Le passeur de mémoire

Publié le 15.04.2011

Toute l’œuvre du cinéaste cambodgien Rithy Panh est traversée par le génocide. Afin que les jeunes générations s’approprient cette mémoire, il a créé, en décembre 2006, à Phnom Penh, le centre Bophana. Cette « bibliothèque audiovisuelle » est aussi un lieu de vie culturelle qui facilite le passage de relais entre les générations.


En retrouvant le cinéaste au centre, je lui demande : « Au fait, pourquoi ce nom de Bophana ? » « C’était une jeune femme, détenue à S 21, très amoureuse de son mari et qui a toujours refusé de l’accuser de trahison. J’ai été touché par sa façon de résister. » « Ce nom a du sens, reprend Rithy Panh, car faire vivre la mémoire, comme nous le faisons ici, est une forme de résistance. Je n’imagine pas rebâtir avec succès mon pays s’il est amputé de pans entiers de son histoire. »
L’affluence au centre Bophana lui fait chaud au cœur. Quelque 65 000 visiteurs se sont pressés vers les écrans du centre en 2010, dont une grande majorité de jeunes. Le cinéaste nous entraîne dans les étages. Tous les ordinateurs sont occupés par la nouvelle génération. Certains s’intéressent au patrimoine culturel et visionnent la grande fête des eaux – les courses de pirogues – au temps du protectorat français ; d’autres prennent des notes en réécoutant le fameux discours de Phnom Penh du général de Gaulle, prononcé le 1er septembre 1966. Plus loin, ce sont les chansons d’amour langoureuses des « voix d’or » des années 1960 – Sin Sisamouth et Ros Sereysothea – qui concentrent toutes les attentions.
« Lors d’ateliers, poursuit Rithy Panh, nous apprenons aussi aux jeunes à décrypter les images. » Il fait défiler sur l’écran de rares films de propagande khmère rouge. « Voyez sur ce plan panoramique consacré aux camps de rééducation, on décèle des néons et des haut-parleurs. Le signe que le travail forcé se poursuivait la nuit au son de chants révolutionnaires psalmodiés. »

La mémoire des corps

Rithy Panh fait également figure de « créateur » d’archives mémorielles. Lors du tournage de S 21, la machine de mort khmère rouge, la confrontation entre survivants et bourreaux n’a pas déclenché tous les aveux attendus. Mais, réticents à s’exprimer, les ex-tortionnaires mimaient bientôt, sous l’œil de la caméra, leurs sinistres pratiques : les fers enlevés aux détenus conduits aux séances d’interrogatoire, la fouille des détenus, les coups contre les récalcitrants. L’expression corporelle, étonnante de minutie, supplée la supposée amnésie.
Le travail de transmission se poursuit de manière moins tendue, lors des projections organisées au centre et rassemblant plusieurs générations. À l’issue de Noces rouges, film évoquant les mariages forcés sous les Khmers rouges, des parents ont révélé pour la première fois à leurs enfants leur union passée sous la contrainte. « Au terme de scènes de vie quotidienne éprouvantes du temps de Pol Pot, reprend Rithy Panh, j’ai vu des grands-parents, jusque-là muets, murmurer à l’oreille de leurs petits-enfants : “Moi aussi, tu sais, j’ai vécu ces humiliations“. »
« Nous sommes un peu, dit-il en souriant, un service public de la mémoire. Mais nous ne sommes pas considérés comme tel par les autorités. » Il salue pourtant au passage le Premier ministre Hun Sen : « Nous n’avons jamais eu à subir d’interventions intempestives du gouvernement. Ici, j’anime un vrai espace de liberté. »
Rithy Panh récuse l’appellation de « cinéaste du génocide », qui ferait de lui un Claude Lanzmann cambodgien. « Non, insiste-t-il, je suis seulement revenu du néant et je dispose, depuis une vingtaine d’années des petits cailloux sur les territoires de la mémoire. Tantôt à l’aide de documentaires, tantôt au moyen de fictions. » « J’ai envie d’imaginer demain une comédie musicale, achève-t-il plein d’enthousiasme. Si nous sommes toujours en mesure de rêver, c’est bien que les Khmers rouges ont perdu la partie ! »

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