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Mali : les maraîchères plébiscitent l’agroécologie

Publié le 18.04.2016| Mis à jour le 23.01.2023

Engagée depuis l’adolescence auprès des femmes maliennes de sa région – en lutte incessante pour accroître leur autonomie et leur bien-être sur un territoire historiquement sinistrée – Mariam Sissoko, membre du Réseau des horticulteurs de Kayes (RHK), soutenu par le CCFD-Terre Solidaire, voit aujourd’hui l’agroécologie devenir la norme chez les paysannes.


Elle avance un peu au radar, dans la fraîcheur de ce matin parisien de mars 2016, mais il suffit d’une tasse de thé et d’une poignée de minutes pour que son charisme s’impose. À 60 ans, l’œil pétillant, Mariam Sissoko semble n’avoir rien perdu de l’appétit de l’enfant qu’elle fut et qui a mené à son terme huit années de scolarité.

Pas courant pour une fillette malienne au début des années 1960, a fortiori dans le cercle de Kayes, cette région très enclavée du Sud-Ouest, délaissée par l’État et qui a alimenté un important flux de migrants notamment après la grande sécheresse de 1973. « On a duré des décennies avec un manque d’eau chronique, des problèmes d’alimentation et de santé. Pas de route, pas de voiture, pas de train. » Pas de mosquée, pas d’organisation paysanne non plus. « Tous les bras valides s’en allaient vers les villes, les pays de la sous-région, la France. »

Plus tard, les migrants prouveront leur fidélité à la terre-mère. Grâce à l’argent de la diaspora et le retour des frères, la région de Kayes connaîtra un essor important. En attendant, le père veille à ne pas donner la main de Mariam à un gars qui lorgnerait vers d’autres horizons. « Nous avons deux fortunes à protéger, me répétait-il : l’école et le champ. » Sur la « vingtaine » de rejetons de la fratrie, elle ne compte qu’une sœur émigrée, qu’elle a visitée la veille à Villejuif, en région parisienne.

Se rendre utile en tant que femme

Dans cette région hémorragique d’hommes, que faire d’utile pour les femmes ? A la sortie de l’école, Mariam enchaîne sur une formation de « matrone ». « Les cousines, les belles-sœurs, les tantes étaient en situation de dépendance et de précarité. » Ce sont les chefs de famille qui réceptionnaient l’argent et les lettres envoyées par les maris ou les frères, partis pour cinq ou dix ans. « Et on ne laissait pas les femmes aller seules au centre de santé pour s’y faire soigner ! C’était dans les habitudes. »

Alors la matrone Mariam joue l’agent de santé bénévole et l’intermédiaire entre les femmes et les maris exilés. Le soir, elles se retrouvent pour boire ensemble le thé vert. « Certaines n’avaient même pas de quoi cotiser les 250 CFA ! » [[moins de 0,4 €]] Germe alors l’idée de « se mettre ensemble » pour des petits boulots qui rapporteraient un peu d’argent.

Mais comment s’organiser ? Les sœurs catholiques de Kayes, à qui on n’avait jamais demandé un tel conseil, renvoient sur la mission de Ségou, à plus de 800 kilomètres de Kayes. Mariam fait partie des trois femmes qui partent en expédition. Une révélation. « Nous avons rencontré quinze associations, que des femmes. Chez nous, il n’y en avait pas une seule ! » Fabrication de savon, de teintures naturelles, atelier de mouture de grains, alphabétisation, les trois Kayésiennes écarquillent les yeux.

Mariam, particulièrement séduite par l’impression des bogolans – ces tissus maliens aux motifs teintés avec des feuilles et de la terre – retient les étapes du processus. « Nous n’avions pas le matériel, mais en revanche, les mêmes arbres et les mêmes sols ! » De retour à Samé, il faudra quatre tentatives, sur des chutes, pour apprendre à maîtriser l’opération.

Et c’est le grand emprunt pour acheter vingt mètres de tissus blanc, qui donneront dix chemises… immédiatement achetées par une mission catholique en visite à Kayes, et qui, enchantée, en commande quarante autres. « À 5 000 CFA l’unité, nous étions lancées ! » La matrone ne lâche pas pour autant sa première mission d’entraide. Une fois par semaine, avec les sœurs, Mariam pratique la « nivaquination » – administration de nivaquine, antipaludique – des habitants, le ramassage des ordures, le traitement des enfants malades.

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Construction d’un moulin et partenariat à long terme

C’est en 1989 que Mariam fait étalage à grande échelle de son sens de l’à-propos et de sa pugnacité. « Nous étions toutes fatiguées de moudre à la main. Pourquoi ne pas mécaniser l’opération ? Il n’existait pas de moulin dans la région. » Oui, mais tout compris, avec l’abri, trois mois de fioul d’avance et la rémunération d’un meunier, il y en avait pour 2,1 millions de CFA. [[environ 3 200 €]] « Les sœurs ne nous croyaient pas capables d’assumer un crédit pour une somme aussi importante. »

L’activité du bogolan en apportera une partie. Un emprunt complète le reste, et chaque femme « cotise » en briques pour l’abri : un maçon veut bien faire le travail si on l’aide à acheminer l’eau et à mélanger le banco. « Une chance, parce que dans le village, c’est la désapprobation : les femmes n’ont pas à se lancer dans ce genre de projet.»

Au soir du premier jour, le mur est monté d’un demi-mètre. Impressionné, quelques hommes rejoignent le chantier, car visiblement, « c’est du sérieux ». La radio locale est derrière. « Les femmes de Samé ont osé. Qui va les aider à installer leur moulin ? » L’affaire est bouclée en une semaine. « Nous faisons aujourd’hui 15 000 CFA de recette par jour. L’emprunt a été remboursé en 12 mois au lieu de 18 ! »

La même année, le groupe obtient le récépissé de création de l’association Sini Guessigui (Prévoir l’avenir) – pionnière en son genre dans la région – alors qu’un programme de coopération canadien s’active pour créer des jardins potagers, de petits élevages et dispenser des formations en santé, animation, etc. « Mais notre association était trop petite pour eux. » Qu’à cela ne tienne, Mariam bat le rappel par le biais de la radio locale. « Rejoignez-nous tous ! » Et ça marche ! Les familles sortent dans la rue avec les tams-tams, et l’association, soudain très volumineuse, décroche un partenariat pour quatre années.

Créatrice de la Coordination des femmes de Samé

Mariam est repérée. Le programme l’incite à se former à l’animation à plus large échelle. Elle passera six mois à Bakel au Sénégal, aux mains du Groupe recherche réalisation développement rural (GRDR) – partenaire du CCFD-Terre solidaire. « Mon objectif : coordonner les organisations de Samé et de la zone. Nos succès avaient suscité la création de nombreuses autres associations de plus en plus concurrentes ! »

C’est elle qui incitera le GRDR à engager des coopérations avec des associations locales non liées à l’immigration. Mariam fait une étude sur cinq villages qui débouchera en 1993 sur la création d’une Coordination des femmes de Samé, qu’elle préside aujourd’hui.

Un levier formidable : ce sont 16 associations coalisées, regroupant plus de 4 000 femmes dans six communes limitrophes de Kayes, collaborant désormais avec de grosses organisations comme le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), la Coordination nationale des organisations paysannes maliennes (CNOP) ou le Réseau des horticulteurs de Kayes (RHK) [[dont Mariam est membre du Conseil d’administration]] qui regroupe 180 associations totalisant 23 000 maraîchers.

Une notoriété nationale

La Coordination gère aujourd’hui, entre autres, des périmètres de maraîchage et une caisse de microcrédit. Les femmes, « toutes paysannes », plantent des tomates et des aubergines pour les condiments et les sauces. Des revenus rentrent, l’alimentation s’améliore. « Toute cette activité a ramené dans les villages des moulins, des dispensaires, la traction attelée ! »

La Coordination a acquis une notoriété nationale « et même au-delà », se réjouit la présidente. « Avant, on disait que le climat était trop chaud pour le maraîchage. Aujourd’hui, 80 % des femmes de Kayes le pratiquent, grâce aux puits ou aux motopompes qui puisent dans la nappe ou le fleuve Sénégal. »

Mariam doit filer prendre son train direction Limoges pour une tournée de Carême en Limousin et en Auvergne, à la rencontre des groupes CCFD-Terre Solidaire. Mais avant de partir, elle tient à ajouter : « ce que l’on a engagé, avec tout ça, c’est le renversement d’une situation historique, avec l’avènement d’une agroécologie paysanne qui accroît le pouvoir économique et l’autonomie des familles. Mais aussi un changement des mentalités en vue d’autoriser l’accès à la propriété de la terre pour les femmes, qui leur est refusé par les traditions. »

Patrick Piro

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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