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Le soutien du CCFD-Terre Solidaire depuis le séisme
L’année 2010 avait été marquée par l’engagement rapide de fonds d’urgence totalisant 430 000 € auprès des organisations haïtiennes partenaires pour la mise à disposition d’un fonds de solidarité pour à faire face aux besoins de première urgence des populations (kits alimentaires, remise en état de maisons, reprise de la scolarité des enfants…), la fourniture d’abris pour les populations sinistrées (150 tentes et 3 000 bâches), l’accès aux soins des populations (dispensaires aux Palmes et Delatte, mission médicale par des bénévoles du réseau du CCFD-Terre Solidaire du Loiret : 200 à 300 personnes par jour ont pu être soignées dans des zones rurales abandonnées ou des camps de réfugiés (Gressier – clinique mobile et Mariani), la reconstitution de la capacité d’intervention des organisations locales et la fourniture de semences vivrières locales.
L’année 2011 a constitué une phase assez longue de formalisation et écriture de projets avec les partenaires. Elle a abouti à des engagements financiers importants dans des projets de développement à long terme :
- le renforcement de l’accès au financement rural et le lancement du Fonds rural d’investissement et de crédit solidaires, pour relancer l’activité et la production de valeur ajoutée dans les campagnes (convention de partenariat tripartite CCFD-SIDI-KNFP de 600 000 € sur 4 ans, signée en octobre 2011)
- appui aux collectivités locales des sections reculées de Petit Goâve (convention de partenariat avec Concert-Action de 320 000 € sur 3 ans, signée en janvier 2012)
A venir :
- développement de la filière mangues avec ITECA à Gros Morne (projet de 1 100 000 € en attente de cofinancement)
- projet d’accès à l’eau potable à Grand Goâve avec Concert-Action (50 000 € du CCFD-Terre Solidaire sur un budget de 236 000 €)
- processus de décentralisation de l’institution ITECA en créant 4 agences régionales pour être au plus près des populations rurales et renforcer le mouvement paysan dans tout le pays (convention de partenariat à venir – 1er semestre 2012)
Au total, au 20 décembre 2011, 1 080533 € ont été engagés sur les 2 147 679 € collectés suite au séisme. Début janvier, le montant des engagements passera à 1 400 533 €, et à 1 900 533 € au cours du premier semestre 2012.
La longueur de ce temps d’écriture des projets confirme l’intuition du CCFD-Terre Solidaire et de ses alliés concernant le besoin de renforcement des capacités des partenaires. Aussi, l’année 2011 a vu la mise en place mesures de renforcement de leurs capacités, qu’elles soient incluses dans les conventions de partenariat (embauche de personnels spécialisés, création d’une cellule projet chez Concert-Action, d’un poste de responsable du suivi des réseaux d’eau pour assurer leur pérennité, audits institutionnels…), réalisées en mutualisation dans le cadre de la CIDSE (formations sur l’approche genre, sur la capitalisation / systématisation d’expériences) ou à venir (formation au montage de projet ou de cofinancements, formation de nouveaux responsables, envoi de volontaires…).
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Le CCFD-Terre Solidaire a engagé 420 000 €
Dans la phase d’urgence, le CCFD-Terre Solidaire a engagé 420 000 € auprès de ses partenaires selon 5 axes.
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La Cellule de Réflexion et d’Action Nationale (CRAN) tire la sonnette d’alarme et prend position
La Cellule de Réflexion et d’Action Nationale (CRAN) des Jésuites et de la Société Civile suit avec préoccupation les évènements de la vie sociopolitique haïtienne.
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3 mois après le séisme, retour de mission
Nous arrivons en Haïti 3 mois après le séisme. Depuis l’aéroport, en partie détruit, jusqu’à notre hôtel situé sur les hauteurs de la ville, nous ne faisons que circuler entre les gravats et les tentes. Port au Prince est en ruines : même les bâtiments encore debout présentent des fissures, qui en laissent deviner la fragilité.
La population ne s’y trompe pas, qui s’est réfugiée dans des camps, spontanés ou établis par les organisations humanitaires et l’ONU. Ils pullulent dans toute la ville : les jardins publics et privés, les abords des routes, les terre-pleins centraux, les lits des rivières. Une partie des déplacés a trouvé refuge aux abords de la ville, dans un terrain vague entouré de marais, où les plantes croupissent dans l’eau saumâtre et dégagent une odeur pestilentielle. On observe les signes avant-coureurs d’un bidonville de grande ampleur : groupes électrogènes, logique d’occupation de l’espace à partir de ses frontières extérieures, regroupements des cabanons et petit commerce : tout indique que les réfugiés ont l’intention de s’établir durablement.
L’effondrement provoqué par le séisme ne concerne pas seulement le bâti : la désintégration du Palais présidentiel et des principaux bâtiments administratifs de la ville (trésor public, palais de justice, etc.) vient faire coïncider image mentale et image réelle. Face à la déréliction de l’Etat, au moment de la pire crise humanitaire qu’ait connue le pays depuis deux siècles, les haïtiens se retrouvent livrés à eux-mêmes.
Ils font face avec un étrange mélange de résignation et de force de volonté. Les scènes quotidiennes donnent d’infinis exemples de cette ambiguïté : marchés actifs où les vendeurs de bric à brac de tout poil côtoient les commerçants de fruits et légumes, voire les maraîchers écoulant eux-mêmes leur production ; jeunes filles se promenant en robes du soir et talons-aiguilles parmi les décombres pour se rendre au bal, la veille de Pâques ; prêtres et prédicateurs établis sur le perron des temples, ou sous le couvert de bâches improvisées : la vie est foisonnante dans cette ville en débris. La chaussée est encombrée de voitures, tac-tac, motos, camions, charrettes. Les vendeurs de lotos ont repris leur faction dans les cabanes-guérites situées au coin des rues. Les grillades, banane pesées, douce makousse, pistaches (arachide) et autres spécialités de la rue, se vendent aux carrefours, où retentissent, diffusées par des postes de radio montés sur des charrettes ou des tréteaux, les mélodies d’Haïti. Trois mois après le séisme, la vie semble avoir repris à Port au Prince, comme partout ailleurs dans le pays.
Et pourtant, le spectacle désolant des brigades de jeunes et de femmes employés par les programmes de « cash for work » pour dégager, par pelletées infinitésimales, les millions de mettre cubes de bêton, tôles froissées, fils et barres de fers, lambeaux de charpente, etc. démoralise les Haïtiens, pourtant habitués aux catastrophes et revers de fortune. A peine aperçoit-on, ici et là, quelques grues, dont certaines seulement sont actives. Tantôt, un convoi de camions chargés de déblais traverse la ville. Partout ailleurs, le « fatras » s’amoncelle, donnant à la ville des allures de décharge.
A cela s’ajoute le climat des « affaires », qui ont repris de plus belle : le trafic des déblais, dont des entrepreneurs sans scrupules ont tout de suite perçu l’intérêt (ils font un excellent remblai à jetées ou polders), est de notoriété publique. Les destructions ont fait ressurgir de vieux conflits fonciers, y compris dans des zones d’occupation très ancienne, et attisé toutes les convoitises : ainsi, les résidants, dépossédés de tous leurs biens, endeuillés par la mort de leurs proches, doivent-ils encore défendre leur parcelle contre des individus exhibant des titres de propriétés, parfois vieux de plusieurs siècles. Pendant ce temps, la classe politique est en proie aux hésitations, ambitions étroites et calculs de courte vue. Les initiatives positives (telle la commission, composée d’élus et de représentants de la société civile, chargée de débattre des propositions de reconstruction de la ville de Port au Prince, et où siège la vice-présidente du KNFP, partenaire du CCFD – Terre Solidaire et de la SIDI) sont rares, et ne sont pas exemptes de ces mêmes défauts.
Il est évident que les problèmes d’Haïti n’ont pas été modifiés en substance par le séisme. Le caractère anarchique de Port au Prince, envahi par les bidonvilles, est accentué par les destructions (d’autant plus importantes que le quartier était pauvre). L’économie informelle, qui repose comme partout sur le petit commerce essentiellement, fleurit en raison de l’exode rural massif (conséquence de l’appauvrissement des campagnes) et de l’absence de débouchés dans les secteurs formels (industrie d’assemblage dans les zones franches).
L’appauvrissement des campagnes (qui est un phénomène mondial, et qui touche tout particulièrement les zones montagneuses, par nature peu compétitives) dont on observe les conséquences désastreuses jusque dans le paysage, n’est donc pas ici compensé par l’essor d’une économie secondaire et tertiaire. Les paysans, chassés par la misère tout autant qu’attirés par la perspective d’accéder aux services (en particulier éducation et santé) concentrés dans les villes, viennent s’entasser dans des quartiers-boyaux s’égrainant le long des vallées qui descendent vers la côte.
Le développement rural s’impose dès lors comme une évidence. Le pays ne peut prétendre renverser la tendance actuelle qu’en modifiant totalement son rapport à l’espace. Ceci implique, en particulier, de faire de l’espace intérieur un « marché », où circuleraient les produits nationaux, et où ces derniers pourraient franchir diverses étapes de transformation. L’espace intérieur doit donc devenir tout à la fois un espace de production et de commercialisation. C’est une véritable révolution au regard de l’histoire haïtienne, les élites n’ayant jamais conçu le marché que comme extérieur (depuis la colonisation, tous les choix –d’implantation urbaine, de mise en culture, de gouvernance, etc.- répondent à des impératifs et à des contraintes extérieures).
Xavier Ricard Directeur des partenariats internationaux
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Défi et urgence de la reconstruction
Paris, le 27 janvier 2010
Le CCFD-Terre Solidaire face au défi de l’urgence et de la reconstruction.