Centrafrique « Les Nations Unies doivent nous accompagner pour reconstruire notre Etat »

Publié le 09.12.2013| Mis à jour le 08.12.2021

Ancienne ministre du commerce et de l’industrie, députée et aujourd’hui membre du Conseil national de transition, Béatrice Epaye alerte depuis plusieurs mois la communauté internationale sur le délitement de son pays livré à l’anarchie et aux pillages. Après avoir témoigné aux Nations-Unies en septembre dans une délégation accompagnée par le CCFD Terre-Solidaire, nous la rencontrons au moment où le Conseil de sécurité adopte la résolution prévoyant une intervention militaire en Centrafrique proposée par la France.


Béatrice Epaye est aussi présidente et membre fondatrice de l’association La voix du cœur, qui vient en aide aux enfants des rues. Ce projet est soutenu depuis de nombreuses années par le CCFD-Terre Solidaire.

Espérez-vous que l’intervention militaire appuyée par la France contribuera à ramener la sécurité en Centrafrique ?
Béatrice Epaye : « Il faut savoir que des forces militaires étaient présentes dans le pays lors du coup d’état en avril dernier. Mais les forces françaises avaient seulement un mandat pour protéger les intérêts et les ressortissants français, et n’avaient pas mandat à intervenir dans les affaires centrafricaines. De son côté, la Fomac (la force multinationale des états d’Afrique centrale) était déjà une force d’interposition chargée de sécuriser la population. Cette force est restée impuissante, et l’Union africaine a ensuite décidé de créer la Misca (mission internationale de soutien à la Centrafrique). C’est cette mission internationale qui va être appuyée par les forces françaises, suite au vote de l’Onu. Elle devrait permettre de mieux intervenir et sécuriser les populations. »

Qu’apporte l’intervention de la France ?
« Même lorsque les états africains envoient des troupes, ils n’ont pas forcément les moyens de les équiper correctement et de sécuriser un pays grand comme une fois et demie la France (et peuplé seulement de 4.5 millions d’habitants). L’intervention française permet d’obtenir des moyens. Aujourd’hui d’autres états, dont les américains, s’engagent par exemple à financer la Misca. L’Afrique seule n’arrivera pas à mobiliser ces moyens. La France a aussi l’avantage de bien connaitre le terrain. »

Cette intervention ne risque-t-elle pas d’être mal perçue par une partie de la population, du fait du passé colonial de la France et de ses interventions précédentes en Centrafrique ?
« Nous sommes dans une telle situation que nous avons dépassé cette dimension. C’est tout un pays qui est à reconstruire. Le peuple a lancé des cris de détresse. Depuis un an, les gens se sentent peu à peu livrés au pillage et abandonnés. Il faut comprendre qu’en Centrafrique, la radio nationale n’émet pas au-delà de 100 km de la capitale. RFI, la BBC, parfois la Voix de l’Amérique restent les principales sources d’information. Les gens ont suivi l’intervention de la France au Mali en se disant « pourquoi pas nous ? ». Ils attendent l’intervention de la France depuis plusieurs mois. »

Quelles sont les conditions pour que cette intervention permette d’améliorer la situation ?
« Une des difficultés est que nous sommes un grand pays. En cas d’intervention militaire, les milices se replient et se renforcent dans la brousse avant de revenir. Si la France s’en va dans six mois, et la Misca dans un an, cela sera très difficile pour nous, car nous n’avons presque plus d’armée. Il faut du temps pour remettre un pays en route. Les Nations Unies doivent nous accompagner pour reconstruire la légalité constitutionnelle, organiser des élections, renforcer les institutions et mettre un terme à l’impunité. Nous devons tirer les leçons de ce qui nous a amené à cet état de déliquescence. Si la France ne peut pas continuer, il faudra que des forces des Nations-Unies prennent le relais. »

La Centrafrique semble avoir des ressources minières importantes. A qui bénéficient-elles aujourd’hui ?
« On a identifié plus de 400 minerais. Ce sont surtout l’or et le diamant qui sont exploités, le plus souvent de manière artisanale. Des bureaux d’achats ont des collecteurs qui vont acheter les diamants chez les artisans miniers. Aujourd’hui chaque chef de guerre récupère les bénéfices des gisements qui sont sur le territoire où ils sont implantés (de même pour les taxes imposées à la population). L’Etat ne récupère aucune de ces ressources. Il n’y a pas non plus de grandes entreprises industrielles. Areva s’est intéressé un moment aux gisements d’uranium. Mais avec l’instabilité de la zone et la chute du cours de l’uranium liée à la catastrophe de Fukushima, le groupe a renoncé. »

Quelle est la situation de l’état ?
« Cela fait trois mois que les fonctionnaires ne sont pas payés. Beaucoup d’écoles ont été détruites et occupées par les rebelles Sélékas qui dans leur progression ont pillé les biens de la population, de l’état, des églises…. Même les musulmans ont été rançonnés. La plupart des écoles ne fonctionnent plus depuis un an. Arrivés à Bangui le 24 mars, les Sélékas ont pillé la ville et occupé aussi les écoles et les hôpitaux. L’Assemblée a été dissoute, et remplacée par un Conseil national de transition, dont je fais partie. »

Vous êtes présidente et membre fondatrice de l’association « La voix du cœur », partenaire du CCFD-Terre Solidaire, qui s’occupe des enfants des rues. Quelle est leur situation aujourd’hui ?
« Les enfants des rue sont apparus à la fin des années 80. Avec l’épidémie de Sida, beaucoup d’enfants se sont retrouvés orphelins. Le phénomène s’est accéléré avec les problèmes politiques et militaires qui appauvrissent la population. Aujourd’hui on compte 8000 enfants des rues, dont 6000 à Bangui. Nous avons un centre ouvert à tous les enfants. Nous cherchons à offrir une prise en charge et une réinsertion familiale et sociale aux enfants. J’ai croisé récemment des enfants des rues que je connais. Ils me disent qu’ils font maintenant partie des Sélékas. Ces enfants sont des proies faciles. Il y a toujours eu des foyers de rebellions en Centrafrique, et des enfants soldats. Mais pas à cette échelle. »

Peut-on parler d’un conflit religieux ?
« Jamais nous n’aurions imaginé parler de guerre de religion auparavant. La coexistence s’est toujours bien passée, avec beaucoup de mariages mixtes. Mais aujourd’hui les affrontements prennent un prétexte religieux. Ceux qui veulent le pouvoir amènent les communautés à s’affronter. Les rebelles centrafricains qui ont créé la Séléka et sont entrés dans Bangui en mars ont mis en exergue que peu de musulmans sont dans l’administration centrafricaine. Ils ont intégré de nombreux combattants étrangers venus du Tchad, du Soudan, de Lybie et tout pillé sur leur passage, y compris les églises. En réaction de jeunes villageois chrétiens se révoltent, fabriquent leurs propres armes, parfois soutenus par les militaires. Ils vont attaquer des musulmans qui ne sont pas impliqués dans les violences. La situation est devenue extrêmement dangereuse, et les gens ont très peur. Lorsque j’ai appelé l’archevêque de Bangui le matin du vote au Conseil de sécurité, il m’a dit que des centaines de personnes s’étaient réfugiés à l’archevêché. Une plateforme de religieux, composée de l’archevêque de Bangui, de l’Imam de la Mosquée centrale de Bangui, et du Révérend pasteur de l’association des Eglises évangéliques dénonce les violences et appelle au calme. »

Propos recueillis par Anne-Isabelle BARTHELEMY

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