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Tchad : sortir des clivages

Publié le 17.07.2020| Mis à jour le 01.07.2022

Au Tchad, 30 ans de fracture entre un Nord musulman et un Sud chrétien ont profondément marqué les relations entre les communautés. Des associations de jeunes tentent de dépasser ces clivages pour construire une société plurielle.


Kélo, petite ville à 380 kilomètres au sud de N’Djamena, ce n’est déjà plus le Sahel, c’est la porte de la région sud du Tchad. Une région plus humide, plus chrétienne, plus frondeuse au régime. C’est aussi la route principale vers le Cameroun.

De nombreuses communautés y cohabitent en paix mais, comme ailleurs au Tchad, dans un équilibre précaire. Ce pays est en effet traversé par de multiples clivages culturels, religieux, communautaires, politiques… et les contentieux y sont souvent réglés par la violence.

En novembre 2019, lors d’une formation de jeunes médiatrices scolaires sur les techniques de prévention et de résolution de conflits, Zenaba, une jeune lycéenne en classe de seconde à Kélo témoignait : « Je suis musulmane, éduquée selon la tradition, mes parents m’ont toujours empêchée de rester avec les filles sara (1). Ma mère dit qu’elles ont des mauvais comportements et ne s’habillent pas bien et que, si je les suis, je risque de devenir prostituée. »

Une autre fille musulmane, de père borno (2) et de mère sara, tranche en ces termes : « Malheureusement, nous mélangeons religion et traditions et nous tenons les mêmes discours que nos parents. En tant que jeunes, notre mission est de revoir ces discours pour construire une nouvelle société où la diversité religieuse et culturelle ne sera pas source de problèmes. »

Tout est dit, l’enjeu pour les jeunes est là.

Une société civile renouvelée

En 2005, des associations de jeunes chrétiens et musulmans, dont l’Association de partenaires pour l’appui au développement (Apad, voir encadré ci-dessous), soutenue par le CCFD-Terre Solidaire, tentent de relever le défi, à travers la création du Réseau pour la promotion de la paix et de la citoyenneté au Tchad (Reppact).

Ce réseau visait d’abord à encourager l’engagement des associations de jeunes au sein de la société civile, en particulier en milieu musulman. Dans leur majorité, ces associations étaient composées et dirigées par des chrétiens, les jeunes musulmans, eux, participant peu à la vie associative. Les fondateurs du Reppact espéraient ainsi aider à la création d’une société civile renouvelée, débarrassée des vieux clivages, et capable de porter les aspirations des Tchadiens à une paix durable. Vaste programme !

Après avoir réussi à mobiliser et sensibiliser les associations de la capitale, le Reppact a pu, à partir de 2012, grâce à un financement des Nations unies, mettre en place un projet de formation à la vie associative et à la citoyenneté qui a touché plus de 250 associations de jeunes de 18 villes du pays. Ce projet leur a permis de se rencontrer et de découvrir les cultures de leur pays.

À Kélo, deux musulmans, Osman d’ethnie arabe, Nassourou d’ethnie peule, et un chrétien Vansou, tous trois âgés aujourd’hui de 35 ans, ont été parmi les premiers bénéficiaires de ce projet : ils ont suivi des formations, participé à des voyages d’échanges et aidé à la rédaction d’un cahier de doléances national de la jeunesse tchadienne. Ils ont appris à parler en public, à partager des idées et des points de vue, à présenter des demandes argumentées aux autorités. Et à penser collectif.

Animateurs de la vie associative

En 2016, les trois amis deviennent à leur tour des animateurs de la vie associative des jeunes de Kélo. Ils transmettent leurs savoirs et expériences aux associations de la région. Et les aident à obtenir un financement d’Apad pour réaliser des projets.

Au départ, en collaboration avec la municipalité, certains mènent des campagnes d’hygiène et d’assainissement dans les quartiers et les hôpitaux ; d’autres préfèrent sensibiliser sur des questions qui concernent la jeunesse : les maladies sexuellement transmissibles, la cohabitation pacifique, la protection de l’environnement, ils se mobilisent contre la consommation d’alcool et de drogues. D’autres encore organisent des formations sur les droits et devoirs des citoyens, et luttent parfois activement contre la déscolarisation ou le mariage précoce. Ces associations construisent des solidarités et découvrent qu’elles peuvent contribuer à changer leur société.

Petit à petit, à Kélo, certains jeunes militants osent poser des questions plus politiques sur l’accaparement des terres, ou contester une décision des autorités. Lors d’une rencontre avec les associations de jeunes, l’un d’eux interpelle le sous-préfet : « Les autorités ont toujours été complices des conflits en voulant cacher les vérités, ce qui fait que certaines communautés se croient au-dessus des autres. » À l’animateur d’Apad, le sous-préfet répond : « C’est vous qui financez ces jeunes qui posent des questions compliquées aux autorités ? Au début, nous pensions qu’Apad était un parti de l’opposition. »

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Journée de fraternité

En 2018, avec l’appui à la fois du CCFD-Terre Solidaire et de la Fondation Terre Solidaire, Apad lance un nouveau projet. Son objectif : responsabiliser les jeunes, en leur permettant d’identifier les problèmes de leur territoire, de développer des stratégies, de réfléchir à des actions à mener.
Depuis, les relations entre ces militants et Apad ont évolué : ils se considèrent désormais comme des partenaires.

C’est ainsi qu’en juin 2019, Osman, avec l’appui d’Apad, décide d’organiser une Journée de fraternité à Kélo, pour permettre aux différents acteurs de la région de se réunir et d’échanger.

Une centaine de personnes répondent à l’appel : des femmes, des jeunes, des religieux, des autorités administratives, des militants de partis politiques, des défenseurs des droits humains, des éleveurs, des producteurs agricoles. Si l’ambiance est dans l’ensemble chaleureuse et fraternelle, des sujets plus délicats font l’objet de débats tendus, notamment entre éleveurs et agriculteurs. Pendant plusieurs heures, ils échangent sur leur manière de concevoir le territoire, leurs contraintes, leurs peurs. Et reviennent sur les graves incidents qui se sont produits entre eux en 2018 causant la mort de 100 personnes et plus de 500 blessés.

Lors de cette journée de fraternité, ils trouvent finalement un accord précisant les conditions d’accès dans les champs et les couloirs de passage du bétail, mais aussi les réparations en cas de destruction de cultures. Cet accord, toujours en cours un an après, a permis de diminuer significativement le nombre de conflits.

La voix des femmes

Les militantes des associations de femmes ont, elles aussi, élevé la voix, pour dénoncer les violences qui leur sont faites et l’attitude des religieux qui prôneraient, selon elles, un statut inférieur aux femmes.

Des jeunes reprochent également aux responsables religieux de favoriser dans leur enseignement, dans les lieux de culte, les clivages plutôt que le rapprochement des différentes communautés. Par exemple en refusant les mariages mixtes, en interdisant de manger ensemble…

Cette rencontre de fraternité à Kelo a permis de nouer des liens pour agir en faveur d’une société dans laquelle les communautés vivent ensemble en paix, une société respectueuse des droits humains et des libertés fondamentales.

Un beau défi pour cette jeunesse tchadienne. Reste pour Apad à leur donner les moyens de réaliser ce projet plein d’espoir.

Par Bruno Angsthelm et Pafing Guirki

L’Apad met en oeuvre ce projet dans une vingtaine de villes provinciales de trois territoires, celui du Moyen Chari (Sarh, Danamadji, Maro, Kyabé, Sido, Korbol), celui de la Tandjilé (Kélo, Laï, Bologo, Baktchoro, Bayaka, Dafra) et celui du Guera (Mongo, Bitkine, Baro, Melfi, Mangalmé).

Les autres partenaires du CCFD-Terre Solidaire au Tchad apportent aussi à Apad et aux associations de jeunes du pays leurs expériences et leurs réseaux dans le monde politique (via le Csapr), les milieux nomades (Kawtal), religieux (Grave) ou encore dans de nombreuses communautés rurales (Acord).

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