Rétablir la vérité économique

Publié le 07.12.2010

Pour mettre fin à la déconnexion entre géographie de l’activité économique réelle et géographie comptable et redonner sens aux baromètres de l’économie mondiale, il faut en priorité :

1. Obliger les multinationales à publier leurs comptes pays par pays, voire filiale par filiale

Pourquoi ?
La communauté internationale ne publiera jamais une liste exhaustive et objective des paradis fiscaux : son fonctionnement par consensus lui interdit de mettre à l’index des pays tels que le Royaume-Uni ou les États-Unis par exemple. En revanche, une entreprise devrait être à même de justifier de la réalité de son activité économique partout où elle opère, que le pays d’implantation soit, ou non, listé par les uns ou les autres comme étant un paradis fiscal. Les syndicats patronaux ne devraient pas s’y opposer : en décembre 2009, le MEDEF a ainsi protesté contre l’inscription – alors envisagée par la France – du Chili sur sa liste des paradis fiscaux[[« Paradis fiscaux : le patronat défend les entreprises de bonne foi », Les Échos, 8 décembre 2009.]].

Pour eux, il n’y avait aucune raison de renchérir le coût pour un groupe français, comme Veolia dans le domaine des transports, de développer une activité économique réelle au Chili. Le Medef a raison sur ce point, mais la contrepartie est que l’activité économique doit être réelle. Seule l’entreprise peut en attester en expliquant dans les détails, l’activité de chacune de ses filiales, pays par pays. Si son implantation correspond à une activité réelle, elle n’a rien à cacher. Or aujourd’hui, l’étude menée sur 50 entreprises européennes (chap. 2) montre que cette information n’est pas accessible aux citoyens, ni même aux actionnaires et aux administrations. Et les données récoltées ne nous permettent pas de distinguer les filiales réelles des coquilles vides.

Ce que nous voulons
Que chaque entreprise ayant une activité internationale soit obligée de publier, pour chaque pays où elle opère, voire pour chaque filiale :

  • le nom de toutes ses implantations dans le pays en question ;
  • le détail de ses performances financières, y compris :
    • ses ventes, à la fois à des tiers et à d’autres filiales du groupe,
    • les achats, répartis entre les tiers et les transactions intra-groupes,
    • la masse salariale et le nombre d’employés,
    • les coûts de financement partagés entre ceux payés aux tiers et ceux payés aux autres membres du groupe,
    • son bénéfice avant impôt ;
  • les charges fiscales détaillées incluses dans ses comptes pour le pays en question ;
  • le détail du coût et de la valeur comptable nette de ses actifs physiques fixes ;
  • le détail de ses actifs bruts et nets.

« L’UE et ses États membres devraient renforcer la cohérence de leurs politiques en faveur du développement et avancer en explorant [la piste du] reporting pays par pays comme norme pour les entreprises multinationales (…) »
Conclusions du Conseil européen des Affaires étrangères, 14 juin 2010[[Conclusions sur la fiscalité et le développement – Coopérer avec les pays en développement pour promouvoir une bonne gouvernance en matière de politique fiscale.]]

Comment?
Plusieurs voies peuvent permettre d’instaurer cette obligation de reporting pays par pays :

  • La régulation boursière de chaque place financière, pour les entreprises cotées : dans le domaine extractif, Hong-Kong et les États-Unis ont des exigences de transparence plus fortes que celles des bourses européennes (voir encadré « Dodd Franck Act ») !
  • La directive transparence (TOD) de l’Union européenne, en cours de révision, est l’occasion de généraliser l’obligation aux sociétés cotées à l’échelle européenne.
  • Les normes comptables internationales : aujourd’hui édictées pour l’essentiel par l’IASB pour 110 pays dont les 27 de l’UE, et le FASB pour les États-Unis, ces normes s’appliquent à la grande majorité des sociétés cotées dans le monde et sont appelées à converger (souhait régulièrement formulé par le G20). Un formidable levier pour contraindre lesdites sociétés à la transparence serait la révision de :
    • La norme IFRS8 concernant le format de présentation des informations sectorielles. La question du reporting pays par pays devrait figurer dans le rapport de la Commission européenne au Parlement européen sur l’application de cette norme, attendu au mieux à la fin de l’année 2011.
    • La norme IFRS6 s’appliquant au secteur extractif. Également en cours de révision, la deuxième mouture du projet de norme révisée doit être publiée pendant l’automne 2011.

L’inscription d’une telle exigence au sein des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, dont les résultats du processus de révision sont attendus au printemps 2011, et dans les Principes de gouvernement d’entreprise de l’OCDE, constituerait une étape tout à fait bienvenue, mais ne saurait remplacer une norme obligatoire.

« Il faut que les entreprises multinationales présentent leurs résultats pays par pays. »
François d’Aubert, délégué général de la France à la lutte contre les États et territoires non-coopératifs, 2 avril 2010[[Cf. entretien avec La Tribune, 2 avril 2010. François d’Aubert, ancien ministre français de la Recherche et du Budget, préside également le processus de revue par les pairs au sein du Forum fiscal mondial.]]

2. Mettre fin aux sociétés écrans

Pourquoi?
Des millions de sociétés, trusts et autres entités opaques à travers le monde mènent des activités économiques sans qu’aucune autorité publique ne puisse déterminer le propriétaire ou le bénéficiaire desdites structures juridiques. C’est la porte ouverte à la comptabilité hors-bilan, au délit d’initié, au blanchiment ou encore à l’évasion fiscale. C’est aussi une fin assurée de non recevoir en matière de coopération judiciaire ou fiscale.

Ce que nous voulons
Nous demandons aux États du G20 et de l’Union européenne de contraindre toute structure juridique, pour pouvoir exister légalement et effectuer des opérations économiques, à s’enregistrer auprès d’une autorité publique. À cet effet, chaque État ou territoire doit s’engager à :

  • Tenir un registre des trusts et/ou autres structures juridiques opaques existant dans son droit national, qui précise le nom des bénéficiaires réels, des opérateurs et des donneurs d’ordre.
  • Tenir l’information à la disposition des autorités fiscales, douanières et judiciaires des autres États.
  • S’assurer que le registre du commerce impose les mêmes exigences minimales de transparence.

« J’appelle l’OCDE à étudier la faisabilité de l’introduction du reporting pays par pays dans ses principes directeurs. »
Stephen Timms, alors ministre britannique du Trésor, 28 janvier 2010, Conférence de l’OCDE sur la fiscalité et le développement, Paris

En outre, un fichier des comptes bancaires accessible aux mêmes autorités devrait être dressé dans chaque État. Plusieurs États européens dont l’Espagne et l’Allemagne disposent d’un tel instrument, l’outil français (FICOBA) faisant figure de référence. Dans une communication en 2008 de Jacques Barrot, alors commissaire à la Justice, à la Liberté et à la Sécurité, la Commission européenne a envisagé une telle obligation à l’échelle de l’Union.

Comment ?
Dans l’immédiat, nous attendons des pays du G20 et de l’UE qu’ils :

  • Demandent au Groupe d’Action Financière (GAFI) d’amender, dans le cadre de la révision de ses 40+9 recommandations, les articles 33, 34 et VIII pour exiger de tels registres publics et en faire un des 16 critères clés de conformité aux normes anti-blanchiment.
  • Fassent de la disponibilité et de l’accessibilité des informations relatives à la propriété effective des actifs financiers, un élément déterminant d’appréciation dans les rapports d’évaluation du Groupe de revue par les pairs du Forum fiscal mondial.
  • Prévoient des sanctions fortes et coordonnées à l’encontre des pays qui ne se conformeraient pas à ces recommandations spécifiques dans un délai donné.

3. Renforcer les sanctions contre la criminalité économique et financière

Pourquoi ?
La délinquance économique et financière, notamment en matière fiscale, perdrait énormément de son intérêt si elle cessait de faire l’objet d’une si large impunité. C’est pourquoi les États doivent renforcer le niveau et la mise en œuvre de sanctions contre les fraudeurs et les auteurs de délits ou crimes financiers.

Ce que nous voulons
Spécifiquement, nous demandons aux États du G20 et de l’UE de :

  • S’engager à participer à une convention multilatérale[[Le Royaume-Uni a formulé une telle proposition. La version actualisée de la Convention OCDE-Conseil de l’Europe concernant l’assistance mutuelle en matière fiscale pourrait également y contribuer, à condition de faciliter l’adhésion à ladite convention des pays en développement, de faire pression pour obtenir celle des territoires non-coopératifs et de permettre l’automaticité de l’échange de renseignements.]] permettant un échange effectif de renseignements fiscaux et obtenir des territoires sous leur influence et des paradis fiscaux qu’ils y participent.
  • Étendre, d’abord de façon expérimentale avec quelques pays en développement, la directive européenne sur l’épargne fondée sur l’échange automatique de renseignements.
  • Unifier au niveau international la définition légale de la fraude fiscale et exiger que le GAFI en fasse une infraction sous-jacente au blanchiment d’argent.
  • Saisir et restituer les avoirs détournés aux pays spoliés, principe inscrit dans la Convention des Nations unies contre la corruption (dite de Merida), et adapter le droit interne à chaque État afin de faciliter les actions en justice des acteurs non-étatiques qualifiés aux fins de restitution en cas de défaillance de l’État spolié.

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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