Afrique du sud : l’enjeu vital de la redistribution des terres

Publié le 30.10.2018| Mis à jour le 18.05.2022

En attendant les fruits d’une réforme agraire complète qui verrait des propriétaires expropriés sans compensation, les terres communales sont au cœur du combat pour une meilleure répartition des richesses foncières. Dans la région du Cap, deux partenaires du CCFD-Terre Solidaire se battent aux côtés des communautés.


« Dans les régions qui appartiennent historiquement à l’Afrique du Sud blanche, c’est-à-dire partout en dehors des anciens bantoustans, les terres communales représentent pour l’instant le seul moyen de cultiver un potager ou d’élever un peu de bétail », explique Mercia Andrews, directrice du Trust for Community Outreach and Education (TCOE), partenaire du CCFD-Terre Solidaire [[TCOE intervient en milieu rural. Son travail consiste notamment à renforcer les organisations locales et aider les associations à accéder à des terres productives ainsi qu’à des moyens de production afin d’améliorer leur subsistance.]]. Ce collectif composé de six formations régionales, dont le siège est basé au Cap, a poursuivi en justice nombre de communes qui préfèrent louer leurs terres à des fermiers blancs, déjà propriétaires de vastes étendues. À Stellenbosch, l’un des bastions de la minorité blanche, la ville passe ainsi des baux emphytéotiques de 99 ans [[Un bail emphytéotique est un bail de longue durée, d’au moins 18 ans et d’au plus 99 ans.]]. Ces contrats apparaissent d’autant plus injustes aux populations noires et métisses que des arrêtés d’expulsion visent les plus pauvres qui occupent des terres communales non utilisées. Les municipalités veulent les récupérer, le plus souvent, pour y construire de nouveaux logements.

C’est le cas à Ithemba, une enclave rurale située en grande banlieue du Cap. Ce terrain verdoyant de 97 hectares, parsemé d’habitats précaires, est occupé depuis 2008 par un millier de personnes. Depuis deux ans, la province fait tout pour les pousser à partir. Les résidents d’Ithemba, coincés entre un quartier résidentiel pauvre et l’autoroute N2, qui file le long de l’océan Indien, ont reçu un arrêté d’expulsion début 2016. L’ordre émane de la province du Cap-Oriental, gérée par le parti d’opposition Alliance démocratique (DA), qui souhaite y construire des logements.

Pourtant, des chèvres se promènent toujours à l’entrée de ce qui ressemble à première vue à un squatter camp (bidonville) comme les autres. Un groupe d’adultes tue le temps, assis sur une pelouse à un carrefour, non loin de l’un des trois robinets d’eau qui desservent tout le quartier. Des femmes métisses, membres d’une organisation caritative, viennent distribuer de la nourriture pour les 400 enfants de ce human settlement (campement humain), comme on les appelle aussi en Afrique du Sud. Les gamins reçoivent une grosse tranche de pain et une portion de poulet en sauce dans un petit carton en polystyrène blanc. Ici, il n’y a ni eau courante, ni électricité, ni toilettes publiques ou assainissement, et pas non plus d’école, ni de dispensaire.

Les femmes enceintes doivent marcher jusqu’à l’hôpital le plus proche, dans le quartier avoisinant d’East River, tandis que les enfants inscrits à l’école doivent, eux, traverser l’autoroute à pied. Un exercice très périlleux au cours duquel trois adultes ont été tués ces quatre dernières années. Shireen, mère célibataire, raconte :

Les enfants sont méprisés par leurs camarades d’école, parce qu’ils sont sales et viennent d’un bidonville. C’est une souffrance pour eux et certains ne disent pas où ils habitent.

Les femmes en première ligne de la lutte

« En décembre 2017, raconte Lucille Rothquel, l’eau a été coupée, non pas à cause de la sécheresse qui sévit dans la région, mais en raison de l’ordre d’expulsion. » Cette mère de famille métisse fait partie des femmes qui mènent la lutte à Ithemba. Elle a grandi et a été scolarisée en ville, avant de rejoindre son mari, qui croyait à son avenir de fermier sur ce site. Elle ne cesse de se battre, aux côtés du Surplus People Project (SPP, partenaire du CCFD-Terre Solidaire), pour ce qui est devenu « sa » communauté. En mars, elle a téléphoné à la ville pour que l’eau soit rétablie :

« Les éleveurs ici n’ont plus d’eau pour leur bétail. Ils doivent se rendre aux robinets publics installés sur la route principale et remplir des bouteilles, deux litres par deux litres. Ils n’ont pas de bidon, ni de jerrican. C’est vous dire à quel point ils sont pauvres. »

L’écrasante majorité des ménages du township d’Ithemba n’a pas de travail. La plupart d’entre eux viennent de la ville du Cap, d’où ils ont été expulsés, faute de pouvoir payer leurs loyers. Cette destination balnéaire prisée a, en effet, vu les prix de l’immobilier exploser sous la pression des acheteurs étrangers – allemands et britanniques surtout – mais aussi de l’exode massif de familles blanches aisées de la province du Gauteng, qui fuient la criminalité de Johannesburg et Pretoria, à plus de 1 000 km au nord.

Dans les townships noirs et métis du Cap, Ithemba est connu, car on peut y acheter à des prix modiques des chèvres, des moutons ou des vaches pour pratiquer les sacrifices des cérémonies traditionnelles (baptêmes, mariages, circoncision). Çà et là, des vestiges de baraquements détruits signalent une ancienne parcelle rasée, sur laquelle il est interdit de reconstruire. « La province n’autorise qu’une seule structure habitable par parcelle et une structure supplémentaire pour le bétail, explique Lucille Rothquel. Par exemple, il est interdit de construire des extensions à sa maison pour accueillir de la famille de passage. Les contrevenants seraient immédiatement soupçonnés de vouloir faire grossir le camp en sous-louant des logements à de nouveaux arrivants. Si vous enfreignez le règlement, les autorités viennent tout casser. »

Alcoolisme, drogue, violence domestique, criminalité… outre les problèmes sociaux qui minent la communauté, celle-ci reste divisée, malgré son organisation en comités et le soutien du SPP, l’une des rares organisations à se soucier du sort de ces habitants. Lucille Rothquel, qui sert de relais sur le terrain, parle avec une pointe d’amertume du Congrès national africain (ANC) : « Ces Africains au pouvoir, qui permettent aux résidents noirs du township de Khayelitsha d’avoir l’électricité et des rangées de toilettes publiques en plastique. » Elle voit dans l’indifférence de l’État, de la province et de la ville du Cap à l’égard d’Ithemba non pas de la discrimination, mais une forme « d’intimidation »:

Les autorités jouent le pourrissement, dans le but de voir les habitants partir peu à peu, afin de récupérer le terrain.


De nombreux résidents finissent par partir à cause du manque d’eau. Mais les autres sont déterminés à rester, quitte à « occuper » le site
, ce qu’ils font en réalité depuis 2008, au quotidien. Un acte de défiance qui fait écho aux années de lutte vécues par les plus âgés durant l’apartheid (1948-1991). « Nous n’irons nulle part, martèle ainsi Jackie Cox, femme métisse et secrétaire du Progressive Farmers Association (PFA) à Ithemba. La province doit nous trouver un terrain alternatif. Nous connaissons nos droits. Les droits à l’eau et au logement sont inscrits dans la Constitution. » Ils ont rejeté la proposition que leur avait fait la province : un terrain deux fois plus petit qu’il fallait en outre partager avec une autre communauté. « Le problème est politique, estime Jackie Cox, et tout le monde est responsable. Le gouvernement blâme la province, qui blâme le gouvernement. C’est sans issue. »

Sabine Cessou

Lire l’intégralité de l’article dans le n°306 de Faim et Développement, disponible sur abonnement payant.

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