Etude de cas : le cas du financement de la SOCAPALM

Publié le 15.10.2013

Parallèlement à ses activités de soutien à l’agriculture familiale, le groupe AFD, via sa branche PROPARCO dédiée au secteur privé, finance les activités d’importants groupes agroindustriels opérant dans les pays du Sud.


Ainsi, depuis de longues années, PROPARCO intervient auprès du principal acteur de la filière huile de palme au Cameroun : la SOCAPALM. Cela soulève trois types de questions :

  • D’une part, les activités de cette entreprise ont fait l’objet de nombreuses alertes publiques concernant leurs impacts sociaux et environnementaux. Comment PROPARCO a-t-elle pris en compte ces données en application de sa procédure de maîtrise des risques sociaux et environnementaux, et en particulier concernant les risques pour les populations ? Quelle est la capacité de suivi de l’AFD-PROPARCO, et quels mécanismes de résolutions des différends l’institution a-t-elle mis en place ?
  • Comment PROPARCO a-t-elle géré la relation avec le maître d’ouvrage SOCAPALM Cameroun ?
  • Enfin, le soutien à un acteur dominant de la filière industrielle d’huile de palme reflète un choix stratégique en termes de développement, qu’il conviendrait d’expliciter en termes d’impacts positifs mais aussi négatifs attendus du projet. En renforçant la filière huile de palme via le soutien à un acteur déjà dominant sur le marché, quels sont les impacts positifs attendus pour les populations ? Une telle étude d’impact a-t-elle été menée ? Des alternatives ont-elles été explorées ?

Le projet, les acteurs et le montage financier :

La SOCAPALM
SOCAPALM a été créée en 1968 sous l’impulsion du gouvernement camerounais, avec l’aide de la communauté internationale. à l’origine, la société possédait six propriétés et quatre complexes agricoles sur lesquels elle exploitait des palmiers à huile et quelques cocotiers dans la région littorale du Cameroun. Les plantations de Mbongo et d’Edéa ont démarré en 1969, celle d’Eséka en 1970, celles de Mbambou et de Dibombari en 1974 et celle de Kienké enfin, en 1978. Ces plantations sont localisées dans les provinces du Littoral, du Sud et du Centre. En 2001, la SOCAPALM a acquis la « SPFS » afin de développer son activité.
En 2000, l’état Camerounais lance une vague de privatisation afin de favoriser la
compétitivité des entreprises, réduire les coûts de production», mobiliser le secteur privé « et surtout développer un actionnariat national dynamique ». L’état camerounais vend ainsi une grande partie de ses actions à PALMERAIES DU CAMEROUN (PALMCAM), faisant de cette dernière l’actionnaire majoritaire de SOCAPALM avec 70% des parts, l’état restant actionnaire à hauteur de 27%. Par le bail emphytéotique signé le 30 juin 2000, la République du Cameroun octroie à SOCAPALM, pour une durée de 60 ans renouvelable une fois, 78 529 hectares, pour une redevance annuelle s’élevant à 393 millions de FCFA (soit 5 000 F/ha), Un avenant au dit bail, signé le 30 août 2005, ramène la superficie louée à SOCAPALM à 58 063 hectares [[Note d’information émise à l’occasion de l’introduction en bourse de la SOCAPALM. Société générale des banques au Cameroun (SGBC). 2009. http://www.doualastock-
exchange.com/Docs/Documents/1285771127-Note_d’information_de_SOCAPALM.pdf
]].
Les surfaces alors concédées couvrent une superficie de 78 529 hectares [[Chiffres exposés dans le rapport « Circonstance spécifique visant les groupes de sociétés Bolloré (France), Financière du champ de Mars (Belgique), SOCFINAL
(Luxembourg) et Intercultures (Luxembourg) pour violation des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales en raison des activités
de la SOCAPALM (Société Camerounaise de palmeraies) au Cameroun ». Document rédigé par les ONG Misereor (Allemagne) , Sherpa (France), Centre pour le
Développement (CED, Cameroun), Fondation Camerounaise d’Actions Rationalisées et de Formation sur l’Environnement (Focarfe, Cameroun). Texte présenté
devant les Points de contact nationaux en France, Belgique et Luxembourg.]]. L’acquisition de la SPFS – Palm’Or, en 2001 a apporté 5 000 hectares supplémentaires. Avec 25 998 hectares exploités en 2007, auxquels s’ajoutent 18 265 hectares de plantations villageoises encadrées (c’està-dire des plantations villageoises qui se trouvent dans les périmètres des concessions de la société), la SOCAPALM (filiale incluse) est la plus importante exploitation d’huile de palme au Cameroun. Ses quatre huileries sont capables de traiter 132 T/h (Tonnes/ heure) de régimes de palmes, et elle dispose d’une capacité de stockage de près de 25 000 tonnes. La capacité industrielle est considérable, et de fait, la SOCAPALM est le plus gros producteur d’huile de palme du Cameroun (avec environ 42% du marché de l’huile brute)
Le gros de la production de la SOCAPALM (65%) se concentre essentiellement sur 5 mois de l’année (saison sèche). La société produit surtout de l’huile de palme brute et des amandes palmistes. L’huile fraiche est destinée à la consommation alimentaire tandis que d’autres huiles sont destinées au raffinage ou aux savonneries. Selon la Société générale de banques au Cameroun [[Note d’information émise à l’occasion de l’introduction en bourse de la SOCAPALM. p 36 .Passage extrait de la Circonstance spécifique précédemment citée, p. 6]], en 2009 la SOCAPALM était alors détenue en majorité par la holding camerounaise PALMCAM et l’état camerounais en était le 2e actionnaire. En 2008, PALMCALM était détenue à 63,72% par la SOCFINAF (ex-Intercultures). La SOCFINAF est détenue en majorité par SOCFIN (ex-SOCFINAL) l’un des premiers planteurs indépendants dans le monde dont les activités s’étendent en Asie et en Afrique. Notons que de 2001 à 2007 PROPARCO a elle-même détenu une participation de 3,5% dans Intercultures [[Rapport financier 2007 p. 22, PROPARCO]].

Source : Extrait de la Note d’information pour l’augmentation de capital de SOCAPALM par appel public. SGBC. 2009

La prise de participation de PROPARCO au capital de la SOCAPALM
En 2009, la Société camerounaise de Palmeraies, dite SOCAPALM, a procédé, à une augmentation de capital par appel public à l’épargne [[Cette opération a été décrite dans la Note d’information pour l’augmentation de capital de SOCAPALM par appel public à l’épargne émise à l’occasion]] et est ainsi entrée à la toute jeune Bourse de Douala. L’opération était alors pilotée par la Société Générale de banques au Cameroun [[La SGBC est une filiale à 58,1% du Groupe Société Générale]]. L’entreprise a alors émis 324 352 actions (soit 20,31 % de son capital social). Une opération majeure. À cette occasion, PROPARCO a souscrit pour 1,5 milliards de FCFA (soit 2,3 millions d’euros [[Idem. Soit 1, 5 milliard de FCFA, Le montant de l’appel à l’épargne portait sur un peu de 15 milliards de Francs CFA]]) à l’augmentation de capital [[IFiche projet SOCPALM – http://www.PROPARCO.fr/Accueil_PROPARCO/Activite/Projets_PROPARCO/Tous-les-projets/Cameroun-2009-Financement-SOCAPALM]] de la SOCAPALM – soit 10% des actions – et en fait état dans un document public (la fiche projet) sur son site, expliquant les objectifs de cet investissement.

Selon ce document (qui reprend stricto censu les éléments de présentation des objectifs tels que décrits dans la note d’information publiée par La Société Générale de Banques au Cameroun) [[Depuis 2002, la SGBC est une filiale à 58,1 % de la Société générale. http://www.sgbc.cm/Banque/historique.html]], SOCAPALM souhaitait réaliser cette augmentation de capital afin d’obtenir des ressources financières (…) pour financer son programme d’investissements, essentiellement industriels, d’environ 30 Mrds F CFA sur la période 2009 / 2014, et réduire partiellement son endettement. Les ressources collectées devaient notamment permettre à la SOCAPALM d’augmenter sa capacité d’usinage dès 2010 en investissant dans une huilerie, d’accélérer le rajeunissement des palmeraies, de se déployer dans la culture de l’Hévéa et de ne pas alourdir davantage son endettement et éventuellement d’alléger ses charges financières. En tout, l’extension des plantations dans les concessions concernent 1 600 hectares de terres [[http://www.PROPARCO.fr/Accueil_PROPARCO/Activite/Projets_PROPARCO/Tous-les-projets/Cameroun-2009-Financement-SOCAPALM]].

Lors de La privatisation de la SOCAPALM, PROPARCO avait également garanti un
prêt à hauteur de 6,5 M€, destiné au financement de son acquisition. Le projet visait déjà à accroître la compétitivité et à appuyer le développement de la filière agroindustrielle du palmier à huile, l’une des plus importantes au Cameroun [[Rapport annuel 2006 de PROPARCO, p. 15]]. Ainsi, en moins de 10 ans, PROPARCO est intervenu auprès de la SOCAPALM pour près de 9 millions d’euros.

Objectif affiché : à l’horizon 2020, la SOCAPALM doit produire plus de 100 000 tonnes d’huile brute et sa filiale, la SOCIETE DES PALMERAIES DE LA FERME SUISSE PALM’OR SPFS, apportant une production additionnelle de 17 000 tonnes. L’Hévéa déjà planté sera mature dès 2013, et la production de caoutchouc doit, elle, débuter en 2013 et progressivement augmenter pour atteindre 3 000 tonnes en 2020.


Quelle prise en compte des risques sociaux et environnementaux par PROPARCO ?

Des controverses autour de la SOCAPALM que ne pouvait ignorer PROPARCO

La SOCAPALM fait souvent parler d’elle… tant en France qu’au Cameroun. Dès 2007, un mémoire de recherche portant sur les impacts des grandes plantations sur les populations locales, est publié par un agro-économe de l’Université Autonome de
Barcelone [[Julien François Gerber, « Les communautés bulu contre la plantation industrielle HEVECAM au Cameroun ». Direction : Professeur Joan Martínez-Alier. Voisine d’Hevecam, Socaplam est largement citée et les impacts de ses activités sur les communautés sont bien décrits. Institut des Sciences et Technologie Environnementales (ICTA) Programme doctoral en sciences environnementales (Option Économie écologique Septembre 2007 et gestion environnementale) Université Autonome de Barcelone (UAB), 2007]]. Bien que portant principalement sur les activités d’Hevecam, la SOCAPALM (dont certaines plantations sont voisines de la première) est citée et les impacts de ses activités sur les communautés sont décrits [[De ce mémoire, découlera notamment un article : Gerber, J.‐F. 2008. Résistances contre deux géants industriels en forêt tropicale: populations locales versus plantations commerciales d’hévéas et de palmiers à huile dans le Sud‐Cameroun. Montevideo: World Rainforest Movement. http://www.snis.ch/content/julienfran% C3%A7ois-gerber]]. Sont déjà évoqués : la pression des plantations sur les villages, les pollutions, les violences entre communautés et vigiles gardant les plantations, la marginalisation et la dégradation des conditions de vie des pygmées.

Dès 2008, des médias [[Entre autres : « Les Camerounais exploités des palmeraies de Bolloré », 11 mars 2008, Libération (Fr), « Cameroun, l’empire noir de Vincent Bolloré », France Inter, 29 mars 2009, « L’exaspération des riverains des « plantations Bolloré », 6 juin 2011, Billets d’Afrique (Fr), « Cameroun, Edéa : les bureaux de la SOCAPALM saccagés. Bilan, un mort et un militaire blessé. », Camer.be, jeudi 29 mars 2012]] (notamment français) font état de problèmes sociaux sur les plantations et de conflits avec les riverains. En 2009, la photographe Isabelle Alexandra Ricq publie un reportage [[The man who sold the world : subdue. Ce sujet a été réalisé en février et mars 2009 par Isabelle Alexandra Ricq]] portant un témoignage fort sur les conditions de vie difficiles des populations locales.
La même année, le 29 mars 2009, France Inter diffuse l’émission Interception une enquête intitulée « Cameroun, l’empire noir de Vincent Bolloré », le groupe de ce dernier étant l’un des actionnaires minoritaires de la SOCAPALM et de la société Socfinal (actionnaire d’Intercultures elle-même actionnaire de Palmcam). Les auteurs du reportage y relatent notamment des conditions de travail et de vie éprouvantes pour les ouvriers des plantations de SOCAPALM. Attaqués en diffamation par Vincent Bolloré et par la SA Bolloré, les journalistes Lionel THOMPSON et Benoit COLLOMBAT ainsi que le président de Radio France, sont condamnés le 06 mai 2010 par la 17e chambre correctionnelle sur l’ensemble des éléments de leur enquête, sauf sur les passages relatifs à la SOCAPALM… En effet, dans son rendu le tribunal juge que « Aussi, en l’état des éléments d’enquête dont les prévenus disposaient sur la SOCAPALM et de l’ultime précision qui avait été apportée aux auditeurs au titre du contradictoire selon laquelle aucune société du groupe Bolloré ne gérait directement la SOCAPALM, les prévenus pourront bénéficier, de ce chef, de l’excuse de bon aloi » [[Extrait de la procédure d’audience, Jugement du 06 mai 2010]].
En décembre 2010, après plusieurs années d’enquête, des ONG françaises, allemande et camerounaises saisissent dans trois pays (France, Belgique, Luxembourg) les points de contact nationaux [[Le PCN est une instance d’état sensée veiller au respect par les entreprises françaises des des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales. Il peut être saisi afin de statuer si, dans une situation spécifique, une entreprise à violé les dits principes]] (PCN) de l’OCDE85, chargés de veiller au respect des principes directeurs de l’OCDE à l’attention des entreprises multinationales. Leur saisine concerne quatre sociétés actionnaires ou en relation d’affaires avec la SOCAPALM : BOLLORE SA domicilié en France, Financière du Champ de Mars domiciliée en Belgique ainsi que deux sociétés domiciliées au Luxembourg, à savoir Socfinal (Société Financière Luxembourgeoise SA) et INTERCULTURES (Compagnie Internationale de Cultures SA). ) [[Circonstance spécifique visant les groupes de sociétés Bolloré (France), Financière du champ de Mars (Belgique), SOCFINAL (Luxembourg) et Intercultures
(Luxembourg) pour violation des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales en raison des activités de la SOCAPALM (Société
Camerounaise de palmeraies) au Cameroun. SHERPA, MISEREOR, CED, FOCARFE. Décembre 2010]]. Selon les plaignants, « la SOCAPALM se serait rendue responsable d’atteintes portées aux populations riveraines : détérioration des conditions de vie des populations riveraines (notamment des communautés autochtones Pygmées, les Bagyéli), contribution insuffisante au développement durable des communautés riveraines (notamment en
ne soutenant pas assez les récoltes locales), recours insuffisant à l’emploi local, atteintes sérieuses à l’environnement (pollution sonore, pollution de l’air et des cours d’eau du fait notamment de déversements de déchets), violences exercées par la société Africa Security [[Une société sous-traitante alors en charge du gardiennage des plantations]], non-poursuite des missions de service public connexes à l’activité de la SOCAPALM. (…) La SOCAPALM serait également responsable de manquements aux normes fondamentales du travail au regard des conditions de travail des travailleurs et des employés de la SOCAPALM : en matière de santé, de conditions d’hébergement, de sécurité au travail, de rémunération et de protection sociale, de négociation collective (…) » [[Contenu de la circonstance spécifique déposée en décembre 2010, p. 7]].

Le PCN français amène la SOCAPALM à engager une médiation

Le PCN français a validé la recevabilité de cette circonstance spécifique, considérant que « Bien qu’il soit un actionnaire minoritaire de la SOCAPALM le Groupe BOLLORE est un de ses « partenaires commerciaux [[Déclaration du PCN, juillet 2013, Paris – consultable sur : https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/386835]] », « une relation d’affaires » influente.

Le rapport final du PCN [[Idem]] souligne que : « les activités de la SOCAPALM ont contrevenu à certains principes directeurs relevant des chapitres sur les principes généraux, l’emploi et les relations professionnelles et l’environnement » et identifie des défaillances « en matière de publication d’informations » [[Idem]]. Le PCN constate notamment « que l’activité de la SOCAPALM (…) ne contribue pas suffisamment au développement durable des communautés riveraines du fait de la diminution de certains de leurs moyens de subsistance et de leur espace vital sans compensation réelle et du fait d’un recours insuffisant à l’emploi local ». Il souligne aussi que le développement des activités de la SOCAPALM « n’a pas suffisamment pris en considération le respect des droits des populations locales riveraines définis par les conventions de l’ONU, en particulier des populations autochtones pygmées ». La SOCAPALM n’a pas non plus « suffisamment encouragé la création de capacités locales et n’a pas coopéré étroitement avec les populations riveraines ». Le PCN estime aussi que les besoins des communautés riveraines n’a pas assez été pris en compte et que l’entreprise « n’a pas appliqué les meilleures pratiques de gouvernement d’entreprise dans la gestion de l’extension de ses plantations à l’intérieur de la concession octroyée par l’État en sorte d’éviter qu’elle n’affecte les
communautés riveraines ». De plus, elle n’a pas su mettre en place un « climat de
confiance avec les communautés locales ».

Le PCN a aussi constaté que la SOCAPALM « a d’abord procédé à la modernisation de son outil industriel et au développement des plantations avant de se consacrer aux questions environnementales, ce qui a engendré d’importants impacts environnementaux ». De fait au moins jusqu’en 2009, contrairement aux recommandations de l’OCDE, la SOCAPALM n’avait pas « mis en place un système de gestion environnemental adapté ».

D’autre part, le PCN a souligné que « le Groupe BOLLORE assume désormais les
responsabilités définies par les Principes directeurs découlant de sa position d’administrateur et d’actionnaire vis-à-vis de la SOCAPALM » [[Contenu du rapport du PCN, point 6.1. Remarques générales du PCN sur l’analyse de la circonstance spécifique]].


Par ce rendu, le PCN de l’OCDE contribue de manière intéressante à la connaissance de la structure de la SOCAPALM, de ses activités et, plus largement, clarifie ses responsabilités.

En effet, les principes directeurs de l’OCDE préconisent que l’entreprise doit « S’efforcer d’empêcher ou d’atténuer une incidence négative, dans le cas où elles n’y ont pas contribué mais où cette incidence est néanmoins directement liée à leurs activités, à leurs produits ou à leurs services en vertu d’une relation d’affaires. »
En ce sens, ils précisent que « Si une entreprise s’aperçoit qu’elle risque de
contribuer à une incidence négative, elle devrait alors prendre les mesures nécessaires pour interrompre ou pour empêcher cette contribution et user de son influence pour atténuer les incidences résiduelles dans toute la mesure du possible ».
De leur côté, les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, adoptés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies en 2011 vont encore plus loin : « Si l’entreprise a le pouvoir de prévenir ou d’atténuer l’incidence négative, elle doit l’exercer. Et si elle ne l’a pas, il peut y avoir des moyens pour elle de l’accroître. [….] Il existe des situations dans lesquelles l’entreprise n’a pas le pouvoir de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives ni n’est en mesure de l’accroître. Dans ce cas, elle devrait envisager de mettre un terme à la relation […] Dans tous les cas, tant que l’atteinte se poursuit, et que l’entreprise demeure dans la relation, elle devrait pouvoir démontrer les efforts constants qu’elle a menés pour atténuer l’incidence et être prête à accepter toutes les conséquences − en matière de réputation, du point de vue financier ou juridique − du maintien de ce lien. »

En juin 2013, la SOCAPALM a engagé un processus de médiation avec l’association Sherpa et d’autres associations, autour d’un plan d’action visant à améliorer les conditions de vie des riverains et travailleurs de l’entreprise.

Les « remous » autour des activités de la SOCAPALM sont donc de notoriété publique depuis longtemps et pouvaient difficilement être ignorés.

PROPARCO et la SOCAPALM : chronique d’un suivi déficient
PROPARCO connait bien la SOCAPALM. En tout cas depuis sa privatisation. L’institution a apporté son concours à deux reprises à l’entreprise (au début des années 2000 et en 2009) et, de plus, PROPARCO a été actionnaire du groupe Intercultures jusqu’à 2007 [[Sur leur site, seuls les rapports d’activité depuis 2004 sont disponibles. La participation au sein d’Intercultures y apparait à hauteur de 3, 46 %. Lors d’un rendez-vous avec les équipes de PROPARCO, il nous a été confirmé que la participation couvrait la période 2001-2007. Pour sa part, le CCFD-Terre Solidaire l’affirme sur la base des rapports institutionnels disponibles pour la période 2004-2007]]. On imagine alors mal qu’un bailleur institutionnel, partenaire financier historique du développement de la SOCAPALM, et a fortiori, acteur du développement, ait pu rester passif devant une telle situation. On peut donc se demander qu’est-ce que PROPARCO a fait pour identifier, prévenir et finalement atténuer les impacts des activités de l’entreprise sur les droits des populations ? Comment ses services ont-ils interagi pour rendre le suivi efficient en termes de maitrise des risques sociaux et environnementaux ? Comment les cadres existants ont-ils été mis en place ?

Malheureusement la réponse est décevante. Aujourd’hui, au vu des informations dont dispose le CCFD-Terre Solidaire, on peut dire que le suivi sur cette dimension a été inexistant.

Un cadre de maitrise des risques en évolution.

Certes entre le moment où PROPARCO s’est engagé dans la SOCAPALM et aujourd’hui, ses cadres de maîtrise des risques sociaux et environnementaux ont évolué, de même que ceux du groupe AFD. La perception de ces risques est elle aussi devenue plus prégnante depuis quelques années. D’abord cantonnée au domaine financier, la notion de risque a évolué pour embrasser les champs sociaux et environnementaux. Cependant, cela fait longtemps que le groupe AFD et PROPARCO déclarent prendre en compte les risques inhérents aux projets, sachant que PROPARCO ayant des modes opératoires distincts, se dote de règles spécifiques. A la lecture des rapports institutionnels de PROPARCO et de travaux de recherche traitant du sujet, on constate ainsi que dès le début le soutien à la SOCAPALM aurait pu faire l’objet d’une diligence particulière.

Ainsi dans le rapport annuel 2002 du groupe AFD il est écrit que « l’AFD dispose d’outil de suivi de la qualité et des résultats de ses opérations » [[Rapport annuel AFD, p. 15. 2002]]. Si la référence à des critères environnementaux et sociaux n’est pas explicite, on peut cependant espérer que ces dimensions n’échappaient alors pas au groupe. En 2003, le groupe AFD parle de renforcer les « diligences environnementales et sociales », une question qui concerne à la fois « la maitrise des risques et la qualité des projets » [[Rapport annuel AFD, p. 20. 2003]]. L’agence souhaitait alors se doter dès 2004 d’une méthodologie similaire à celle des grands bailleurs de fonds applicable dès 2005. Selon l’AFD-PROPARCO, se pose déjà la question de la délimitation de la responsabilité entre bailleur et maitrise d’ouvrage… vaste programme.

En 2004, le groupe AFD a élaboré deux chartes des valeurs et principes d’actions défendus par le groupe en interne et sur le terrain que sont : le respect des personnes, de leur dignité, de leur santé ;

  • le souci d’impartialité dans les jugements et dans les choix professionnels ;
  • l’exigence de transparence ;
  • l’affirmation d’un esprit d’ouverture ;
  • le respect de la confidentialité et du secret professionnel ;
  • le souci des impacts environnementaux et sociaux.

En 2006, dans son rapport annuel, PROPARCO met la RSE au coeur de sa stratégie de soutien à des entreprises ou des banques modèles sur le plan social et / ou environnemental [[Rapport annuel PROPARCO, p. 16. 2006]]. Dès 2007, le groupe AFD se dote en effet d’une politique RSE inscrite dans son plan d’orientation stratégique 2007-2011. Cette même année, une cellule d’appui Environnemental et social (CAES) est créée. Avant cela, seuls les impacts environnementaux étaient évalués lors de l’instruction des dossiers par la division « Environnement ».

La nouvelle cellule d’appui Environnemental et social (CAES) du groupe AFD est chargée :

Une politique RSE déjà assez complète dès 2007

  • D’évaluer les risques ;
  • De proposer des mesures pour éviter ou limiter les risques ;
  • de suivre leur mise en œuvre ;
  • d’évaluer leur efficacité à posteriori.

    Les principales étapes de la démarche de maitrise des risques sont :
  • évaluation environnementale et sociale à l’identification du projet qui aboutit à un classement du projet ;
  • évaluation ex ante des risques environnementaux et sociaux (étude ou notice d’impact), proposant des actions visant à diminuer les impacts négatifs ;
  • rédaction d’un plan de gestion environnemental et social (PGES) décrivant les mesures d’atténuation à mettre en place ;
  • suivi de leur mise en œuvre tout au long du projet ;
  • évaluation ex post et bilan environnemental et social permettant de mesurer l’efficacité des mesures recommandées. Les champs couverts par l’évaluation sociale et environnementale sont :
  • sur le plan environnemental : l’écologie (milieux naturels et biodiversité), les pollutions et nuisances (eau, air, sol, bruit, déchets, effets sur la santé et la sécurité des populations), les ressources naturelles (ressources en eau, ressources du sol et du sous-sol, énergie, gestion / occupation de l’espace), les risques naturels, technologiques et sanitaires, le cadre de vie des populations ;
  • sur le plan social, tous les risques qui relèvent essentiellement du respect des droits fondamentaux de la personne humaine, et qui sont visés par des normes, textes et conventions internationales reconnues : (dont le travail forcé, les conditions de travail) l’équité pour les groupes sociaux défavorisés ou exclus, le non-respect de la diversité culturelle.

Au niveau environnemental, la CAES demande que le classement des projets soit réalisé en fonction :

  • du type de projet (secteur d’activité) ;
  • de la localisation (sensibilité du milieu) ;
  • de la taille du projet ;
  • de la règlementation en vigueur ;
  • et du fait qu’il s’agisse d’un nouveau projet ou d’une extension de projet existant.

La CAES, qui valide la note finale du projet, définit les diligences environnementales et sociales à mettre en œuvre par le bénéficiaire. Une notation A implique la réalisation d’une étude d’impact environnemental et social (EIES) et la mise en place d’un plan de gestion environnemental et social (PGES) devant organiser la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Une notation B entraîne la réalisation d’une simple notice d’impact environnemental et social. La notation C ne nécessite aucune diligence particulière.

Donc à partir de 2007, au sein du groupe AFD, PROPARCO est dotée d’un outil (et de l’architecture opérationnelle afférente) qui devait lui permettre d’identifier, prévenir et maitriser les risques inhérents aux projets développés. Enfin, en 2010, PROPARCO a édicté sa propre liste de critères d’exclusion dont au moins l’un d’eux aurait pu concerner la SOCAPALM.

Les manquements de la maitrise des risques dans le cadre du projet SOCAPALM
Dans le cas de la SOCAPALM, PROPARCO a confirmé au CCFD-Terre Solidaire que le projet relevait non de l’intermédiation financière mais bien de l’intervention directe ; dans ce cas de figure en principe, l’institution assume donc en direct ses responsabilités de suivi social et environnemental.

Or le CCFD-Terre Solidaire relève sur ce projet des manquements importants aux principes de maitrise des risques du groupe AFD. De plus, au vu des règles de maîtrise des risques spécifiques que s’est donné PROPARCO, l’attention du bailleur aurait dû être accrue. Tout d’abord, et de l’aveu même du directeur de l’AFD au Cameroun, le secteur agricole est un secteur sensible d’autant plus quand il est question d’un cycle industriel qui génère des effluents. Dans le cadre de ce projet, pourtant, cela n’a visiblement eu aucune conséquence.

La non prise en compte du critère d’exclusion concernant l’habitat critique
La liste d’exclusion de 2010 interdit de travailler sur « Toute opération entraînant ou nécessitant la destruction d’un habitat critique, et tout projet forestier ne mettant pas en œuvre un plan d’aménagement et de gestion durable ».

La destruction signifie notamment l’élimination ou la sévère diminution de l’intégrité d’un habitat causée par un changement majeur et à long terme de l’utilisation du sol ou des ressources en eau ou la modification d’un habitat telle que la capacité de cet habitat à remplir son rôle soit perdue. Le terme d’« habitat critique » englobe les habitats naturels et modifiés qui méritent une attention particulière. Ce terme inclut notamment « les espaces à haute valeur en terme de biodiversité (…) et les territoires présentant une biodiversité d’importance sociale, économique ou culturelle significative pour les communautés locales [[Liste d’exclusion PROPARCO. Décembre 2010]] ».
Or, pour les pygmées bagyeli, peuple autochtone, l’extension des plantations signifie une pression accrue sur leur mode de vie, et la destruction de leurs espaces de cueillette et de chasse. En un mot : leur disparition. Cette situation est connue. Ainsi, dans un rapport [[Rapport en date du 18 décembre 2012, versé au Conseil des droits de l’homme Vingt-deuxième session Point 3 de l’ordre du jour , Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement]] additif élaboré suite à une mission au Cameroun en 2012, Olivier de Schutter, rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation écrit à propos de la situation générale dans le pays: « Des statistiques nationales fiables manquent en ce qui concerne la situation socioéconomique des peuples autochtones. Cependant, plusieurs études démontrent que les communautés autochtones du Cameroun sont
particulièrement menacées dans la jouissance de leur droit à une nourriture suffisante » [[Doc. cit. Page 6, paragraphe 16]] . « Sans des mesures appropriées visant à protéger les droits des Pygmées, les projets de développement tels que des exploitations forestières et des plantations à large échelle vont renforcer encore leur marginalisation au lieu d’améliorer leur situation » [[Doc. cit. page 7, par. 19]]. Cette analyse s’applique très bien aux activités de la SOCAPALM et aux pygmées pour qui la forêt est bien plus qu’un espace de vie, c’est aussi un lieu important de leurs croyances : à ce titre, on parle bien d’un habitat critique présentant une « biodiversité d’importance sociale, économique ou culturelle significative pour les communautés locales ». L’absence de Plan de gestion environnementale et sociale du projet

Alors qu’il est question d’extension de plantation, de développement de l’outil industriel, PROPARCO a visiblement omis de demander la mise en place d’un tel plan. Pourtant, qu’il soit classé A ou B (un classement C serait incompréhensible au vu du secteur d’opération et du contexte camerounais), le projet aurait dû donner lieu à une étude d’impact ou une notice d’impact environnemental et social. De là, un suivi aurait été rendu possible, ainsi que des mesures d’atténuation des impacts.

L’absence de réaction alors qu’un faisceau de présomptions de problèmes locaux apparaissait clairement (dès 2009). Pourtant, chaque mois les bureaux locaux du groupe AFD sont censés faire remonter à la division des risques et de la conformité les informations de « terrain », c’est-à-dire toute information relevant du risque projet (y compris les risques lié à la réputation). On pourrait penser que l’accumulation d’échos négatifs (via la presse camerounaise, française, les « milieux avertis ») aurait dû alerter les services du groupe AFD au Cameroun. Est-ce que ce reporting a été fait ? Si non pourquoi ? Si oui, comment expliquer que rien ne semble avoir été diligenté pour au moins vérifier la véracité de ces échos et ainsi éventuellement procéder à un audit plus approfondi ?

Le directeur de l’AFD au Cameroun met en avant deux éléments principaux à même selon lui d’assurer un financement en cohérence avec les engagements de l’institution : la connaissance du pays et du secteur, et la cohérence des projets
avec les politiques internationales et nationales. Si effectivement, le secteur huile de palme est une des priorités du gouvernement camerounais pour développer son secteur agricole , on ne pas dire que la connaissance du pays et du secteur ait été exploitée dans toutes ses dimensions dans ce cas précis. Ces éléments se sont révélés insuffisants pour assurer un suivi efficace du projet.

Pour résumer, il est difficilement compréhensible que l’AFD-PROPARCO ne se soit pas emparée du cas. Le groupe aurait pu le faire dès le début des
années 2000 lors de sa première opération auprès de la SOCAPALM, et dans les opérations suivantes. L’influence d’un bailleur tel que le groupe AFD aurait certainement permis de peser en faveur de la mise en place des meilleures normes et des plus hauts standards de responsabilité, tout en cherchant à atteindre de réels objectifs de développement. Au-delà, dès 2007 l’AFD-PROPARCO semble avoir été en mesure d’appliquer son cadre de maitrise des risques et ainsi améliorer le projet ou, le cas échéant, s’en retirer et ainsi ne pas cautionner les dérives constatées ultérieurement par le PCN.

Il ressort de l’examen de ce projet que celui – ci est finalement assez éloigné de l’objectif de sécurité alimentaire pourtant annoncé par PROPARCO. Les objectifs de développement fixés par PROPARCO se contentent de reprendre les termes de la notice d’introduction en bourse de la SOCAPALM. PROPARCO semble s’être avant tout préoccupée de soutenir un acteur industriel dans ses logiques propres, et d’atteindre des objectifs financiers. Comment dans ces conditions l’institution a-t-elle pris en compte l’intérêt général des camerounais ? Aujourd’hui, après que le PCN ait rendu son avis, PROPARCO maintient toujours sa participation au sein de la SOCAPALM. On attendrait de l’institution qu’elle aille au bout de sa démarche de RSE, et utilise cette participation, même très minoritaire, pour poser des exigences accrues à l’égard de la SOCAPALM.


Recommandations du CCFD-Terre Solidaire à PROPARCO

  • Que le groupe AFD, dans le cadre de sa politique d’évaluation, diligente en collaboration avec des chercheurs indépendants, un audit de la filière huile de palme au Cameroun afin d’évaluer globalement l’impact de ce projet en termes de sécurité alimentaire mais aussi d’impacts négatifs pour les populations locales. Un audit approfondi impliquerait aussi un examen de la place, du rôle et de l’influence de la SOCAPALM sur le secteur et sur les paysans camerounais. Il nous apparait nécessaire que le groupe AFD réfléchisse également à des alternatives possibles pour un renforcement effectif de la filière au-delà de la position déjà dominante de la SOCAPALM.
  • Qu’à l’instar de la SFI (Société Financière Internationale, filiale de la Banque mondiale pour le secteur privé), PROPARCO rende publics les classements de ses projets
  • Que PROPARCO rende publiques les mesures de suivi diligentées dans le cadre des projets soutenus
    • Que les moyens de PROPARCO soient augmentés afin de permettre un suivi effectif des projets par les équipes locales et par les équipes du siège
  • Que PROPARCO instaure une démarche de transparence, d’information et de participation des organisations de la société civile françaises afin que celles-ci participent à l’élaboration des cadres de maitrise des risques (sociaux, environnementaux et financiers) et dans une moindre mesure émettent une opinion consultative sur les projets financés.

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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