, et son évaluation, en termes d’impacts sociaux et environnementaux et de contribution au développement.
En effet, les projets en intermédiation financière sont destinés selon PROPARCO à soutenir les PME locales via les banques nationales ou régionales. Ils suivent le même cycle de vie que les projets en financement direct. Cependant, la démarche d’évaluation environnementale et sociale de ces projets diffère de celle des projets en financement direct.
Alors que des plans de gestion environnementaux et sociaux peuvent être menés à bien directement par le groupe AFD en cas de financement direct, la démarche d’évaluation environnementale et sociale en cas d’intermédiation financière semble, selon les informations que nous avons recueillies, se limiter à une analyse de la démarche d’évaluation environnementale et sociale de l’intermédiaire financier (en tant qu’entreprise) d’abord. A charge pour celui-ci de s’assurer que les entreprises qu’il finance mettent en œuvre eux-mêmes une démarche d’évaluation environnementale et sociale.
C’est à l’intermédiaire financier d’informer « régulièrement » le groupe AFD du résultat de l’évaluation environnementale et sociale des entreprises qu’il finance et, le cas échéant, de l’avancement de sa mise à niveau environnementale et sociale.
Il semble donc qu’il n’y ait aucun suivi spécifique du projet final destiné à être financé : tout repose sur les informations extra-financières fournies par les entreprises dans le cadre de leur communication institutionnelle, ce qui est loin de suffire pour mesurer les impacts d’un projet.
Si le groupe AFD se défend de travailler avec des intermédiaires financiers qui ne se baseraient pas sur les mêmes standards, l’intermédiation revient à sous-traiter la mise en œuvre de la démarche environnementale et sociale sans disposer de moyens de contrôle effectifs.

Au niveau international, le CAO [[Le CAO est un mécanisme indépendant qui sert de recours pour les problèmes que peuvent soulever des projets recevant l’appui des deux institutions du Groupe de la Banque mondiale spécialisées dans le secteur privé, à savoir la Société financière internationale (IFC) et l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA). L’IFC et la MIGA contribuent à la réduction de la pauvreté en soutenant le développement du secteur privé dans les pays du monde entier. Si des gens pensent qu’un de leurs projets peut avoir sur eux des effets négatifs, ils peuvent demander l’aide du CAO pour faire part de leurs problèmes. Le CAO travaille avec l’ensemble des principales parties concernées par les projets considérés pour trouver de véritables solutions propres à améliorer sur le terrain les résultats d’ordre environnemental et social de ces projets. – plus d’informations : http://www.cao-ombudsman.org]], mécanisme indépendant de recours pour les projets recevant l’appui des deux institutions du Groupe de la Banque mondiale dédiées au secteur privé (la Société financière internationale (SFI, ou IFC en anglais) et l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA en anglais) a récemment alerté sur cette perte de responsabilité des financeurs appliquant les normes de la Société Financière Internationale (ce qui est le cas de PROPARCO, dans des projets financés en intermédiation financière ) . Le CAO note ainsi qu’il est impossible à la SFI d’imposer aux destinataires finaux du financement le respect des droits des populations locales.

Mais l’intermédiation financière n’est pas la seule modalité financière amenuisant les capacités de suivi des institutions financières de développement. Ces institutions prennent de plus en plus souvent des participations dans des fonds d’investissement, à nouveau sans grande visibilité sur les projets qui seront portés.

Plantations agroindustrielle de palmiers à huile en RDC : le développement pour qui ?
Quand les agences de développement s’engagent via des fonds d’investissement, leur première préoccupation est-elle la rentabilité de l’investissement, ou l’objectif de développement ?
En République Démocratique du Congo, les anciennes Plantations et Huileries du Congo, joyau de l’empire colonial Belge fondées en 1911 dans la province de l’Equateur, ont été reprises en 2007 par Feronia, une société canadienne. Cette entreprise enregistrée à la bourse de Toronto développe aussi son activité (palmier à huile et riz essentiellement) dans la Province orientale et dans le Bas-Congo. Mais, à en croire les rapports financiers, les filiales congolaises seraient toutes détenues via une société basée en RDC de droit caïmanais (Feronia JCA limited), elle-même filiale d’une société basée aux îles Caïmans (Feronia CI Inc), pays dans lequel l’entreprise n’est soumise à aucun impôt sur les bénéfices. Au plan fiscal, le rapport financier de 2010 est explicite. Feronia cumulerait absence d’imposition aux Caïmans, trêve fiscale en RDC jusqu’en 2012, et utiliserait les pertes enregistrées au Canada pour réduire les profits imposables des années suivantes …
Pour Feronia PHC, « la RDC est le grand espoir mondial pour l’agriculture à grande échelle et à faible coût nécessaire pour nourrir la population mondiale qui augmente ». L’entreprise met aussi en avant, paradoxalement, sa contribution au développement de l’agriculture familiale et à la sécurité alimentaire locale (baisse du prix de l’huile, baisse des importations..), soulignant sa volonté de développer des « grandes plantations agroindustrielles durables ». Feronia est fière de la taille de ses exploitations : 107 892 hectares. L’entreprise souligne, sur son site, que cela correspond à la superficie totale d’Amsterdam, Bruxelles, Dublin, Genève, Lisbonne, Manhattan, Montevideo, Paris, San Francisco et Zurich plantée en palmier à huile ! Et dans cette grande œuvre Feronia a su trouver des alliés de poids : des financiers bien sûr, et des agences financières de développement.
Fin 2012, L’African Agricultural Fund a choisi d’entrer au capital de Feronia pour plusieurs millions de dollars (à hauteur de presque 20% ). Ce fond d’investissement géré par Phatisa est basé à l’ile Maurice (un centre financier offshore majeur ). Il a été créé en 2009 par le Ministre français de la Coopération de l’époque ,, et par le Président de la Banque Africaine de Développement, dans la dynamique « du Partenariat mondial pour la sécurité alimentaire, initié par la France à la suite de la crise alimentaire de 2008 ». Un pool d’institutions financières de développement (IFID), a répondu à l’appel, y compris le groupe Agence Française de Développement (AFD-PROPARCO), aux côtés de l’Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement (AECID), l’institution financière de développement américaine (OPIC), le fond de l’OPEC pour le développement international (OFID), la compagnie financière néerlandaise de développement (FMO), le Fonds International pour le Développement Agricole (IFAD), la Banque de Développement Africaine (AfDB), la Banque de Développement d’Afrique du Sud (DBSA), la Banque de Développement Ouest-Africaine (BOAD), la Banque d’Investissement et de Développement ECOWAS (EBID).
Quel enjeu pour toutes ces institutions ? Selon leurs propres explications, il s’agit de soutenir les investisseurs privés en structurant « leurs participations en un mécanisme visant à supporter le risque des premières pertes qui fournira aux investisseurs privés d’AAF un rendement accéléré » ! Les IFID ont d’ailleurs pu s’appuyer sur les conseils avisés d’un fameux cabinet d’avocats d’affaires français .
Pour Olivier de Schutter, rapport spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, « la vraie question est de savoir si les terres disponibles doivent prioritairement bénéficier aux investisseurs étrangers ou aux paysans locaux. L’accès doit être équitable. Car l’important ce n’est pas l’investissement mais la manière de faire reculer la pauvreté dans les campagnes » . , Il souligne ainsi que « Si on laisse se développer les grandes exploitations, les petites vont disparaître, et les paysans vont rejoindre les villes »
Cela est particulièrement vrai en RDC, où l’insécurité alimentaire touche près de 73% de la population . Ces immenses palmeraies sont-elles le meilleur moyen de lutter contre ce fléau ? La province de l’Equateur est la plus pauvre des provinces congolaises avec un taux de pauvreté de 93, 6 % de la population. Une province où 1 % seulement de la population a l’électricité et où la mortalité infantile est de 102‰. Une province où les 5, 8 millions d’habitants sont à 76 % paysans, dans un pays qui n’a pas encore adopté un code foncier efficace qui les protégerait de l’insécurité foncière et des accaparements de terres. Le gouvernement de RDC, encouragé par les institutions financières internationales, est prêt à octroyer les terres aux investisseurs étrangers à des conditions très avantageuses. Cependant, sous la pression notamment des organisations paysannes qui se structurent peu à peu, une nouvelle “Loi Portant Principes Fondamentaux Relatifs à L’Agriculture” promulguée en décembre 2011 prévoit aujourd’hui que les sociétés d’exploitations agricoles en RDC soient détenues en majorité par des acteurs locaux (gouvernement ou acteurs privés). A l’heure actuelle, les principales filiales de Féronia en activité au Congo sont PHC, dans laquelle le gouvernement possède 23.83% , et Féronia PEK, détenue à 20% par une entreprise privée congolaise. Dans tous ses documents officiels, FERONIA explique qu’il existe un doute quant à l’application de cette nouvelle règle sur les concessions existantes et annonce les effets négatifs potentiels d’une telle loi sur les résultats de l’entreprise si elle devait s’y soumettre. Entrée en vigueur en juin 2012, les entreprises avaient jusqu’à juin 2013 pour se mettre en conformité avec la loi. « A cette date, la direction a décidé qu’il était meilleur pour l’entreprise de ne rien faire ». Par ailleurs, Feronia admet qu’elle est en contact avec les pouvoirs publics pour discuter de cette loi.

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