Les coptes dans l’expectative

Publié le 05.11.2012| Mis à jour le 07.12.2021

Les coptes, qui représentent 10 % de la population, constituent la plus importante minorité chrétienne du Maghreb et du Moyen-Orient. Près de deux ans après la révolution Tahrir, qui a insufflé un esprit de liberté dans le pays, cette communauté s’inquiète des succès électoraux des partis islamistes. Entretien avec Jean-Jacques Pérennès qui, au Caire, dirige l’Institut dominicain d’études orientales (Ideo).


FDM : La population copte[[ Les coptes sont les habitants chrétiens d’Égypte. 95 % des coptes sont membres de l’Église copte orthodoxe, mais il existe aussi, depuis le XIXe siècle, une Église catholique copte ainsi qu’une Église évangélique copte.]] est-elle discriminée, voire persécutée en Égypte ?

Jean-Jacques Pérennès : Discriminée oui. Persécutée non. Minoritaires, les chrétiens ne peuvent prétendre facilement à de hautes charges au sein de la société, que ce soit en politique, dans l’armée, l’administration, et même dans le monde du sport. Être sélectionné en équipe nationale de foot reste difficile pour un chrétien parce que l’on conçoit mal, inconsciemment peut-être, qu’un but soit marqué par un chrétien lors d’un grand match. Mais il est inexact de parler de persécution, c’est-à-dire de violences systématiques.

Certes, il y a des actes de violence, deux ou trois fois par an, en particulier au Saïd, en Haute-Égypte, où la société rurale, très conservatrice, est facilement instrumentalisée par les islamistes radicaux. Dans cette région, les habitants possèdent des armes qu’ils sortent assez rapidement. Des églises sont brûlées, des chrétiens attaqués. Souvent, ces problèmes interconfessionnels commencent par un incident de la vie quotidienne : un garçon regarde la sœur de son voisin musulman, des villageois se disputent une terre, un logement.

Puis la religion interfère et ça dégénère. Le régime de Moubarak fermait volontiers les yeux sur ces incidents et donc, protégeait moins les chrétiens qu’on veut bien le dire. En même temps, la plupart des 7 à 8 millions de chrétiens égyptiens peuvent pratiquer leur religion librement, surtout dans les villes.

Quelle a été la participation de la communauté copte à la révolution ?

Malgré l’avis défavorable du pape Chenouda III, qui a soutenu le régime de Moubarak jusqu’au bout, de nombreux jeunes coptes ont participé à la révolution, laquelle a représenté un moment d’espoir et de changement pour tous. Pendant les dix-huit jours de manifestations place Tahrir, du 25 janvier au 11 février 2011, on a observé une magnifique connivence entre coptes et musulmans. Des slogans ont fleuri liant la croix et le croissant, des chrétiens ont protégé des musulmans pendant la prière et réciproquement. C’est aussi ça, l’Égypte.

Que s’est-il passé après cette « parenthèse enchantée » ?

C’est effectivement une parenthèse. Juste avant la révolution, un attentat à la voiture piégée devant une église à Alexandrie avait fait plus de vingt morts et beaucoup de blessés dans la communauté copte. Par la suite, cet attentat a été interprété comme une manœuvre du ministère de l’Intérieur pour justifier le maintien de l’état d’urgence en vigueur depuis des décennies. Et, après le départ du président Moubarak, le 11 février 2011, des incidents interconfessionnels ont à nouveau éclaté, dont certains fomentés par les salafistes dans le quartier d’Imbaba, au Caire, et à Edfou, près d’Assouan. La communauté copte a aussi été très éprouvée par la répression d’une manifestation dans le quartier de Maspero, en octobre 2011.

Comme la police était complètement absente depuis la révolution, c’est l’armée, peu expérimentée en matière de gestion des foules, qui est intervenue. Quand les soldats ont vu un de leurs véhicules brûler, ils ont foncé dans le tas avec des véhicules blindés, écrasant une vingtaine de personnes. Mais on ne peut pas dire que l’armée a « voulu » tuer les coptes. La vérité des faits est importante pour éviter le manichéisme qui contribue à dresser les uns contre les autres.

Cette révolution a-t-elle eu un impact au sein de la communauté copte, en particulier de l’Église ?

Je pense que oui, dans le sens où, en participant aux manifestations, un groupe significatif de chrétiens n’a pas obéi aux ordres de la hiérarchie. Ceci a souligné le désir de plus de libertés et de débats au sein même de l’Église copte-orthodoxe, une Église gérée avec une grande fermeté par sa hiérarchie. Ensuite, le pape Chenouda III est mort[[ndlr : le 17 mars 2012]] et la communauté se trouve en état d’apesanteur, dans l’attente de l’élection de son successeur. Chenouda III a beaucoup fait pour sa communauté, mais il était aussi très rigoureux, en particulier en matière disciplinaire (mariage avec des chrétiens non orthodoxes, par exemple). L’esprit de Tahrir est un esprit de liberté, de contestation de l’autorité. On verra quel sera le style du prochain pape. Dans l’Église catholique aussi, bien qu’elle soit plus ouverte, les fidèles demandent d’être davantage « écoutés » par leurs évêques.

Le succès des islamistes aux élections législatives puis présidentielle, constitue-t-il une menace pour les coptes ?

Il faut distinguer les salafistes des Frères musulmans. Certains salafistes ont clairement une idéologie extrémiste qui souhaite la disparition des chrétiens. À l’origine, le salafisme est un mouvement quiétiste qui prône le retour aux débuts de l’islam, en le débarrassant de tout ce qui l’aurait corrompu au cours de l’histoire, en particulier l’implication en politique. Ce mouvement n’est pas nouveau mais s’est radicalisé depuis le 11 septembre 2001, virant au djihadisme, qui prône explicitement le recours à la violence.

Le régime de Moubarak a laissé s’exprimer cette propagande salafiste radicale à travers des chaînes télévisées émettant depuis le Golfe. Certains prédicateurs y tiennent des discours d’incitation à la haine confessionnelle. Le calcul du régime était que ce salafisme, alors peu politisé, contribuerait à prendre des voix aux Frères musulmans qui, eux, étaient déjà très organisés et mobilisés dans une perspective de prise du pouvoir. Les Frères ont vécu longtemps dans la clandestinité et en ont gardé une très forte structuration interne et un grand engagement de ses militants. Les 24 % de voix, obtenus par le parti salafiste al Nour aux élections législatives, ont constitué un énorme choc, car, là, ils deviennent vraiment une force politique.

Qu’en est-il des Frères musulmans ?

Leur stratégie, plus compliquée, se dévoile peu à peu. Ils ont un affichage d’ouverture : ils ont eu l’habileté, par exemple, de placer comme vice-président de leur parti, le Parti de la justice et de la liberté, un copte protestant. Ils affirment ne pas être un parti religieux mais un parti pour tous les Égyptiens et, dans leurs déclarations publiques, ils répètent que les chrétiens doivent avoir les mêmes droits que les musulmans.

Mais les premiers mois de leur arrivée au pouvoir manifestent une propension à vouloir contrôler l’appareil d’État. De plus, les débats qui ont eu lieu à l’Assemblée pendant les six premiers mois de 2012 ont montré le poids des idéologues plus radicaux.

La majorité islamiste a laissé libre cours à une surenchère idéologique en discutant de sujets comme la possibilité pour les touristes étrangers de boire du vin, la nécessité de recouvrir ou non de voiles les statues pharaoniques. Des débats qui marquent un retour en arrière sur les droits des femmes.

Or, les Égyptiens attendaient de leurs députés des décisions sur des questions de vie quotidienne et de société qui, en dehors de quelques dispositions comme l’augmentation du salaire minimum, sont passées au second plan. Les islamistes vont devoir clarifier leur positionnement. C’est en fonction de cela que l’on pourra juger de leur attitude réelle vis-à-vis des chrétiens.

Y a-t-il des réactions dans la société civile pour éviter l’antagonisme confessionnel ?

Oui, heureusement. Je voudrais notamment parler d’une initiative très importante de l’imam Ahmed al-Tayyeb, qui dirige la prestigieuse université islamique d’Al Azhar. Il y a un an, il a créé la Maison de la famille égyptienne. C’est une structure de rencontres où toutes les composantes de la société se retrouvent : musulmans, chrétiens et même non croyants. Il s’agit de réfléchir sur la manière de mieux vivre ensemble. Un projet de loi sur la construction des églises y a, par exemple, été discuté. Depuis l’Empire ottoman, les obstacles administratifs sont multiples pour édifier une église, alors que la construction de mosquées est très facile, d’où des dissensions.

Au sein de cette Maison de la famille égyptienne, une commission a trouvé un compromis transmis au Conseil suprême des forces armées (CSFA) qui a dirigé le pays jusqu’à l’élection du président Morsi, en juin. Une autre commission travaille sur les manuels scolaires. Par ailleurs, en juin 2011, l’imam Ahmed al-Tayyeb a publié un texte très important en onze points dont l’Article premier préconise un État démocratique, excluant que l’Égypte ne devienne un État théocratique. Mais cette initiative est loin de représenter l’esprit dominant dans les courants islamistes aujourd’hui au pouvoir. Rien n’est gagné. Espérons que les courants d’ouverture pourront continuer à se faire entendre.

Ce qui est nouveau en Égypte, c’est que le peuple a pris le goût de la liberté. Il ose désormais s’exprimer et cela, tous les pouvoirs, islamistes ou non, devront en tenir compte. En revanche, le peuple, qui n’a guère l’expérience du débat politique, a du mal à traduire ses aspirations en rapports de forces et en changements effectifs.

L’université d’Al Azhar conserve-t-elle sa légitimité au sein de la communauté musulmane ?

Oui et non. C’est une vieille institution, qui a plus de mille ans d’existence et dont le prestige dépasse les frontières de l’Égypte pour s’étendre à tout le monde sunnite.

Dans les années 1950, Nasser a mis fin à son autonomie en décidant de nommer son imam qui, jusque-là, était élu par le Conseil des oulémas. Cette opération de centralisation et d’étatisation a fait perdre un peu de sa crédibilité à l’imam d’Al Azhar, qui est alors apparu comme une émanation du pouvoir politique. Après la révolution, l’imam al-Tayyeb a présenté sa démission au CSFA qui l’a refusée. Al Azhar a alors proposé que l’imam soit à nouveau nommé par le Conseil des oulémas et retrouve une certaine autonomie vis-à-vis du pouvoir politique. Il n’est pas sûr que le pouvoir islamiste actuel résiste à la tentation de vouloir contrôler à son tour cette institution prestigieuse.

Ce qui est nouveau en Égypte, et très important, c’est que le peuple a pris le goût de la liberté. Il ose désormais s’exprimer et cela, tous les pouvoirs, islamistes ou non, devront en tenir compte. En revanche, le peuple, qui n’a guère l’expérience du débat politique, a du mal à traduire ses aspirations en rapports de forces et en changements effectifs. On ne se relève pas en quelques mois de décennies de régime autoritaire.

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