Dettes des pays du Sud : soutenir l’adoption d’un mécanisme à l’ONU (Tribune)

Publié le 16.07.2020| Mis à jour le 07.06.2022

Le 13 avril dernier, Emmanuel Macron appelait de ses vœux une “annulation massive” de la dette des pays africains. Deux jours plus tard, le G20 annonçait une simple suspension du remboursement des dettes des pays les plus pauvres. La France, s’enorgueillissant d’avoir favorisé cet accord inédit entre créanciers traditionnels du Club de Paris – qu’elle préside – et créanciers émergents, évoquait alors une “avancée historique”. Trois mois plus tard, à la veille d’une nouvelle rencontre des ministres des Finances du G20, force est de constater que ce moratoire est loin d’être à la hauteur de la crise qui s’installe et menace l’avenir de millions de personnes à travers le monde.


Seuls 40 des 73 pays éligibles ont demandé la suspension pour un total estimé à 8,75 milliards de dollars de dettes . Un montant bien faible face aux 14 milliards de suspension annoncés, et insignifiant face aux 1000 milliards d’annulations dont les pays en développement ont besoin pour combattre la crise selon l’ONU. Ces pays croulent sous le fardeau de la dette à l’exemple du Ghana, qui en pleine crise sanitaire du COVID, consacre 11 fois plus au remboursement de sa dette qu’en santé publique.

En cause, le refus des créanciers privés, ces acteurs majeurs dans le paysage actuel de la dette qui détiennent 40% de la dette africaine, de participer à l’initiative. Invités par le G20 à suspendre le remboursement des dettes qui leur sont dues “à des conditions comparables”, ces derniers n’ont à ce jour pas jugé opportun de prendre part au moratoire.
Dès lors, beaucoup de pays pauvres, qui pourraient demander une suspension de leur dette bilatérale, craignent que le moratoire ne pousse les agences de notation à dégrader leur note et ne leur ferme l’accès au marché. Une crainte alimentée par les communications des agences de notation. Le Cameroun a par exemple d’ores et déjà vu sa note placée “en révision à la baisse” par l’agence Moody’s pour avoir demandé à bénéficier du moratoire.
Et pour les pays qui bénéficient de la suspension, on peut légitimement craindre qu’une part substantielle des sommes libérées ne soit en fait utilisée pour rembourser les créanciers privés, plutôt que pour financer la réponse à la crise.
En d’autres termes, des fonds indispensables au financement des services publics des pays pauvres pourraient être détournés pour assurer les profits d’entreprises des pays riches. Les créanciers privés ne peuvent plus être simplement invités à participer aux allègements décidés par la communauté internationale, ils doivent y être contraints, car leur non collaboration entrave la mise en œuvre de ces allègements et nourrit la crise.

Les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ce moratoire illustrent les défaillances structurelles de l’architecture financière internationale, et plus particulièrement l’absence de mécanisme indépendant de restructuration impliquant l’ensemble des créanciers en cas de crise de la dette, que la société civile appelle de ses vœux depuis des décennies. Les conséquences économiques de la pandémie menacent de provoquer une vague de défauts de paiement inédite. Et la communauté internationale est toujours aussi mal équipée pour faire face à cette menace de manière juste et efficace.

Le moratoire proposé par les pays du G20 permet au mieux de gagner du temps, mais comment les pays qui en bénéficient rembourseront-ils cette dette lorsque la suspension arrivera à son terme ? Si elles ne font pas l’objet d’annulations massives, ces dettes ne pourront que se creuser sur les décennies à venir, entravant encore le développement de ces pays, et accentuant leur dépendance à leurs créanciers. Une dette insoutenable constituant toujours une menace sur la souveraineté des Etats et sur la volonté et les choix démocratiques exprimés par les peuples.

Si la communauté internationale ne veut pas se rendre à nouveau coupable d’agir “trop peu et trop tard”, l’adoption d’un tel mécanisme doit de toute urgence être remis à l’agenda. Et ces discussions ne peuvent pas se limiter aux pays riches du G20, elles doivent avoir lieu dans le cadre des Nations unies, seules à même de mettre autour de la table, et à égalité, l’ensemble des Etats.

Il est temps pour la France, qui s’est positionnée en leader sur la question de la dette des pays pauvres, de reconnaître les limites de l’initiative du G20 et de prôner les mesures nécessaires pour juguler les effets dévastateurs de cette crise.

Signataires :
Cécile Duflot, Directrice générale d’Oxfam France
Manuèle Derolez, Déléguée générale du CCFD-Terre Solidaire
Najat Vallaud-Belkacem, Directrice générale de ONE France
Alain Paillard, Secrétaire général de Justice & Paix
Pierre Tritz, Président du Réseau Foi et Justice Afrique-Europe

Tribune publiée le 16 juillet 2020 dans Le Monde

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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