Burundi : un virus très politique

Publié le 05.11.2020

Au Burundi, les autorités ont choisi de nier la menace constituée par la circulation du virus afin de ne pas compromettre un processus électoral sensible et permettre une passation de pouvoir au sein du régime du CNDD-FDD. Retour sur une gestion de crise particulière, entre déni, mobilisations de masse et invocation divine.


En cette fin mai, alors que le monde entier, frappé par la pandémie de Covid-19, est confiné, la vie semble suivre son cours au Burundi. Depuis mars, le pays a officiellement reconnu un peu moins de trente cas de coronavirus (mi-avril) et décrété une quarantaine pour les rares étrangers entrant encore dans le pays.

Si l’inquiétude est réelle pour de nombreux Burundais, aucune mesure sérieuse pour limiter la circulation du virus, détecter et soigner les malades n’a été prise. Au contraire, le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), mobilise la population en cette année électorale où le pays doit se choisir un nouveau président, renouveler son Sénat et désigner ses élus communaux. De foules militantes impressionnantes, en discours illuminés – le vice-président déclarait en mars : « le Burundi est un pays qui a signé un pacte spécial avec Dieu » – La campagne présidentielle suit son cours et c’est (logiquement) le dauphin du président sortant Nkurunziza, le général-major Evariste Ndayishimiye, dit « Neva », qui sort vainqueur des urnes.

Mais, le 8 juin, coup de tonnerre : Pierre Nkurunziza, « guide suprême éternel » du CNDD-FDD, décède « d’un arrêt cardiaque ». Quelques jours avant, son épouse avait été évacuée en urgence vers le Kenya pour soigner « un ulcère ». Évidemment, derrière les maux des communiqués officiels, c’est bien le Covid-19 qui est pointé du doigt.

Un pays au ban de la communauté internationale

Pour ne pas retarder la transition à la tête de l’État, les autorités burundaises ont nié la présence du virus, alors qu’en mars, des pays voisins, comme le Rwanda, la République démocratique du Congo, mettaient en place des dispositifs de lutte contre la pandémie.

Réélu en 2015 pour un troisième mandat au prix d’un passage en force sur la Constitution et les accords de paix d’Arusha, le président Nkurunziza avait mené une répression féroce contre tous ceux qui contestaient son maintien au pouvoir.

Les opposants, externes ou internes, les activistes de la société civile, les journalistes… ont été victimes de persécutions, tués ou contraints à l’exil. Entre avril 2015 et mai 2018, plus de 8 500 arrestations arbitraires, 1 710 meurtres, 486 disparitions forcées et 558 victimes de tortures ont été recensés.

Depuis, le pays est au ban de la communauté internationale. Et le tarissement de l’aide au développement a durement frappé l’économie burundaise. Une enquête de la Cour pénale internationale est en cours. Au sein du parti présidentiel, les tensions montent entre les tenants d’une ligne dure et ceux qui pensent qu’il est urgent d’envoyer des signaux en faveur d’un retour à la normalité institutionnelle… si ce n’est politique. Pis, l’armée, fortement polarisée, fait pression sur le pouvoir pour que le changement de tête advienne au plus vite.

Le président sortant a respecté sa parole de ne pas briguer un quatrième mandat, mais son dauphin désigné doit vite prendre le pouvoir au risque de voir les appétits s’aiguiser, sa place disputée et, qui sait, éclater un coup de force qui ruinerait le scénario préétabli.

Alors, quand la situation sanitaire mondiale s’emballe, le Burundi ignore la menace. En avril, les autorités se paient même le luxe cynique d’expulser trois agents de l’OMS (dont le responsable de la riposte Covid-19) pour « ingérence ».

Présenté comme une menace externe, le virus est également le prétexte à une mise en quarantaine des visiteurs internationaux, fermant un peu plus le pays à d’éventuels observateurs étrangers, journalistes ou membres d’ONG, persona non grata en cette période électorale. Coûte que coûte, les élections se tiendront… avec leur lot d’intimidations, de fraudes et de violations des libertés des Burundais.

Changement d’homme, changement de discours. À peine arrivé au pouvoir, le général « Neva » amorce un tournant radical. Le Covid-19 est déclaré « premier ennemi des Burundais » qui sont appelés à respecter scrupuleusement les gestes barrières. Le savon est subventionné et le prix du m3 d’eau diminue pour la durée de l’épidémie. Une campagne nationale de dépistage est lancée, les soins sont gratuits pour toute personne infectée. Plus encore, selon les mots mêmes du président, celui qui refuserait de se faire dépister et infecterait ainsi volontairement autrui serait considéré « comme un sorcier et traité aussi sévèrement que lui ».

Si la doctrine en matière de gestion de la crise sanitaire a changé, l’habitude de la main forte et du verbe menaçant ne semble pas prête de disparaître. Le Covid-19 est finalement un virus très utile.

Par Ruben Sutter

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