L’investissement dans l’agriculture, un instrument à double tranchant

Publié le 15.10.2013

Les civilisations antiques en ont souvent fait le socle de leur puissance : les Etats investissaient dans les grandes infrastructures d’irrigation, les routes, les ports, le stockage, et régulaient les marchés… Leur souci était bien sûr d’assurer la sécurité alimentaire des populations, mais ce secteur si facile à contrôler était aussi lourdement taxé, afin d’entretenir l’administration, l’aristocratie, et de financer d’autres priorités (la guerre, l’urbanisation..), au point de souvent étrangler le monde rural.


Le monde contemporain mondialisé est confronté au même dilemme.

L’investissement agricole est une clé de la lutte contre la faim, scandale des temps modernes incapables depuis des décennies de relever ce défi. Dans un monde d’accumulation des richesses, d’avancées technologiques et de surconsommation, près de 900 millions de personnes se couchent chaque soir le ventre vide, dont 70% sont des agriculteurs des pays du Sud. Les Etats et la communauté internationale, qui ont négligé ces agricultures pendant des décennies tant dans l’aide publique au développement que dans les budgets des Etats concernés, rivalisent aujourd’hui d’annonces en faveur d’investissements dans ce secteur.

Mais pour cela, ils font aujourd’hui de plus en plus appel au secteur privé : les investissements privés internationaux ont pris le pas sur l’investissement public, et les Etats en viennent à les soutenir dans leurs logiques de profit, y compris au nom du développement et de la lutte contre la faim…

Ainsi l’investissement agricole peut aussi être vecteur de toutes les convoitises, de la ruée des pays riches vers les ressources des pays « pauvres », des logiques d’accumulation, du jeu de la spéculation… Des convoitises attisées justement par la rareté : la crise alimentaire et les spéculations sur les marchés de matières premières, la concurrence dans l’usage de la terre entre agriculture, exploitation des sous-sols, production énergétique et urbanisation, avivent l’intérêt des investisseurs internationaux pour ce secteur. Jusqu’à l’intolérable, quand l’insécurité alimentaire devient une opportunité rendant les investissements plus attractifs ! L’investissement international est de plus en plus teinté de scandales, celui de l’évasion fiscale et de la corruption, des violences, des accaparements de ressources, des populations locales niées dans leurs besoins vitaux et dans leurs droits.

Pour réhabiliter l’investissement, en particulier agricole, les initiatives pour l’investissement responsable se sont multipliées, aboutissant à un véritable enchevêtrement de règles internationales et nationales aux statuts très divers. Mettre des priorités dans l’application de ces règles est urgent, faute de quoi elles ne serviront qu’à cautionner la poursuite des mêmes logiques pernicieuses.

Les agences de financement du développement doivent montrer l’exemple : en plus d’un soutien plus explicite à l’agriculture dans leurs cadres d’intervention sectoriels, elles ont peu à peu développé des cadres portant sur leur maîtrise des risques sociaux et environnementaux des projets qu’elles financent, y compris de la responsabilité des investisseurs.. Ces cadres sont une première étape, mais sont encore insuffisants. Ainsi, la mesure de l’impact des projets en termes de sécurité alimentaire s’efface encore trop souvent derrière la recherche de rentabilité de l’investissement, ce qui amène les agences à choisir des projets d’ampleur, impliquant de gros acteurs agroindustriels.

Les premiers investisseurs qu’il faudrait soutenir pour lutter contre la faim, ce sont les agriculteurs et les communautés rurales elles-mêmes, capables, au plus près des territoires, de relever un double défi : renforcer les capacités de production locales, tout en respectant les Hommes et l’environnement. Une nécessité enfin reconnue et affirmée par un nombre croissant d’acteurs, y compris des institutions internationales (Banque Mondiale, PNUD…) et les agences de développement elles-mêmes. Elles doivent donc faire des choix plus clairs. Pascal Canfin, Ministre du Développement, a clairement annoncé sa volonté de faire avancer cette cohérence [[Déclaration M. Pascal Canfin, ministre du développement, New York le 23 septembre 2013. Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 septembre 2013]] : « Notre défi est d’identifier et de soutenir les investissements privés responsables qui bénéficient aux petits producteurs locaux et participent à accroître la sécurité alimentaire. (…) Nous devons nous assurer que les investissements des entreprises ne nuisent pas aux communautés locales où ces investissements sont réalisés. (…). Notre première priorité doit être de renforcer les exploitations familiales plutôt que les grandes exploitations agricoles. Il est scientifiquement prouvé que ce modèle représente le meilleur potentiel de production et de créations d’emplois et génère la majeure partie des richesses en milieu rural. (…). Dans bien des régions, l’investissement dans l’agriculture se fait au détriment des ressources naturelles existantes. La déforestation des zones tropicales provoque une grande diminution de la productivité des sols, et souvent une baisse de l’emploi dans ces régions sur le long terme, tout en contribuant au changement climatique ».

Les agences de financement du développement doivent également choisir des modalités de financement plus transparentes et lisibles, permettant de contrôler réellement les projets et leurs impacts. La multiplication des modes de financement via des intermédiaires rend ce suivi de plus en plus difficile.

En renforçant leurs exigences, les agences de développement pourraient ouvrir la voie à une mise en œuvre cohérente des règles internationales et des engagements des Etats.

Car, que les investisseurs privés internationaux aient d’autres priorités que la défense de l’intérêt général et la lutte contre la pauvreté n’a rien de surprenant. Mais quand les Etats, en quête de croissance et de rayonnement économique, les soutiennent, et d’autant plus lorsqu’ils agissent au nom du développement, il leur revient d’être exemplaires, et cohérents : soutenir tout et son contraire ne peut être viable.

Ils ont la responsabilité d’encadrer fermement ces investissements privés à l’aune du respect des droits humains et de la contribution à une lutte durable contre la faim et la pauvreté.

La souveraineté alimentaire doit primer sur la recherche du profit.

Catherine Gaudard
Directrice du plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire
7 octobre 2012

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