Témoignages du siège de la Ghouta en Syrie

Publié le 02.03.2018| Mis à jour le 08.12.2021

Alors que le siège de la Ghouta à Damas en Syrie se poursuit, l’association Syrie MDL recueille et traduit des témoignages des habitants. Leurs mots font revivre la souffrance, les prières et la rage d’une population civile bombardée et affamée

Nous nous sentons tellement impuissants, si nous pouvons porter leurs messages, j’en serai heureuse.

Racha ABAZIED
Présidente de l’Association Syrie MDL


Message de la Ghouta #26

On aurait dit le jour du jugement dernier !
Des gens courent et crient partout, des personnes en vêtement d’intérieur, pieds nus. Des voitures remplies de monde qui roulent à plus de cent à l’heure. Et moi qui appelle et hurle en cherchant mes proches.

Habituellement ce genre de scènes se termine par un réveil soudain, d’un rêve, ou plutôt d’un cauchemar collectif.
Combien aimerais-je que ce soit réellement un cauchemar ! Au moins, on peut se réveiller d’un mauvais rêve, et c’est terminé. Mais nos journées semblent devenir pires que les cauchemars !

Je cours en tirant ma fille par la main et en gardant un œil sur mon fils.
Une petite fille de 5 ans crie en notre direction : « Dites-leur de ne pas nous tuer, dites-leur de ne pas nous tuer ! » Je n’ai aucune phrase pour la rassurer.

Le Mig est visible très clairement au-dessus de nos têtes, suivi d’un hélicoptère qui vole très bas et doucement, tout en bombardant. Il est tellement proche qu’on pourrait presque l’atteindre par une balle de pistolet.
On entend des tirs de balles derrière nous aussi, j’ignore leur provenance exacte. Mais je suis sûre qu’il ne s’agit pas d’accrochages entre militaires et combattants et elles ne visaient pas l’avion non plus.

Nous avons couru presque une heure comme des affolés dans les rues. Et la petite fille a continué tout le long à répéter la même phrase « dites-leur de ne pas nous tuer. »
Maya, ma fille, qui fait la forte, me dit : « Maman, tu vois, je n’ai pas pleuré ! » Alors qu’en réalité, elle pleurait mais ne s’en rendait même plus compte. Elle me demande : « Pourquoi tu as laissé mon bébé (son doudou) dans l’abri ? » et « Je veux ma valise rose, j’aime ma valise rose. »

Je cours et j’essaie de la rassurer en disant qu’elle en aura d’autres des jouets à l’avenir. Je voulais absolument lui dire qu’on ira toutes les deux acheter de nouveaux jouets et qu’elle choisira elle-même tout ce qui lui plaira. Elle a semblé d’accord, mais elle a ajouté « moi, j’aime mon bébé ».

La petite fille qui criait « dites-leur de ne pas nous tuer », s’est réveillé en pleine nuit et a dit à sa mère : « Si je fais sur moi, ne m’en veut pas maman, hein ? » Pourtant, elle avait été aux toilettes avant de s’endormir. Mais on ne sait ce qui lui est passé par la tête, ce qui l’a réveillée la nuit ? Peut-être la même peur qui l’avait poussée pendant notre course à demander d’aller aux toilettes. Demande qu’elle a répétée trois ou quatre fois à notre arrivée dans l’abri avant de se coucher. Au milieu de la nuit un petit garçon s’est mis à crier pendant son sommeil : « Attendez-moi… Maman, attend moi… Amina, ne me laisse pas ! »

Comment trouver le sommeil, alors que les visons du jour poursuivent nos enfants la nuit ?
Nous sommes très nombreux à être entassés dans cette pièce exiguë. Et les barils explosifs et les hélicoptères n’ont pas arrêté de toute la nuit.

On ne sait même pas ce qui se passe dehors, on parle de : passages, exode, tueries…
Chaque minute qui passe sans rejoindre le passage sécurisé à toute vitesse, signifie être massacré.
Malgré cela, silence, négation, et négation…
Nous sommes encore vivants.
Soyez-en rassurés !

Nivin Hotary – Ghouta orientale
.

Message de la Ghouta #6

Depuis une fenêtre minuscule, tout en haut de notre cellule collective au sous-sol, je regarde le monde…
Le ciel est loin et difficile à distinguer, bloqué par tout type d’avion : MiGs, Sukhoi, aviation d’exploration.
Notre météo est pleine de barils mais aussi de nouvelles roquettes dont le son nous est encore inconnu, accompagnés d’averses d’éclats.
La destruction qui s’en suit est massive !

A travers cette fenêtre, on est convaincu qu’il y aura une lumière au bout de ce long tunnel, qu’après la pluie, il y aura le beau temps ! On rigole de choses qui normalement ne sont pas drôles. On se rappelle de vieux souvenirs, on rit, on crie, on a peur et on retourne pour regarder par la fenêtre.
On respire par cette fenêtre, mais la nuisance, la poussière et les éclats nous atteignent par la même voie.

Le temps passe et mes yeux restent collés à cette fenêtre. Beaucoup d’enfants autour de moi la fixent aussi.
Un enfant de quatre ans répète sans arrêt la même prière « Seigneur, protège-nous de leur nuisance », il se bouchait les oreilles chaque fois qu’on entendait les bombardements. Hélas, les bombardements n’arrêtent pas et ses petits doigts n’ont pas eu de répit. Je l’ai vu s’endormir par épuisement. Il s’est couché tout en protégeant ses oreilles avec ses mains et peu à peu ses mains se sont relâchées, soudain il a sursauté horrifié par le bruit d’un baril largué.
Une autre fillette changeait sa place chaque fois qu’elle entendait les bruits assourdissants, tout en battant ses bras comme des ailes, je ne comprenais pas pourquoi elle faisait ça. Elle non plus j’imagine, elle se sentait peut-être en en sécurité en le faisant, qui sait ?

Maya ne cesse de répéter la même question : « Maman tu m’aimes ? » Serait-ce sa façon de comprendre ce qui lui arrive ? Les attaques du régime seraient pour elle l’absence d’amour, et elle veut s’assurer du mien ? Qusay vieillit prématurément, il a peur mais refuse de l’exprimer.

Maintenant, je suis liée à cette fenêtre. Auparavant, ce n’était qu’une simple fenêtre discrète au bord d’un trottoir. Tant de gens sont passés à côté sans la remarquer. Je crains qu’il soit de même pour nous, que tant de gens passent à côté nous sans nous prêter attention.

Nivin Hotary
22/02/2018
Traductrice: N.A.

D’autres [ http://www.syriemdl.net/message-de-la-ghouta-28/] sont à lire sur le site de l’association Syrie MDL (Syrie moderne démocratique et laïque)

Pour mieux comprendre le siège de la Ghouta,
https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-01-mars-2018

Lire aussi notre communiqué : Des ONG humanitaires dénoncent les attaques explosives empêchant l’acheminement de l’aide humanitaire dans la Ghouta orientale malgré la résolution de l’ONU

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