Forts comme les Big Four !

Publié le 07.12.2010

En 2001, la faillite retentissante d’Enron, alors septième entreprise américaine, mettait aussi au tapis l’un des cinq géants mondiaux du conseil et de l’audit comptable, le cabinet Arthur Andersen, accusé d’avoir fermé les yeux sur les 760 sociétés créées aux Îles Caïmans et aux Îles Turques et Caïques pour occulter les dettes d’Enron[[En mai 2005, la Cour suprême américaine a innocenté Andersen du chef d’obstruction à la justice pour lequel il avait été condamné en 2002, mais la faillite était déjà patente. Cf. Alternatives économiques, juillet 2005.]].


Malgré l’adoption aux États-Unis de nouvelles règles comptables et de transparence financière (loi Sarbanes-Oxley), les « Big Four » ont succédé aux « Big Five » sans dissiper les doutes quant à leurs conflits d’intérêts. Bien au contraire.

Juges et parties. Deloitte, Ernst & Young, KPMG et Price Waterhouse Coopers (PWC) exercent, à travers leurs différentes sociétés, à la fois des activités de conseil en « optimisation fiscale » et de vérification des comptes pour les multinationales. Chacune de ces Big Four opère dans environ 140 pays. Or le code de déontologie des commissaires aux comptes[[Article 3, point 6 du Code de déontologie de la profession de commissaire au compte, Titre II, Décret n° 2010-131 du 10 février 2010. ]] dispose qu’un même cabinet d’experts comptables ne peut à la fois conseiller à un client sa stratégie fiscale et auditer ses comptes. Cependant les Big Four peuvent cumuler de nombreuses casquettes à la fois, confinant au conflit d’intérêt. Les multinationales apprécient précisément chez les auditeurs leur parfaite connaissance de l’entreprise et leur capacité à rendre acceptables aux yeux de la loi les stratégies d’optimisation fiscale.

Selon C. Chavagneux et R. Palan, « les Big Four contribuent de moins en moins à assurer la sécurité du capitalisme mondialisé en vérifiant que les pratiques du monde des affaires sont saines (…). En échange de commissions substantielles ils rendent juridiquement légitime la version des faits qui bénéficie le plus à ceux qui les payent »[[C. Chavagneux et R. Palan, « Les paradis fiscaux », Repères, éd. La Découverte, 2009, p. 75.]]. De fait, l’optimisation exploite au maximum toutes les failles possibles dans la législation. Au lieu de s’imprégner de l’esprit de la loi, les Big Four promeuvent toutes formes d’évitement fiscal en jonglant avec les textes.

PWC a ainsi publié en 2009 un manuel de 837 pages sur les prix de transfert ! Le franchissement de la ligne rouge a valu à certains cabinets d’être parfois rattrapés par la justice. En 2009, un scandale retentissant de fraude comptable via l’Île Maurice, pour près de1,5 milliard d’euros, a tué Satyam, un géant de l’informatique indienne. La SEBI, l’autorité de régulation boursière indienne, accuse PWC d’avoir certifié des résultats financiers surévalués et faux[[The Indian Economic Times, « Sebi can probe Price Waterhouse in Satyam fraud case, rules HC », 26 août 2010. ]]. En 2003, le Sénat américain a mis en évidence que les produits d’optimisation fiscale promus par KPMG se révélaient souvent contraires à la loi[[C. Levin, http://levin.senate.gov/newsroom/supporting/2003/111803TaxShelterReport.pdf ]].

Normalisateurs. Les Big Four financent en grande partie l’IASB (International Accounting Standard Board), l’organisme privé d’élaboration des normes comptables dans lequel ils siègent, aux côtés d’investisseurs et de dirigeants d’entreprise, et auquel une majorité d’États ont peu à peu transféré leurs compétences en la matière[[D. Baert et G. Yanno, « Rapport d’information relatif aux enjeux des nouvelles normes comptables », Commission des finances, de l’économie générale et du plan, Paris, 2009. ]]. Ce sont eux qui définissent ainsi, dans une certaine mesure, la façon dont les multinationales doivent rendre compte de leur activité, et incidemment les contours de l’audit qu’eux-mêmes sont payés poureffectuer.

Courtiers en évasion fiscale. On connaît les courtiers en assurance ou en crédits immobiliers qui, forts du nombre de leurs clients, négocient pour eux des tarifs et des taux préférentiels. En matière fiscale, Big Four, banques et autres juristes jouent un rôle très comparable. Ils conseillent en matière fiscale un portefeuille significatif de multinationales, pour lesquelles ils négocient parallèlement auprès des États – et notamment les paradis fiscaux – des aménagements législatifs à l’avantage de leurs clients. On doit à ces juristes et financiers spécialisés, et non aux maigres administrations en place dans les îles, la plupart des innovations juridiques offshore qui permettent aux plus riches d’optimiser leur fiscalité. En témoigne le rôle central joué par la Barclays, banque britannique, dans le récent avènement du Ghana comme place financière offshore.

Secondé par nombre de banques, juristes et avocats d’affaires, Ernst & Young a développé une surprenante novlangue : « qu’il s’agisse de gestion logistique ou de prix de transfert, la fiscalité est un levier de la stratégie commerciale. Bien utilisée, elle permet de renforcer l’avantage sur la concurrence et de créer de la valeur ». La fondation britannique New Economics, au contraire, attribue aux auditeurs des Big Four le rôle de profession la plus destructrice de valeur[[NEF, A Bit Rich: Calculating the real value to society of different professions, décembre 2009.http://www.neweconomics.org/publications/bit-rich ]] : « Chaque [euro] économisé par une multinationale est un [euro] qui aurait sinon alimenté les caisses de l’État. Pour un salaire entre 75 000 et 200 000 livres [entre 84 500 et 225 400 euros], les auditeurs détruisent 47 livres [53 euros] en valeur, pour chaque [euro] généré ! ».

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