En Asie chanter pour s’unir face à l’autoritarisme

Publié le 22.08.2022

Des réseaux de solidarité et de cocréation s’organisent entre artistes en Asie. Une manière de se sentir plus fort face à la montée de l’autoritarisme et à la réduction des espaces de contestation dans de nombreux pays.

©Œuvre d’un artiste birman resté anonyme pour des raisons de sécurité.

Dans les jours qui ont suivi le coup d’État des militaires birmans contre le gouvernement de Aung San Suu Kyi, le 1er février 2021, les artistes ont réagi avec leurs armes : des dessins, des performances, des poèmes et des chansons. Les réseaux sociaux se sont couverts de leurs œuvres. Ils y appelaient la population à se mobiliser contre la confiscation du pouvoir par l’armée. Sublimés par les graphistes, on voyait notamment les trois doigts levés. Inspiré de la série Hunger Games, ce geste est devenu le symbole de ralliement dans les manifestations face aux pouvoirs autoritaires en Asie.

À la force des militaires birmans, les artistes ont opposé leurs créations. Un réconfort pour se sentir plus fort. « Mais aussi un outil marketing pour attirer l’attention du monde extérieur », complète un illustrateur birman. « Vous combattez la mauvaise génération (…) nous nous battons pour la véritable révolution », clame le groupe birman Rap against junta dans « Dictators must die », un morceau multilingue coproduit avec des artistes indiens, thaïlandais, hongkongais et indonésiens.

Cette génération utilise Internet comme une caisse de résonance et un moyen d’organiser les solidarités. Unie face à la même menace : le recul des libertés et de la démocratie dans la région. La brutalité de la junte birmane ne résonne-t-elle pas avec celle employée par Pékin pour balayer les revendications démocratiques des habitants de Hong Kong ? Que dire des hommes forts qui en Inde, aux Philippines, au Cambodge ou en Thaïlande imposent leur joug ?

Faire de la musique et des chants une arme de mobilisation et de plaidoyer, c’est la raison d’être de l’Asian Movement for Peoples’ Peace and Progress (AMP3), qui vise à favoriser la création collective par des musiciens et chanteurs asiatiques. « L’AMP3 rassemble des artistes du Cambodge, d’Indonésie, des Philippines, de Timor-Leste et de Thaïlande. Ce groupe est né en 2019 au terme d’une session de co-écriture et d’enregistrement à Bangkok. Son premier album s’appelle A Village in the Making : Peoples’ Music from Southeast Asia », raconte Joseph Purugganan, de Focus on Global South, partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Pour fédérer des musiciens et créer l’AMP3, Focus on Global South s’est appuyé sur l’expérience et le réseau régional de l’artiste philippin Jess Santiago, figure emblématique de la lutte contre la loi martiale (1972-1986) aux Philippines.

Décrypter les maux de la société

Depuis quelques années déjà, témoigne Bong Ramilo, musicien philippin membre de l’AMP3, des discussions avaient lieu en marge des sommets de l’Organisation mondiale du tourisme ou de l’ASEAN à Bali ou à Manille pour affirmer la place de la culture au sein de la société civile. « Au-delà de son aspect de divertissement, nous voulions faire en sorte que la question de la culture soit prise en compte dans les processus de décision. La culture est une composante importante des groupes sociaux », détaille Joseph Purugganan.

« Musiciens, universitaires, et activistes. Nous sommes un peu de tout cela », résume Bong Ramilo pour qualifier les membres d’AMP3. Ce cocktail est indispensable à ses yeux pour analyser, décrypter les maux de la société avant de les transcender et les mettre en musique.

Mais face à la répression brutale et aux armes que peuvent les chansons ? Aux Philippines, trois musiciens, éducateurs dans une ONG, ont été tués à Mindanao, ciblés pour avoir été désignés comme « des rouges », un terme les associant à la guérilla communiste pourchassée par le gouvernement du président Rodrigo Duterte.

Le réseau AMP3 nous permet de nous épauler les uns les autres face à des lois de plus en plus liberticides.

Pech Polet, directrice de Women’s Network for Unity, au Cambodge.

En Birmanie, plusieurs poètes sont morts sous les balles des militaires, visés ou torturés pour leurs mots galvanisant tout un peuple contre l’armée. Certains sont emprisonnés. De nombreux artistes sont partis en exil ou se cachent. Depuis février 2021, 1874 civils ont été tués par l’armée, selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques.

Pour Bong Ramilo, le musicien philippin, « chanter est un moyen d’affirmer notre humanité. Chanter constitue parfois un acte politique », dit-il rappelant la répression en Amérique du Sud dans les années 1980 contre ceux qui entonnaient les chants en langues autochtones ; ou le testament laissé par le syndicaliste américain, Joe Hill, exécuté dans l’Utah en 1915 et popularisé par les chansons contestataires. « Organisez-vous ! » disait Joe Hill avant de mourir.

Et c’est bien le rôle de l’AMP3. En signe de solidarité, en août 2021, le groupe a dénoncé l’arrestation à Hong Kong du chanteur Anthony Wong affirmant « le droit fondamental des musiciens, poètes et artistes d’utiliser la culture pour éclairer et éduquer ». Un soutien « précieux », témoigne Pech Polet directrice de Women’s Network for Unity (WNU), une des organisations cambodgiennes, membre de United Sisterhood Alliance. « Ce réseau régional nous permet de nous épauler les uns les autres face à des lois de plus en plus liberticides. »

Le Covid-19, prétexte pour restreindre les libertés

« L’art n’est pas forcément plus efficace, admet Chea Sarat de Messenger Band. C’est une manière non violente de revendiquer ses droits, de plaider pour certaines causes. »

Face à la réduction des espaces de contestation, les chants, les hymnes permettent de se reconnaître, de favoriser la mobilisation ou d’exprimer sa solidarité, défend néanmoins Joseph Purugganan, soulignant combien les jeunes Birmans ont repris à leur compte des chansons de résistance de leurs aînés. Le célèbre « Thway Thitsar » (« Serment du sang ») de Htoo Ein Thin, hymne de la révolution de 1988, a été entonné en cœur dès les premiers jours des manifestations en février 2021.

Au delà de son aspect de divertissement, la culture est une composante importante des groupes sociaux »

Joseph Purugganan, de Focus on Global South

« Jamais je n’aurais pensé chanter ces airs à nouveau, et cette fois-ci avec les personnes de l’âge de mon fils, écrit le journaliste birman Mon Mon Myat, sur le site Reporting Asia. Avant le coup d’État, je pensais que cette génération n’était intéressée que par trois choses : manger, dormir et jouer aux jeux vidéo. Ils m’ont prouvé le contraire. Très vite, ces jeunes ont entonné les chansons produites durant le mouvement démocratique de 1988. Ils n’étaient même pas nés à l’époque, mais ils connaissent désormais par cœur ces chansons, apprises à partir des versions imprimées qu’ils se partagent et des airs chantés par leurs parents. »

La propagation du Covid-19 a servi de prétexte dans les régimes autoritaires à restreindre un peu plus encore les libertés. Au Cambodge, par exemple, des condamnations allant jusqu’à 20 ans de prison sont encourues en cas d’infraction aux règles sanitaires. Un texte qui inquiète dans un contexte où la répression contre l’opposition politique au gouvernement du Premier ministre Hun Sen est systématique depuis 2017. Empêchés depuis 2020 et la pandémie de se retrouver, les artistes de l’AMP3 ont néanmoins poursuivi leur dialogue. Échangeant sur leurs initiatives respectives pour aider leurs communautés à traverser la pandémie.

Ainsi, en Thaïlande, les musiciens Nitithorn Thongthirakul et Pakapol Kornkranok ont fourni aux enfants des zones rurales des instruments de musique, pour les aider à faire face aux contraintes imposées par cette crise sanitaire et économique et les encourager dans une carrière musicale. Des rencontres en ligne baptisées Sama-Sama ont permis, notamment à des artistes cambodgiens, japonais, indonésiens, philippins de jouer ensemble. Le chanteur Bong Ramilo et le groupe the Village Idiots ont lancé Resistors Radio un réseau social sur lequel sont diffusées des chansons à caractère social venant des Philippines ou d’ailleurs. Désormais, les membres de l’AMP3 n’attendent plus qu’une chose : une nouvelle session de cocréation. Peut-être à l’automne prochain.

Christine Chaumeau

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