Quand la spéculation fait des ravages

Publié le 15.10.2012| Mis à jour le 13.06.2023

Les marchés agricoles, longtemps à l’abri de la spéculation, sont aujourd’hui la cible de fonds d’investissement et de sociétés de négoce qui n’hésitent pas à parier sur une hausse des prix pour rentabiliser leur mise. Quitte à favoriser une flambée des cours.


L’accalmie aura été de courte durée : après six mois de calme sur les marchés agricoles, les cours sont de nouveau orientés à la hausse depuis le début de l’année 2012, note la FAO. Même si les pics enregistrés restent de 10 % inférieurs à ceux d’il y a un an, cette augmentation va toucher de plein fouet les pays dépendant des importations pour assurer leur subsistance. Pour l’agence onusienne, cette situation s’explique principalement par les mauvaises perspectives de récolte, notamment en Afrique, pour cause de sécheresse. Les caprices de la météo ne permettent pas à eux seuls d’expliquer la volatilité des cours. Sans négliger les conséquences de l’augmentation de la demande ni la poursuite du développement des agrocarburants, de plus en plus de voix s’élèvent pour pointer également du doigt l’impact de la spéculation. Nombre d’investisseurs misent en effet sur le marché des produits agricoles, encouragés par les risques de tensions à venir, vus comme des opportunités financières. D’ici à 2030, il faudra nourrir deux milliards de personnes supplémentaires alors que les terres cultivables ne sont pas extensives à l’infini et que la productivité marque le pas.

Valeur refuge

La spéculation massive, apparue il y a une dizaine d’années, s’est emballée à partir de la crise économique de 2008, où, dans un contexte de déprime des principales bourses mondiales, les produits agricoles ont fait figure de valeur refuge. Sur fond de marchés tendus, les consommateurs payent un lourd tribut aux pratiques des spéculateurs qui n’hésitent pas à faire main basse sur la production afin de faire flamber les cours et rentabiliser leurs investissements. En juillet 2010, par exemple, Anthony Ward, le fondateur du hedge fund britannique Armajaro, a créé un vent de panique en mettant la main sur 15 % des stocks mondiaux de cacao, entraînant immédiatement une hausse des cours.

Principal instrument utilisé par ces spéculateurs : les contrats à terme, créés au XIXe siècle pour sécuriser les revenus des négociants, puis, plus tard, des agriculteurs qui fixent, avant la récolte, le prix auquel celle-ci sera vendue quelques mois plus tard. Conçu à l’origine pour se protéger en cas de fluctuations des prix, ce système d’assurance a bien fonctionné jusqu’au début des années 2000. « Mais l’arrivée de nouveaux intervenants (fonds d’investissement, fonds de pension, hedge funds) a déstabilisé les marchés, explique Benoît Daviron, chercheur au Cirad et co-auteur d’un rapport sur la volatilité des prix alimentaires[[Volatilité des prix et sécurité alimentaire. Rapport du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition, juillet 2011.]]. Par effet d’anticipation, les prix au comptant s’alignent sur les prix des contrats à terme et sont de plus en plus déconnectés de la réalité. »

Car, dans une grande majorité de cas, il s’agit d’échanges virtuels. Les investisseurs revendent marchandises avant qu’elles leurs soient livrées et recommencent la manœuvre en tablant sur des prix toujours plus élevés. En 2008, par exemple, 90 milliards de boisseaux de blé tendre rouge virtuels ont été échangés à la Bourse de Chicago. Mais ces transactions ne concernaient que 400 millions de boisseaux réels, chacun d’entre eux ayant été échangé plus de deux cents fois (36,74 boisseaux de blé par tonne).

Bulle spéculative et volatilité des prix

Ces mouvements sont loin d’être anecdotiques. Depuis 2002, le volume des contrats à terme a été multiplié par trois, selon l’étude « Récolter l’argent » publiée par la branche européenne les Amis de la Terre Europe[[ Farming Money, Les Amis de la Terre Europe, janvier 2012.]]. Remontant plus loin dans le temps, le World development movement (WDM) estime que, en quinze ans, la part de ces contrats détenue par les spéculateurs est passée de 12 à 61 % et atteint 80 % pour le blé. « Car il n’y a pas que les acteurs purement financiers qui spéculent. Les sociétés de négoce elles-mêmes leur emboîtent le pas », note Juliette Renaud, chargée de campagne des Amis de la Terre. Le poids de la spéculation dans la hausse des prix a d’ailleurs été reconnu par la banque d’investissement Merrill Lynch dès 2006. À l’époque, la banque estimait que celle-ci avait entraîné une augmentation des prix supérieure de 50 % à celle qui aurait été réalisée sans spéculation. Au sein de l’Onu, les dénonciations vont bon train : « Nombre d’indices montrent que l’augmentation des prix agricoles en 2007- 2008 est due à l’émergence d’une bulle spéculative », rappelle ainsi le représentant spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, dans une note publiée en 2010 [[Food Commodities Speculation and Food Price Crises. Olivier De Schutter, septembre 2010.]].

Conscients des risques que fait courir la spéculation sur les plus vulnérables, le dernier G20 s’était engagé à réguler les marchés agricoles, à obliger les États à faire preuve de transparence sur l’état de leurs stocks et à participer à la constitution de réserves d’urgence afin de limiter les mouvements de yo-yo. Ces intentions, certes louables, restent encore à concrétiser et s’inscrivent dans une vision à court terme. En sachant de plus que ces mesures ne seraient être suffi santes pour assurer la sécurité alimentaire, si, parallèlement, aucune mesure, à moyen terme, ne vient favoriser le décollage de la production dans les pays du Sud…

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