Le régime syrien de plus en plus isolé

Publié le 10.12.2011| Mis à jour le 08.12.2021

Malgré l’ampleur et l’horreur de la répression qui a fait 4 000 morts depuis mars 2011 et la fermeture du pays aux journalistes, le soulèvement populaire syrien contre le régime de Bachar al-Assad se poursuit. Entretien avec le politologue libanais, Ziad Majed.


FDM : Quels sont les traits spécifiques du soulèvement populaire syrien ?
Ziad majed : Comme pour les autres mouvements du Printemps arabe, il y a un ras-le-bol du despotisme, un effet « contagion » dans la propagation du soulèvement, une nouvelle génération libérée de la peur, une transformation des mosquées en espaces de rencontres et de mobilisation dans une perspective politique, et une forte utilisation des réseaux sociaux dans la coordination des mouvements. En revanche, l’un des traits de la révolution syrienne, c’est qu’elle a commencé comme un mouvement rural avant de s’élargir et d’attirer plusieurs catégories sociales. D’abord à Dera’a, dans une région du sud agricole, puis dans les banlieues et les villes moyennes et petites. Mais les deux principaux centres urbains, Damas et Alep n’ont pas été au cœur de la contestation. Damas à cause du quadrillage sécuritaire et de la lourde présence des institutions de l’État, Alep pour des raisons davantage liées à la mosaïque ethnique et au fait qu’une partie de sa bourgeoisie a beaucoup profité des années Bachar. Mais cela peut changer, et probablement commence à changer à Damas.
Autre spécificité : il y a en général entre cent cinquante et deux cent cinquante manifestations simultanées en Syrie rassemblant de cinq cents personnes à dix mille personnes. C’est donc un mouvement horizontal, non concentré et pacifique. Ainsi, malgré la répression d’une incroyable violence, la population mobilisée par le soulèvement a atteint certains vendredis environ 1,5 million d’habitants sur les 22 millions que compte le pays (ce qui est supérieur aux autres cas arabes – exception faite du Yémen).
Il faut également souligner le rôle des femmes au sein des deux principaux réseaux de mobilisation, comme Razan Zaitouneh qui vient de recevoir le prix Sakharov du Parlement européen, ou encore Souheir Atassi qui anime l’Union des coordinations de la révolution syrienne. Toutes deux se trouvent en danger, en clandestinité. De nombreuses Syriennes font un travail de documentation essentiel dans un pays fermé aux journalistes, mais extrêmement risqué. Beaucoup contribuent également à la créativité artistique et aux récits et textes en soutien à la révolution. En cas d’arrestation, elles sont soumises à la torture et à toutes sortes d’humiliation. En revanche, on voit moins ces femmes au sein des manifestations car dans une situation où les forces de l’ordre n’hésitent pas à tirer à vue sur les manifestants, elles restent souvent auprès des enfants pour les protéger.

Qui tient la réalité du pouvoir et quels sont ses soutiens ?
Le clan Assad. En Syrie, ce clan domine tous les secteurs, davantage encore que Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Égypte ou Saleh au Yémen. Il tient les forces de l’ordre : le frère du Président, Maher, est à la tête de la puissante Quatrième division de l’Armée, son beau-frère fait partie de l’appareil de répression, deux de ses cousins contrôlent les branches des services de renseignement… La mère de Bachar a battu le rappel de l’ancienne garde d’Hafez al-Assad qui avait été marginalisée pour permettre l’ascension du fils. L’économie est elle aussi dans les mains du clan.
L’Iran continue en outre à verser de l’argent et apporte un soutien technique très utile aux renseignements syriens dans le repérage des connexions Internet et des téléphones satellites. La Russie soutient aussi le régime qui reste son seul allié stratégique dans le Moyen-Orient. Quant à la Chine, elle s’oppose par principe à toute intervention internationale dans les « affaires intérieures », pour des raisons évidentes.

Quelle est la stratégie de Bachar al-Assad pour rester au pouvoir ?
Jusque récemment, il pensait pouvoir contenir le soulèvement en optant pour la solution sécuritaire qui devait reconstruire le mur de la peur. En contrôlant les villes, il voulait isoler le mouvement, le présenter comme un mouvement de bandes armées agissant dans la périphérie rurale du pays, avec un profond mépris de classe dans son discours. Puis, vers septembre, il est passé à une autre étape en montrant qu’il était capable de provoquer une guerre civile (afin d’effrayer les minorités et se présenter comme seul garant pour leur survie). À Homs, il y a eu des crimes simultanément perpétrés contre des sunnites et contre des alaouites, des rumeurs attisant la méfiance confessionnelle, des coupures d’électricité qui n’ont touché que certains quartiers et des slogans provocateurs sur les murs contre la majorité sunnite…. Maintenant, il faut voir comment le régime va réagir à l’isolement international.

Quel est l’impact des sanctions économiques contre la Syrie ?
Elles sont importantes mais ne font effet que sur le long terme. L’impact des sanctions sur les transactions financières et bancaires a commencé à se faire sentir en octobre dernier avec un manque de liquidités. Il y a eu une grève de « Shabeeha » (miliciens à la solde du régime) parce qu’ils n’étaient pas payés. Cependant, il reste possible de transférer de l’argent d’Iran ou d’Irak vers la Syrie. Les sanctions sur le pétrole sont aussi efficaces, sachant que plus de 90 % du pétrole syrien est vendu à l’Europe. Or, l’argent du pétrole ne rentre pas dans le budget national. Il est géré directement par la présidence qui l’utilise pour financer les troupes spéciales, la Garde républicaine, la Quatrième division de l’Armée, les renseignements des forces aériennes, bref les principaux instruments de la répression…
Ces sanctions touchent par ailleurs moins la population qu’on pouvait le craindre, sauf en ce qui concerne les transferts d’argent des Syriens de l’étranger à leurs proches. Mais les manifestants qui ne travaillent plus, ne vont plus à l’université, considèrent le soulèvement comme la priorité et se sont déclarés prêts à des sacrifices s’ils permettent d’affaiblir le régime et les protéger de sa barbarie. La suspension (temporaire) de la Syrie des réunions de la Ligue arabe est un pas important car des pays tels que l’Arabie Saoudite, le Koweït et des pays du Maghreb continuaient à faire du commerce avec Damas. Par ailleurs, sur le plan diplomatique, la décision de la Ligue va rendre à long terme plus difficile le maintien du veto chinois et russe en cas de nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’Onu.

Quel est le poids réel du Conseil national syrien (CNS) dans l’opposition à Bachar al-Assad ?
Ce Conseil, tel qu’il existe aujourd’hui, est le résultat de nombreuses tentatives pour coordonner l’opposition et refléter ses différentes composantes. Le paysage politique était complètement éclaté après quarante et un ans d’état d’urgence, l’interdiction des partis politiques et quelque 300 000 exilés dont la majorité ont été des militants. Il était très difficile de reconstruire une certaine unité au sein d’une structure disposant d’une légitimité dans la rue syrienne.
Dans ce Conseil sont représentés les gens de l’intérieur qui choisissent les slogans, distribuent les mots d’ordre, c’est-à-dire les Comités et Unions de coordination. On y trouve également ceux qui animent les pages Facebook, YouTube et Twitter, certaines formations politiques non reconnues officiellement en Syrie avec des figures historiques comme l’ancien prisonnier d’opinion Riad al-Türk, l’ancien député (également emprisonné pendant des années) Riad Seif, ainsi que les signataires de la Déclaration de Damas [[En 2005, dans un texte intitulé la Déclaration de Damas, plusieurs partis et personnalités de l’opposition laïque syrienne ainsi que la confrérie des Frères musulmans, appelaient à un changement démocratique, radical et pacifique.]] et la présidente de son comité, Fidaa Hourani. Ainsi que des personnalités connues en Syrie pour leur engagement dans les questions de droits de l’homme, de même que des exilés dont le président du CNS, Burhan Ghalioun, ou encore des chercheurs comme la porte-parole Basma Kodmani qui vivent tous deux en France. Il ne faut pas oublier la composante islamique avec des éléments proches des Frères musulmans – absents sur le terrain en Syrie puisqu’ils ont été éradiqués dans les années 1980 par le régime – et des éléments « modérés » en exil à Londres, au Caire, à Doha ou Istanbul. Enfin, on compte des représentants de formations kurdes, actives sur le terrain dans plusieurs villes du pays (l’un d’eux, Mechaal Temmo a été récemment assassiné par les services de renseignements du régime), ou traditionnelles proches des tribus très présentes encore dans l’Est. Le CNS tente ainsi de représenter les multiples composantes de ce pays.
Outre le conseil, il y a aussi plusieurs forces d’opposition, de même que des opposants indépendants actifs dans plusieurs domaines. Un des défis majeurs reste de savoir comment ils réussiront ensemble à créer l’alternative démocratique au régime despotique.

Propos recueillis le 17 novembre 2011

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