La ruée vers l’or bleu

Publié le 15.10.2012| Mis à jour le 07.12.2021

Sur fond de réchauffement climatique, l’eau, « don du ciel », suscite les plus grandes convoitises. Les paysans du Sud, moins puissants que d’autres usagers – populations urbaines en plein essor et industriels – sont victimes de cette concurrence exacerbée. La société civile a fait entendre leur voix, lors du Forum alternatif mondial de l’eau (Fame), qui s’est tenu à Marseille du 12 au 17 mars.


Deux scènes quotidiennes, l’une en ville, l’autre à la campagne, résument les aspirations contradictoires. À Espargos, principale cité de l’île de Sal dans l’archipel du Cap-Vert – ce Sahel en mer – une noria de brouettes remplies de jerricans défile à la borne-fontaine. « Sans ce ravitaillement, dit un jeune père venu avec son enfant, je prendrais le chemin de l’exil. » Au nord de la Côte d’Ivoire, près de Korhogo, dans le village de Zangaha, une vingtaine de femmes portent les arrosoirs au-dessus des planches d’oignons, choux et salades.L’une d’elles, assise sur la margelle d’un puits, confie : « Grâce à ces cultures, je peux diversifier l’alimentation de la famille et vendre le surplus au marché. Nous vivons mieux. »

Le débat entre les usages rivaux – eau de boisson et eau agricole, source de sécurité alimentaire – se poursuit, parfois en termes vifs. Certains rappellent que dans le monde, 950 millions de personnes souffrent toujours de la faim, dont les trois quarts en milieu rural. D’autres soulignent les « prélèvements agricoles excessifs » : au total,10 % de l’eau disponible est utilisée à des fins domestiques, 20 % par l’industrie et70 % par l’agriculture.

Comportements prédateurs

Loin des vastes champs de maïs des pays du Nord, abondamment irrigués, les petits agriculteurs du Sud sont réduits à la portion congrue. Comme le souligne Yves Richard, militant bénévole du CCFD-Terre Solidaire qui participe activement à la Commission agriculture et alimentation (C2A) de Coordination Sud[[La coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale.]] : « Ils ont fort à faire avec les partisans d’un usage plus productif de l’eau, censé rapporter un surcroît de devises. »

Cette « marchandisation de l’eau » ignore les coûts sociaux et environnementaux. Près de Manille aux Philippines, le réservoir d’Angat permettait d’irriguer 30 000 ha de rizières, de fournir de l’électricité ainsi que 97 % de l’eau potable aux habitants de la capitale. En 1998, les autorités ont décidé de privatiser la gestion de l’eau. Quatorze ans plus tard, lors du Forum mondial de l’eau, Rovik Obanil, membre de l’Integrated rural development fondation (IRDF) – partenaire du CCFD-TerreSolidaire –, tire le bilan : « Nous résistons,car déjà les riziculteurs, dont la production a été divisée par deux, ne peuvent plus payer les frais nécessaires à l’entretien des canaux d’irrigation. »

D’autres agriculteurs, notamment en Amérique latine, paient au prix fort les répercussions de l’actuel boom minier : eau détournée, contamination des nappes phréatiques et des sols par le cyanure utilisé pour extraire les minerais. Parfois, les habitants des zones rurales protestent,comme aujourd’hui près de Cajamarca au nord du Pérou (voir article page 15). Avec un certain succès. La montée de la contestation a contraint le président Humala à accepter une enquête internationale chargée d’évaluer les impacts.

D’autre part, « on déplore un manque d’eau là où les usages sont déraisonnables »,remarque Yves Richard. Ainsi, les greens des terrains de golf, très gourmands en eau,prospèrent sans vergogne au Maroc ou en Tunisie, au détriment de l’agriculture familiale voisine. Plus grave, le phénomène d’accaparement des terres – et donc aussi des points d’eau –se poursuit de plus belle. Selon l’International land coalition (ILC), entre janvier 2000et novembre 2011, plus de 200 millions d’hectares – près de quatre fois la superficie de l’Hexagone – ont changé de mains. Ici, au bénéfice de firmes misant sur la production de soja ou d’agrocarburants (en Argentine ou au Brésil, par exemple) ; là, à l’initiative de fonds souverains qui délocalisent leur production de denrées de base pour assurer leur approvisionnement agricole. Face à ces puissants intérêts, les droits à l’eau des petits paysans ou des usagers locaux pèsent peu.

La concertation marque des points

Dans ce contexte, les ONG rassemblées au sein de Coordination Sud plaident pour une gestion concertée et démocratique de l’eau. Les rivalités ne faiblissent pas,notamment autour de la mise en valeur de grands fleuves. Le gouvernement de Pékin concentre les inquiétudes. L’un de ses projets pharaoniques vise à détourner l’eau du Brahmapoutre, prenant sa source au Tibet,pour la canaliser vers les régions assoiffées de la Chine du Nord. Au détriment de l’Inde et du Bangladesh, situés en aval. Même situation concernant le Mékong. Pékin a déjà construit quatre barrages sur le cours supérieur du fleuve pour assouvir ses besoins en électricité. Un programme que les autorités prévoient d’intensifier, sans se soucier des pays en aval qui tirent l’essentiel de leurs protéines de la pêche, notamment autour du lac Tonlé Sap au Cambodge.

« Ces tensions sont réelles, corrige Yves Richard, mais rien ne sert d’agiter l’épouvantail d’une guerre de l’eau. Les cas de coopération sont nettement plus nombreux que les conflits graves. » En effet, les accords passés entre pays riverains de l’Indus,du Nil, ou encore du Tigre et de l’Euphrate ont, jusqu’à présent, donné de bons résultats.Localement, la concertation marque aussi des points. Comme en Équateur, autour de Riobamba dans la province du Chimborazo.Les organisations paysannes d’irrigants, principalement indiennes, discutent de la répartition de l’eau et de sa gestion avec les autorités de la capitale provinciale. Les conflits semblent aussi désamorcés dans l’État de Morelos, situé au sud de Mexico (voir encadré page 23).

Pour une gouvernance mondiale de l’eau

Le partage de « l’or bleu » s’annonce comme un enjeu majeur du XXIe siècle. À Marseille,la société civile a réussi à s’immiscer dansle tête-à-tête entre États et industriels de l’eau. Mais ses efforts nécessiteraient d’être relayés par une autorité publique en charge de la gouvernance mondiale de l’eau et capable de favoriser une répartition plus équitable. Une démarche encore à contrecourant…

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