République démocratique du Congo : ” Halte au pillage des ressources naturelles ! “

Publié le 11.11.2013| Mis à jour le 08.12.2021

L’archevêque de Bukavu, Mgr François-Xavier Maroy, soutient – à l’instar de la conférence épiscopale congolaise – que la mise en coupe réglée des richesses minières et forestières de l’est du pays constitue un des fondements de l’interminable guerre qui déchire la région du Kivu depuis près de vingt ans.


En dépit de sa petite taille, le prélat impressionne d’emblée par son franc-parler. « Oui, proclame-t-il, la République démocratique du Congo est bien un scandale géologique, en raison de l’abondance de minerais rares qui entrent dans la confection de la plupart des produits électroniques : la cassitérite (un bioxyde d’étain), le coltan et l’or. Mais le pays est surtout un scandale politique, car les autorités ne mettent pas à profit ces richesses considérables pour assurer le développement et améliorer le sort des populations. Pour l’heure, ces dernières ne bénéficient nullement des retombées de l’exploitation et continuent de végéter dans la misère. »

Minerais et bois précieux se volatilisent

Le réquisitoire est prononcé sur un ton calme, mais résolu. Âgé de cinquante-six ans, Mgr François-Xavier Maroy, qui dirige l’archidiocèse de Bukavu depuis 2006 [[« Je suis également administrateur apostolique du diocèse d’Uvira, en attendant la nomination par le pape d’un évêque titulaire », précise Mgr Maroy.]], ne méconnaît pourtant pas les risques. « Mon engagement, modère-t-il, est celui de tous les évêques congolais. Inspirés par la doctrine sociale de l’Église, nous avons décidé de créer la Commission épiscopale pour les ressources naturelles (Cern). »

Afin d’être en prise avec les réalités du terrain, la Cern, partenaire du CCFD-Terre Solidaire s’est dotée d’un Observatoire des ressources naturelles basé notamment dans l’archidiocèse de Bukavu. Alors, qu’observe-t-on ? « Une véritable activité de fourmilière », reprend l’archevêque. Au Nord et au Sud- Kivu, des dizaines de milliers de « creuseurs » artisanaux fouillent la terre avec leurs mains ou des outils rudimentaires. On les surnomme « les hiboux », car ils vivent dans le noir et ne dorment jamais. L’activité prend un tour industriel lorsque s’implantent de grandes entreprises du secteur, comme la société canadienne Banro.

Après la phase l’extraction, le mystère s’épaissit. Des tonnes de minerais disparaissent. « Ce n’est un secret pour personne qu’une noria d’avionnettes atterrissent dans des clairières aménagées au cœur des forêts et repartent chargées de sacs imposants. » Vers quelle destination ? « Difficile à dire, répond notre interlocuteur. En l’absence de preuves, l’Observatoire se contente de dénoncer l’ampleur des activités de prédation. » Pourtant, nombre d’experts s’étonnent par exemple que le Rwanda, qui dispose de peu de mines de coltan, en exporte plus
qu’il n’en produit.

De même en ce qui concerne l’Ouganda : bien qu’elle ne compte que deux gisements aurifères, Kampala s’est équipée d’une raffinerie d’or. Outre les minerais précieux, « les bois exotiques de la deuxième forêt tropicale du monde font également l’objet de pillages ». Et Mgr Maroy de s’inquiéter : « Que se passera-t-il demain, puisque des traces de pétrole ont été trouvées dans le parc des Virunga au Nord-Kivu ? »

Cette exploitation abusive des ressources naturelles congolaises entretient, voire suscite, l’insécurité. « J’ai remarqué que les viols de femmes – l’un des fléaux des conflits du Kivu – se déroulent fréquemment autour des carrés miniers. Rien de tel pour faire déguerpir un village et s’approprier les terres que d’exercer de telles violences sexuelles. » Ces pratiques peuvent être le fait de l’armée, de miliciens ou de rebelles, « de tous ceux qui ont intérêt à la déstabilisation de la région, sans que ce chaos remette en cause leurs juteux trafics. » (Voir hors-texte ci-dessous.)

L’histoire semble se répéter au Kivu. La région orientale a déjà été le théâtre de trois guerres : entre 1996 et 1997, puis entre 1998 et 2003, enfin en 2008-2009. Depuis avril 2012, un nouveau mouvement rebelle – le M 23 –, bénéficiant d’appuis à Kigali, a relancé les affrontements et suscité la fuite des populations rurales. Au total, ces conflits se seraient soldés par 3 à 5 millions de victimes en deux décennies. « C’est une estimation crédible, commente Mgr Maroy, mais une estimation. »

Et concernant les déplacés ? « Je ne peux vous livrer qu’un chiffre fi able, limité au seul archidiocèse de Bukavu, dans le Sud-Kivu. Les enquêtes de la Caritas ont recensé 5 900 ménages, soit en tablant sur une moyenne de cinq personnes par foyer, quelque 30 000 déplacés. » Un instantané. « Dès que ces populations apprennent que les miliciens ont quitté leur village, elles y retournent. Jusqu’à la prochaine attaque. » Dans le Nord-Kivu où la rébellion a concentré ses forces, la situation est bien plus critique : des centaines de milliers de déplacés survivent dans des camps.

L’archevêque de Bukavu se refuse pourtant de désespérer. « L’accord signé à Addis-Abeba, le 24 février 2013, constitue une lueur d’espoir, souligne-t-il. Parmi les onze chefs d’État africains qui se sont engagés à ramener la paix dans l’est de la RDC figurent tous les dirigeants de la région.[[ L’Accord-cadre d’Addis-Abeba réclamait aussi une « révision stratégique » du rôle de la Mission des Nations unies (la Monusco). Appel entendu : la résolution 2098 adoptée le 28 mars 2013 à l’Onu prévoit
que la Monusco sera dotée à compter de juillet d’une « brigade d’intervention » de 3 069 hommes chargée de « neutraliser les groupes armés ».]] » En parallèle, des pourparlers de paix se poursuivent à Kampala, la capitale de l’Ouganda. Sans attendre d’hypothétiques bonnes nouvelles, Mgr François-Xavier Maroy s’efforce de mobiliser ses ouailles. Dans l’archidiocèse de Bukavu, la commission Justice et Paix appuie la mise en place de comités locaux de gouvernance participative prompts à interpeller les dirigeants locaux : « Pourquoi notre député n’est-il pas rentré de Kinshasa depuis son élection ? »

Soucieux de préparer l’avenir, le prélat a repris son bâton de pèlerin et dénonce inlassablement, de Washington à Bruxelles en passant par Paris, les violations massives des droits humains dans sa région.

Un plaidoyer international qui porte ses fruits

« Je crois que ce travail de plaidoyer peut porter des fruits, affirme-t-il. Aux États-Unis, j’ai insisté auprès des congressistes sur l’importance de la loi Dodd-Frank : elle permet en particulier l’interdiction de commercialisation des “minerais de sang” issus de sites militarisés ou concourant au financement de groupes armés. »

Lors de son passage en mars à Bruxelles, il a exposé ses vues à la Cidse, une alliance de seize ONG catholiques de développement d’Amérique du Nord et d’Europe (dont le CCFD-Terre Solidaire). À Paris, il a été notamment reçu à l’Élysée par la Conseillère Afrique. « Vous voyez que les choses avancent, conclut-il dans un sourire. Il y a cinq ans, j’avais parfois le sentiment de prêcher dans le désert. Aujourd’hui, je rencontre les cercles dirigeants occidentaux et ils m’écoutent. Le retour de la paix au Kivu n’est peut-être pas un mirage… »

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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