Publié le 27.01.2012 Mis à jour le 01.02.2012
La ou le futur Président(e) de la République élu(e) et son gouvernement devront répondre à une question cruciale : comment réduire la dette publique de notre pays pour financer des politiques publiques de qualité ? Si les caisses de l’Etat sont « vides », ce n’est néanmoins pas aux citoyens de consentir encore plus d’efforts au prix de leur santé, de l’éducation de leurs enfants ou de leurs droits sociaux. Des solutions existent mais, malheureusement, elles ne sont pas appliquées. Selon les estimations, la fraude fiscale prive l’Etat de 50 milliards d’euros chaque année, dont 20 sont le seul fait de la fraude internationale, notamment celles des multinationales via les paradis fiscaux. A cela s’ajoutent encore l’optimisation fiscale et la baisse des taux d’imposition du fait de la concurrence fiscale entre les pays (de 44 à 33% entre 1986 et 2006). Dans les pays du Sud, l’évasion fiscale des entreprises multinationales génère un manque à gagner pour les Etats de 125 milliards d’euros par an (soit plus que l’aide publique au développement) [1]. Autant de ressources qui ne peuvent être affectées aux services essentiels pour les populations les plus démunies.
Les listes de paradis fiscaux établies par le G20 se sont vite vidées... Mais le problème n’a pas pour autant disparu. A ce jour, les mesures mises en œuvre, en France, ont permis de récupérer moins de 3% des recettes perdues. Seuls les « petits fraudeurs » ont été pointés du doigt, alors que les plus grands utilisateurs des paradis fiscaux, à savoir les entreprises multinationales et les banques internationales, n’ont pas été sérieusement inquiétés.
Pour mettre fin au scandale de l’évasion fiscale qui siphonnent les ressources publiques, il est urgent de faire preuve de courage en prenant des mesures concrètes et efficaces. Au delà de l’apport de ressources publiques conséquent, ces mesures permettront de remettre la justice sociale au cœur des sociétés au Nord comme au Sud, et de réaffirmer le rôle des Etats dans le pilotage de l’économie mondiale.
En France
Dans les pays du Sud
« On nous explique que le développement passera par le soutien à des investissements privés. Or aujourd’hui, les ressources qui nous échappent à travers l’évasion fiscale des entreprises multinationales nous privent de moyens indispensables pour financer nos politiques d’éducation, de santé ou de soutien à l’agriculture. »
Sandra Kidwingira du Réseau pour la justice Fiscale en Afrique
Les multinationales et les banques sont les premières utilisatrices des paradis fiscaux. Elles déjouent les contrôles et profitent de l’opacité et des lacunes des règles comptables en vigueur pour contourner l’impôt. Elles jouent notamment sur les transactions à l’intérieur du groupe qui n’ont d’autre objectif que de déplacer artificiellement les profits et de réduire les bénéfices des filiales situées dans les pays à fiscalité normale, notamment en France ou dans les pays en développement.
La première étape pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale est de renverser la charge de la preuve : il revient aux entreprises de démontrer qu’elles n’utilisent pas les paradis fiscaux à des fins d’évasion fiscale. Les pays du G20 ont demandé pour la première fois, dans leur déclaration de Cannes, « aux entreprises multinationales d’améliorer la transparence et de respecter pleinement les législations fiscales applicables ». Pour l’heure, on ne connait même pas la liste exhaustive des filiales des entreprises multinationales. Ainsi, Total ne publie la liste que de 217 filiales sur les 712 que l’entreprise consolide dans ses comptes [5].
Pour cela, il suffit, et il est urgent, d’exiger qu’elles fournissent un reporting comptable pays par pays couvrant l’ensemble des territoires dans lesquelles elles sont présentes. Cette mesure de transparence aura un effet dissuasif. Elle permettra de mettre fin aux pratiques de contournement de l’impôt les plus abusives. Outil indispensable pour mener des contrôles fiscaux efficaces, elle permettra en outre à la société civile au Nord comme au Sud de mieux mesurer les efforts de leurs gouvernements pour exiger une juste contribution fiscale des entreprises qui opèrent sur leur sol.
Imposer la transparence financière pays par pays des entreprises multinationales.
Comment ? L’Etat français peut agir très vite et faire preuve d’exemplarité. Il doit imposer ces règles à toutes les entreprises bénéficiant de marchés et de garanties publics. Leur accès doit être conditionné à la publication par l’entreprise concernée des informations comptables pays par pays demandées sur l’ensemble des pays dans lesquels elle opère :
Dans le cadre de sa politique de coopération internationale, l’Etat doit à minima exiger de la part de sa banque de financement, l’agence française de développement (AFD) et sa filiale dédiée au financement du secteur privé, PROPARCO, qu’elles imposent de telles règles de transparence à toutes les entreprises avec lesquelles elles travaillent.
[1] Christian Aid, 2008
[2] Rapport du CCFD-Terre Solidaire, « L’économie déboussolée. Paradis Fiscaux, Multinationales et Captation des richesses », Décembre 2010. Sur la base de l’indice d’opacité financière développé par le Réseau pour la justice fiscale (Tax Justice Network).
[3] Conseil des Prélèvements Obligatoire, Oct. 2009
[4] Document de travail du FMI de janvier 2012, A. Abbas et A. Klemm.
[5] Cf. rapport « L’économie Déboussolée », CCFD-Terre Solidaire, décembre 2010