Inde : Dalits chrétiens, les paradoxes d’une triple exclusion

Publié le 12.05.2014| Mis à jour le 07.12.2021

Vulnérabilité face à la montée du fondamentalisme hindou, cynisme des autorités : les Dalits chrétiens font l’objet de discriminations et de violences tous azimuts. Pour celles et ceux que l’on nommait les « Intouchables » – jusqu’à ce que la Constitution abolisse l’intouchabilité en 1950 –, le christianisme n’a pas suscité l’émancipation attendue.


État d’Orissa, district de Kandhamal, 24 août 2008. Prenant prétexte de l’assassinat d’un des siens – pourtant revendiqué par les Maoïstes[[Les Maoïstes (ou Naxalites) mènent une guérilla dans des zones caractérisées par une grande pauvreté, une concentration de matières premières et un relief de jungle.]] –, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), une organisation de fondamentalistes radicaux hindous, lance un pogrom [émeute] contre les chrétiens de cette région très pauvre : essentiellement des Dalits et des Adivasis (aborigènes). 600 villages sont dévastés, des centaines de femmes violées et près de 100 personnes assassinées. Six mois de carnage sans que les autorités n’interviennent.

Comment ce déferlement de violence a-t-il été possible ? « Les violences contre les chrétiens se perpétuent depuis les années 1970 en toute impunité, tranche le père Ajaya Singh[[En juillet 2013, la Commission nationale pour les minorités a décerné le prix des Minorités au père Ajaya Singh pour son engagement pour la liberté de religion et pour sa dénonciation de l’idéologie haineuse des fondamentalistes hindous.]], directeur du Forum pour l’action sociale de l’Orissa (Orosa), une organisation partenaire du CCFD-Terre Solidaire. À Kandhamal, la complicité de l’État et la passivité du gouvernement central sont incontestables. »

Cinq ans après, coupées de la terre et de leurs moyens de subsistance, 1 200 famil les s’entassent encore dans les bidonvilles de Bhubaneswar, la capitale de l’État de l’Orissa. Les victimes continuent de recevoir des mena ces de mort ou de conversion forcée à l’hindouisme. Plaintes non enregistrées, affaires classées sans suite, intimidation des témoins : le recours à la justice demeure illusoire. Comme le prouve le jugement rendu le 1er octobre par le tribunal de Phulbani condamnant huit personnes, dont sept chrétiens à la prison à vie pour l’assassinat du leader hindou. « Ce procès est une parodie de justice, s’indigne Sajan George, président du Global Council of Indian Christians, où les victimes sont accusées, les témoins menacés et les coupables libérés. »

Interpellation de la communauté internationale

En riposte à l’indignité des autorités, une plate-forme de 75 organisations de la société civile (National Solidarity Forum) a organisé, en août 2010, un Tribunal national du peuple de Kandhamal. Objectifs : donner la parole aux victimes, évaluer le rôle des autorités dans le pogrom, proposer un mode de réparation et faire pression sur le gouvernement, afi n qu’il restaure la justice. Restait à impliquer la communauté internationale. Porte-parole du forum, six ONG (dont Orosa et NCDHR, autre partenaire du CCFD-Terre Solidaire) ont soumis un rapport sur la liberté de religion dans le cadre de l’examen de la situation des droits de l’homme de l’Inde par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, à Genève.

Le rapport démonte l’idée, propagée par les fondamentalistes hindous et devenue aujourd’hui un lieu commun, selon laquelle les chrétiens convertiraient par la force. De nombreuses violences – meurtres de prêtes, attaques d’église… – en particulier contre les Dalits et Adivasis des régions reculées, sont perpétrées sous ce motif.

Sous couvert d’éradiquer les conversions prétendument forcées, sept États, dont l’Orissa, ont érigé des lois qui soumettent les conversions à un contrôle des autorités. Ces entraves à la liberté de conscience ont été dénoncées par la Commission nationale des minorités. En vain… Suite à l’examen par l’Onu des droits de l’homme en Inde, quinze pays ont formulé des recommandations et le gouvernement central s’est engagé à garantir la liberté de religion. Mais pour beaucoup de militants, les violences faites aux chrétiens ne sont pas réductibles à des affrontements intercommunautaires. La politique de la haine entretenue par l’extrême droite hindoue, en tuant dans l’oeuf toute velléité d’union entre les plus pauvres, assure le maintien des privilèges des élites et l’accaparement accéléré des ressources.

Quel message évangélique ?

Dans ce contexte, la position de l’Église indienne interroge. « L’Église a condamné le pogrom de Kandhamal, mais ce n’est pas suivi d’actes, grince le père Ajaya Singh. Il est temps qu’elle collabore avec les réseaux des droits de l’homme, demande des comptes aux institutions et… s’interroge sur son propre fonctionnement. » Depuis quelques années, le silence qui entoure la reproduction du système de castes au sein de l’Église indienne se fissure. Des voix s’élèvent pour dénoncer les lieux de culte et les cimetières spécifiques, l’interdiction pour les Dalits de conduire une procession… Les Dalits représentent 65 % des 27,8 millions de chrétiens[[ Les chrétiens constituent 2,3 % de la population indienne.]], mais seulement 5 % du clergé et 7,8 % des étudiants dans les 271 universités de l’Église.

« En Inde, on peut changer de religion, mais la caste, c’est une seconde peau », résume L. Yesumarian, un avocat jésuite du Tamil Nadu. À travers le Centre pour les droits humains des Dalits (DHRC), une organisation partenaire du CCFDTerre CCFDTerre Solidaire, il porte devant les tribunaux les cas de discriminations observées au sein des commu nautés chrétiennes. À l’occasion de la venue d’évêques indiens à Rome en 2003, le pape Jean-Paul II avait demandé de porter une attention spéciale aux Dalits, rappelant que les préjudices fondés sur la caste font obstacle à la mission évangélisatrice de l’Église. Près de dix ans après, la situation a peu évolué. Cet été, des membres du clergé indien et des laïcs chrétiens ont adressé un courrier au pape François, présentant un programme pour favoriser l’émancipation des Dalits et impulser le partage de la gouvernance au sein de l’Église. « Il faut cesser de se focaliser sur l’amélioration des conditions de vie des Dalits. L’obstacle majeur à leur développement, c’est leur exclusion des espaces de décision », explicite le père Ajaya Singh.

Le rôle de l’Église est d’autant plus crucial que le fait d’appartenir à une religion qui bannit les castes, exclut les Dalits chrétiens des mesures de discrimination positive dont bénéficient les Dalits hindous, sikhs et bouddhistes, via le statut de scheduled castes (castes répertoriées) : sièges réservés pour la représentation politique, quotas dans l’éducation et les emplois publics.

En dépit d’une réalité partagée – 36 à 40 % des Dalits toutes religions confondues vivraient en dessous du seuil de pauvreté [[Étude du NCDC (National Council of Dalit Christians) de 2010]] – les Dalits chrétiens et musulmans ne parviennent pas à faire entendre leurs revendications.

Chrétiens et musulmans multiplient les protestations

Pourtant, depuis les années 1970, rapports et commissions mandatés par le gouvernement central recommandent de découpler l’appartenance religieuse de l’accès aux mesures de discrimination positive. Unis dans un même plaidoyer, chrétiens et musulmans multiplient les actions de protestation – rassemblement devant le Parlement, saisie de la Cour suprême, grèves de la faim…

Trois États : le Bihar en 2000, l’Uttar Pradesh en 2006 et l’Andhra Pradesh en 2009, ont déjà adopté des résolutions visant l’égalité de traitement de tous les Dalits, mais le gouvernement central continue d’opter pour le statu quo. Un comble pour l’Inde, censée être le plus grand pays laïc du monde…

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