A la rencontre d’agriculteurs engagés

Publié le 07.01.2022| Mis à jour le 19.06.2023

Cet été, les bénévoles du CCFD-Terre Solidaire ont amené les touristes de passage sur la Côte d’Émeraude à la rencontre d’agriculteurs et agricultrices engagé.e.s.

À vol d’oiseau, un kilomètre sépare le phare du cap Fréhel de la ferme du Gros-Chêne, l’exploitation agricole de Matthieu Juhel. Comme vingt autres exploitations, la ferme apparaît dans la brochure éditée par l’équipe de bénévoles de la Côte d’Émeraude. « À l’occasion des 60 ans du CCFD-Terre Solidaire, nous avons imaginé, avec Bertrand et Jean-François, un rallye pour découvrir des fermes paysannes et solidaires, raconte Yves, bénévole à St Malo. Cette initiative autour de l’agroécologie fait écho à tous ces projets soutenus par notre association dans les pays du Sud. » L’équipe de bénévoles du CCFD-Terre Solidaire a travaillé en partenariat avec le Réseau Bretagne Solidaire [1] et quelques groupements d’agriculteurs bio des Côtes-d’Armor, afin de sélectionner un certain nombre d’exploitations bio : maraîchage, élevage, production laitière… La plupart des agriculteurs sont installés depuis des années, mais d’autres, comme Matthieu, débutent.

La terre agricole : rare, chère et très prisée

Ce fils de paysan a suivi une formation de paysagiste, puis a séjourné un temps en Australie et pratiqué divers métiers assez éloignés de l’agriculture. « Éleveurs de porcs dans un système très conventionnel, mes parents ont tout fait pour que leurs enfants n’entrent pas dans cette profession. » Pourtant, il y a quatre ans, Matthieu s’est lancé dans un projet d’exploitation agricole. « Sur un autre modèle que celui des parents, reconnaît le jeune homme de 28 ans. Je n’avais pas eu envie de travailler dans la ferme familiale, car nous n’avons pas la même idée de l’agriculture. J’ai préféré m’installer ailleurs. Mais ils me soutiennent à 100 %. » Les parents ont en effet financé la vieille ferme où s’est installé leur fils, quasi abandonnée depuis 25 ans, ainsi que les 7 hectares de terre, éloignés de quelques kilomètres. Matthieu a choisi une culture assez « exotique » pour la Bretagne : le houblon. Une expérimentation sur un demi-hectare qui, les deux premières années, ne donna guère de résultats. L’année dernière, il en a récolté 60 kg vendus à des brasseries régionales. « Mais l’objectif à terme, c’est d’obtenir 400 à 500 kg de houblon. » Quand un agriculteur voisin a pris sa retraite, ses parents ont à nouveau financé 25 hectares. « Il fallait faire vite, c’était une opportunité », explique Matthieu. Il décide, tout en gardant un travail à temps partiel, de se lancer dans l’élevage de brebis destinées à la reproduction d’agneaux. Il en possède 50 et l’année prochaine, il devrait avoir un troupeau de 200 têtes. Mais les acquisitions foncières pèsent lourd sur les épaules des parents. « Quand je serai définitivement installé à plein temps en 2022, je devrai tout leur racheter. Cela représente environ 200 000 €. Alors j’aimerais que le GFA Sol en Bio me rachète les terres et me les loue. Sinon, je ne pourrai pas m’en sortir. »

« Notre idée était d’attirer les touristes de la côte vers les fermes et de leur faire découvrir des producteurs, mais aussi d’évoquer la situation des paysans dans les pays du Sud », précise Bertrand, bénévole. Une brochure, imprimée à 10 000 exemplaires, a été distribuée dans les offices du tourisme de la région. Hélas… après six semaines, il n’y a eu que très peu de visites chez les agriculteurs. « C’est un semi-échec, reconnaît Yves. Que les gens prennent leur voiture pour se rendre sur les exploitations, c’était un peu un prétexte. L’idée, à travers cette proposition touristique, c’était surtout de parler du CCFD-Terre Solidaire ». Matthieu, l’éleveur de brebis, lui a vu cela « comme une opportunité de montrer l’importance de l’agroécologie, de faire prendre conscience de l’importance de replanter des arbres, de manger local. Une occasion aussi de donner un visage un peu plus humain à l’agriculture ».

Essayer de sensibiliser les touristes à l’agroécologie

Mathieu Juhel

Dans leur ferme, à Pléneuf-Val-André, Hervé et François Talbourdet et leur nièce Marie élèvent des brebis. Pendant des décennies, ils ont pratiqué l’élevage conventionnel de vaches laitières. La conversion en bio s’est faite en 2001, et comme à cette époque il n’y avait pas de collecte de lait bio, les deux frères se sont lancés dans la transformation : yaourt, beurre, fromage blanc. Mais, à la suite d’un souci sanitaire, l’exploitation a failli fermer. « Nous nous sommes aperçus qu’on avait un peu trop délaissé la production au profit de la transformation », admet l’éleveur. Ils se séparent des vaches et se tournent vers l’élevage de brebis laitières. Après une période d’adaptation, Hervé et François ne regrettent rien : « Avec les changements climatiques, nos terres semblent mieux adaptées pour ce type d’élevage.» Le troupeau de 140 têtes occupe la moitié des terres. D’autres parcelles sont semées en blé (vendu à un artisan boulanger).
« Nous sommes principalement en location et notre surface a doublé en 30 ans. Mais nous commençons à “lâcher” des terres. Pour beaucoup d’agriculteurs, c’est compliqué de trouver de nouvelles terres », souligne Hervé.

L’importance des circuits courts

Les produits de la ferme, essentiellement des fromages, sont vendus dans des boutiques bio et par une Amap. Avec d’autres producteurs, François et Hervé ont créé un système de vente sur Internet : la Binée paysanne. « C’est important le circuit court », précise Hervé. Son autre cheval de bataille, c’est la souveraineté alimentaire à l’échelle de la planète : « Pourquoi les producteurs français exportent leurs poules réformées vers l’Afrique ? Cela tue la filière locale. Et, à l’inverse, s’il y avait un jour un problème d’approvisionnement en soja, importé d’Amérique du Sud, car moins cher, comment pourrions-nous nourrir le bétail puisque nous n’en produisons pas ? Sans parler des dégâts écologiques dus à ce genre de culture. Dans notre ferme, nous visons l’autonomie, et nos brebis ne se nourrissent que d’herbe, pour avoir le moins d’impact possible sur les pays du Sud. »

Un autre modèle économique agricole est possible

Claire et Yann Yobé

Claire et Yann Yobé ne sont pas non plus propriétaires. Ils louent leurs bâtiments et leurs terres depuis 1994. Avant eux les parents et aussi les grands-parents de Yann en furent locataires. « On a calculé qu’en partant du prix de la location, il nous faudrait 42 ans pour payer les terres et les bâtiments, précise Claire. Et après 30 ans d’exploitation, nous n’avons aucune dette. » Il n’y a pas non plus de gros engins ni de haute technologie dans la salle de traite. Les quarante vaches laitières paissent dans les prairies. « C’est un troupeau qui, pour le secteur, peut sembler ridicule, reconnaît Yann. Mais le bio est aussi une façon de valoriser le produit et donc de s’en sortir. »
Claire fabrique aussi une centaine de kilos de pain par semaine. Elle les vend également par l’intermédiaire de l’association La Binée paysanne. « Nous avons toujours voulu avoir une vie à côté de notre activité », explique-t-elle. Savoir s’arrêter, prendre des vacances et ne pas toujours travailler. L’image de l’agriculteur croulant sous le travail afin de rembourser ses dettes est un peu écornée. Le couple prouve ainsi qu’un autre modèle économique est possible. Bientôt Claire transmettra son savoir-faire à un jeune en installation. « Nous avons toujours eu cette philosophie d’aider les autres. Nous accueillons des stagiaires et des woofeurs [2]. » Les liens, l’entraide, la création des réseaux sont importants pour ce couple qui a monté une association culturelle et a transformé une grange en salle de spectacle où se déroulent des pièces de théâtre, des concerts. C’est ici que les bénévoles du CCFD-Terre Solidaire ont organisé, le 11 septembre dernier, une grande fête de l’agroécologie, avec un marché paysan, une exposition et une randonnée « rallye thématique », au son de la musique et d’explications sur l’agroécologie, l’accès au foncier ici et dans les pays du Sud. « À travers ce rallye, nous avons semé. Sur le long terme, on ne sait pas encore sous quelle forme pourra se poursuivre ce projet, conclut Bertrand. La Bretagne, première région agricole française, est en pleine mutation. L’agriculture intensive industrielle a permis d’enrichir considérablement son économie, mais aussi a détruit partiellement l’environnement. Nous avons pensé qu’il était important de mettre l’accent sur des pratiques agricoles vertueuses, certes minoritaires, mais qui se développent. »

Texte et photos : Jean-Michel Delage/Hans Lucas. Article paru dans Echos du Monde

[1] Le Réseau Bretagne Solidaire est né de la fusion de deux réseaux bretons dédiés à la coopération et à la solidarité internationale https://www.bretagne-solidaire.bzh/

[2] Les bénévoles (les Woofeurs) s’initient aux savoir-faire et aux modes de vie  biologiques, en prêtant main-forte à des agriculteurs ou particuliers (les hôtes) qui leur offrent le gîte et le couvert.

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