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Liban / carnet de route : « Tu vas rencontrer des gens qui sèment l’espoir »

Publié le 04.10.2020| Mis à jour le 02.01.2022

Ce jour de mai 2019, je rentrais à Beyrouth, accablée par un sentiment d’impuissance. J’avais passé la journée dans un campement de bâches où survivent tant de réfugiés syriens. C’était quelques mois avant qu’une kyrielle de calamités ne s’abattent sur le Liban dans un enchaînement mortifère : crise financière, économique, politique, sanitaire puisque le coronavirus n’a pas épargné le pays. Et pour finir, cette terrifiante explosion qui a ravagé la moitié de Beyrouth, le 4 août 2020.


La voiture tangue un peu sur le chemin qui nous mène à Saadneyel, dans la plaine de la Bekaa, la ferme fondée par l’association Buzuruna Juzuruna (traduction : « nos graines sont nos racines »). L’amie qui m’accompagne m’a prévenue : « Tu vas rencontrer des gens qui sèment l’espoir. »

Surgit une maison de terre et de paille, bâtie avec des poutres en bois de peuplier, selon la méthode traditionnelle, désormais rare dans la Bekaa où les parpaings en béton sont de rigueur.

La maisonnette abrite de nombreuses variétés de semences proche-orientales et méditerranéennes. Cultivées sans intrants chimiques, elles sont bien plus résistantes que les hybrides, vendues à prix d’or par les grands semenciers.

Tout autour, des plants, des semis, un enclos, deux serres, une ruche et de petits panneaux solaires qui fournissent pour 300 dollars d’électricité par mois.

Au loin, les sommets enneigés du mont Sannine semblent veiller sur cette ferme singulière, laboratoire modeste d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement.

Sur les 20 dunums (2 hectares), loués à un propriétaire libanais, un puits pompe l’eau jusque 90 mètres de profondeur. Une chance, car une étude [[Centre national de la qualité du médicament, de l’alimentation, de l’eau et des produits chimiques, relevant de l’université libanaise.]] publiée en 2019 a révélé la contamination bactériologique des eaux superficielles et souterraines de la Bekaa, notamment à cause de l’épandage. Quant au fleuve Litani qui traverse la plaine, il récupère les eaux usées des ménages et des usines, déversées directement dans le bassin-versant.

Une idée a germé

Le collectif Buzuruna Juzuruna est né en 2014 (voir vidéo ci-dessous). Étudiant en agronomie en France, Ferdinand Beau termine alors un stage dans une grande ferme libanaise, où il a rencontré deux réfugiés syriens, Walid el-Youssef et Salem el Azouak, avec qui il s’est lié.

Avant la guerre, le premier pratiquait, près d’Alep, la monoculture favorisée par l’État syrien (blé, anis et cumin noir). Le second possédait une ferme de roses à Darayya près de Damas, totalement rasée par un bombardement.

L’idée a germé, à l’issue d’une conversation autour de la disparition des savoir-faire et du déracinement. Pourquoi ne pas réintroduire les semences paysannes régionales disparues des marchés locaux au profit des semences hybrides importées par les grandes entreprises ? « Les hybrides, c’est comme Microsoft, explique Zoé Beau, soeur aînée de Ferdinand, cofondatrice du projet. Quand tu as acheté un produit Windows, tu dois leur racheter tout le reste. »

Avant de lancer la ferme-école au Liban, Zoé et Ferdinand ont sillonné le sud de la France pour collecter des semences et surtout, créer un réseau de solidarité avec des collectifs de paysans français. À chaque étape, grâce à leur bus cinéma, ils projettent des documentaires sur le conflit syrien, organisent des débats, sensibilisent le public local.

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Des formations à l’agroécologie

Enfin, en 2017, Buzuruna Juzuruna prend racine dans la plaine de la Bekaa. « Mon frère ne savait pas reconnaître le persil de la coriandre : il avait une vision d’ingénieur agronome », se moque gentiment Zoé. Ils ne sont que cinq à l’époque. Deux ans plus tard, ils sont seize : neuf Syriens, cinq Français, deux Libanais… sept femmes. La parité est respectée. Le pari, en voie d’être gagné.

Onze d’entre eux reçoivent un salaire. « Au début, nos voisins observaient perplexes nos plantations : une ligne de courgettes, une ligne de salades ! rigole Zoé, longue tresse sur l’épaule et yeux noisette. Certains sont venus me voir, pleins de commisération, du genre : pourquoi tu désherbes à la main toute la journée sous le cagnard alors qu’il existe quantité de produits phytosanitaires super efficaces. »

Et puis la roue tourne, les mêmes parfois viennent aux formations dispensées par la ferme de Saadneyel. « On apprend à fabriquer soi-même des pesticides bio à base d’orties, d’ail ou de savon. On sensibilise au principe de pollinisation. Souvent, les groupes comptent autant d’hommes que de femmes, mais certains cycles ont reçu un public 100 % féminin », explique Ferdinand.

Pour convaincre, il faut une expertise fine sur le bio. Le collectif crée de petits livrets sur la boulangerie, la taille, le bouturage, l’énergie renouvelable, l’apiculture. Buzuruna Juzuruna fonctionne également comme une Amap et envoie des paniers de fruits et légumes à Beyrouth et à Zahlé.

Je peine à suivre l’énergique Zoé à travers les plants de piments, de sauge et de romarin. Deux personnes sont employées à temps plein pour le désherbage. Les plantes fourragères nourrissent le sol en azote. Plus loin, abricotiers, mûriers, pommiers font grise mine. Après les saints de glace, les arbres fruitiers ont perdu 70 % de leurs fleurs, donc des fruits à venir ! Quel agronome a écrit dans sa grande sagesse : « Pour faire un jardin, il faut de la terre et l’éternité » ?

De temps à autre, la ferme prend des allures de ruche lorsque les voisins sont invités pour un repas d’iftar (rupture du jeûne) lors du ramadan ou pour les cours de cuisine ouverts à tous. Une parcelle est réservée aux enfants du quartier et des travailleurs de la ferme. « Ils se font tout beaux, se parfument même pour assister une fois par semaine à la classe verte dirigée par Walid. Ils en reviennent tout crottés », témoigne Zoé.

De nouvelles générations pourront peut-être se réapproprier des savoir-faire oubliés. Avant qu’il ne soit trop tard.

Par Aurélie Carton

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