Rwanda : Du petit paysan au businessman

Publié le 30.09.2014| Mis à jour le 02.01.2022

La transformation d’une agriculture familiale et manuelle en une agriculture commerciale tournée vers l’exportation représente un véritable défi national au Rwanda. Ne risque-t-elle pas de ne bénéficier qu’à une élite aux dépens des petits paysans ? Acord (Association de coopération et de recherche pour le développement) – partenaire du CCFD-Terre Solidaire –, accompagne les paysans face aux réformes agraires et foncières en cours, depuis 2005.


Un membre de l’association Acord résume sa mission en une phrase : « Il faut aider les petits paysans à traverser le pont. Le gouvernement a décidé de transformer notre agriculture vers le marché et l’exportation, nous devons désormais aider les paysans à passer sur l’autre rive. » Contrairement à d’autres pays du continent africain, les autorités peuvent se prévaloir d’un projet de société – le fameux Vision 2020 –, dont l’objectif général est de transformer le Rwanda en un pays émergent. Élaboré en 2000, ce projet ambitieux compte six piliers, dont la promotion d’une agriculture productive et orientée vers l’exportation, l’État considérant ce secteur comme un facteur clé de croissance.

Les défis sont de taille : près de 90 % de la population vit de l’agriculture, mais les terres sont de plus en plus rares avec une densité supérieure à 400 habitants par kilomètre carré. Ainsi, la majorité des parcelles familiales sont exiguës, inférieures à un hectare. Dans le cadre d’un Plan stratégique de transformation de l’agriculture (PSTA), des mesures radicales ont donc été prises à Kigali à partir de 2005. Des mesures foncières : remembrement, limitation du morcellement des propriétés, digitalisation du cadastre et une réforme agraire basée sur la modernisation et la régionalisation des cultures… Au ministère de l’Agriculture, Norbert Sendege se montre confiant : « Notre stratégie porte ses fruits. Au nord du pays, étant donné la fertilité des sols volcaniques, nous privilégions le blé et le maïs ; au sud, le manioc et le riz ; à l’est, la banane et le riz ; à l’ouest, au bord du lac Kivu, le café et le thé. » Formé en Union soviétique, le directeur chargé de l’intensification des semences s’appuie sur l’expérience conduite au Malawi sur la régionalisation des cultures. Au cours de l’entretien, il précise qu’une vache a été donnée aux familles les plus démunies et que le pays vient de se doter d’une cinquantaine de tracteurs achetés en Corée du Sud.

Sur les collines, les paysans ne partagent pas cet optimisme. Au nord du pays, un groupe de paysans rencontrés à proximité de Ruhengeri se présente dans un état de grande frustration. L’un d’entre eux résume la situation : « Nous étions habitués à la pluriculture pour assurer la sécurité alimentaire des ménages. Désormais, on nous impose la mono culture, puis on nous parachute des coopératives d’État chargées de faire appliquer les réformes sans défendre nos propres intérêts. » Dans certaines régions, ces mesures sont imposées par le biais d’amendes, de menaces de confiscation ou de réquisition de terres pour les plus récalcitrants. D’une façon générale, seuls les paysans qui respectent les nouvelles obligations bénéficient des programmes d’appui de l’État, notamment l’utilisation de semences sélectionnées et les engrais chimiques.

Des mesures imposées par le biais d’amendes

Sur les marchés locaux, le prix des aliments de base augmente fortement, le kilo de haricots est passé de 300 à 700 francs rwandais. La patate douce, elle, est devenue un produit rare, car cette culture vivrière est désormais interdite par l’État dans les marais. Un paysan, la quarantaine, s’indigne : « Une poignée de commerçants s’approprient les bénéfices de la réforme agraire et moi je dois me plier au contrat de performance. » Dans le milieu rural, chaque chef de famille doit en effet signer un « contrat de performance » auprès du représentant des autorités locales. Ce contrat annuel se traduit par une série d’engagements à tenir : payer l’assurance maladie, assurer la scolarisation de tous les enfants, ou encore réaliser des travaux sur la maison… « La mutuelle de santé est passée de 1 000 à 3 000 francs rwandais par personne et par an. Comment vais-je faire avec mes quatre enfants ? », lâche-t-il. Exaspéré, il semble se résigner.

Un consultant indépendant, travaillant notamment pour le compte d’Acord, insiste sur le rôle de la société civile. « Les organisations paysannes ne sont pas encore positionnées comme un acteur face à l’État, mais il est essentiel de grignoter des petites choses et de profi ter des petits espaces de discussion pour défendre leur cause. Les petits exploitants n’ont pas été consultés et ne connaissent pas les tenants et aboutissants des nouvelles réformes, souvent rédigées dans un langage technique et parfois uniquement en anglais. »

L’un des axes de travail prioritaire d’Acord consiste à soutenir les Forums sociaux. Ces espaces traditionnels de solidarité qui comptent en général une quarantaine de ménages s’organisent pour transporter un malade, gérer les tontines financières ou conduire des travaux collectifs en période de pic d’activité. « Nous leur apportons un soutien en termes de formation à la dynamique de groupe mais aussi d’un point de vue économique pour générer des revenus. Il s’agit réellement d’une expérience démocratique par la base pour favoriser le débat, estime un membre d’Acord. Ces forums ont permis à des paysans de prendre conscience de leurs droits et de communiquer avec les autorités locales pour améliorer leurs moyens de subsistance. » Mais la situation reste difficile sur les collines où plus de 60 % de la population rurale vit dans la pauvreté avec moins d’un euro par jour. Nombre d’enfants abandonnent l’enseignement secondaire pour chercher un travail.

Dans la région de Gitarama, Scholastique préside le Comité des femmes. D’origine hutue, elle élève seule ses quatre enfants, son mari ayant été condamné à trente ans de prison, après le génocide. « Au début, j’étais exclue de la communauté et traitée comme la femme d’un génocidaire, donc indigne. Grâce au soutien d’Acord, j’ai retrouvé un rôle social. On se réunit deux fois par mois pour mener des activités et améliorer notre vie quotidienne. Acord nous a donné des semences performantes, des houes et du petit bétail. »

Se serrer les coudes

Marie-Louise, sa voisine, est d’origine tutsie. « J’essaie de vivre malgré tout ce que j’ai vécu. Mon mari et quatre de mes enfants ont été tués, ma maison a été détruite. Je vis seule désormais avec ma fille. Les voisins m’ont aidée à construire une nouvelle maison. Mais je n’ai pratiquement pas de terre, aussi avec mes petits bras et mon âge avancé, je peine à trouver du travail. Heureusement, on se serre les coudes dans le Comité des femmes. »

Dans cette région, certains paysans refusent d’appliquer à la lettre les nouvelles réformes. Dans les marais, ils ont adopté la monoculture mais sur les collines ils conservent l’association des cultures traditionnelles. Parmi les « gens du peuple », majoritairement des paysans qui ne détiennent pas un pouvoir politique formel, la politologue américaine Susan Thomson* distingue ainsi trois formes de résistance au quotidien : la marginalisation choisie, l’obéissance irrévérencieuse et le mutisme marqué. L’auteur précise : « L’acte de résistance au quotidien est défi ni comme toute action subtile, indirecte et non conflictuelle qui rend la vie quotidienne moins insoutenable face à un pouvoir d’État fort et centralisé. »

Dans un rapport rédigé pour Acord en octobre dernier, un consultant soulève deux défi s majeurs. Premièrement, les réformes foncières et agricoles risquent de se faire au détriment des petits exploitants et au profit d’une nouvelle élite issue du secteur privé. Deuxièmement, le programme politique Vision 2020 projette de réduire le taux de personnes vivant de l’agriculture de 90 % à 50 % de la population en 2020. Mais quelle alternative offrir ensuite à ces paysans sans qualification et sans terre ? Certes, l’État investit dans les secteurs du commerce, des services et du tourisme, mais les paysans rencontrés à Ruhengeri ne cachent pas leurs inquiétudes : « Les jeunes, sans espoir et sans avenir, représentent une bombe à retardement. »

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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