Immigrés birmans en Thaïlande entre oppression et exploitation

Publié le 08.04.2008| Mis à jour le 08.12.2021

Ah Chan revient sur le contexte politique après les émeutes de l’automne 2007 et décrit la condition des travailleurs birmans en Thaïlande.


Ah Chan

Agée de 25 ans, mère d’un petit garçon, Ah Chan est directrice adjointe de la Fondation pour l’éducation et le développement, la FED, Ong implantée en Thaïlande, qui apporte son soutien aux populations migrantes d’origine birmane, installées dans la province de Phang Nga, dans le Sud de la Thaïlande.

Quelle est la situation en Birmanie après les tragiques événements de l’automne dernier ?
La population reste très remontée contre le gouvernement et semble prête à redescendre dans la rue, mais cela ne pourra pas se faire immédiatement car elle est, pour l’instant, trop effrayée. Tous les leaders de ces mouvements ont été arrêtés et ceux qui ont pu échapper aux arrestations se sont désormais réfugiés dans la clandestinité.

Le recours au travail forcé est toujours bien là et, avec la décision de construire une grande autoroute pan-asiatique reliant l’Inde à la Thaïlande, on assiste maintenant à une vague d’expropriations massives le long de son tracé. En Arakan, près de la frontière avec le Bangladesh, où vit une importante communauté musulmane, les gens ne peuvent désormais plus sortir des limites de leurs villages sans permis de voyage, même pour se rendre au village d’à côté. Comme ils ne peuvent donc plus aller chercher de travail, ils n’hésitent plus maintenant à s’embarquer à 60 ou 70 sur des rafiots pour essayer de rejoindre la Malaisie, où ils espèrent trouver un emploi. Beaucoup finissent par échouer en Thaïlande, où ils sont arrêtés par les autorités. Pour les plus chanceux d’entre eux, car ces embarcations n’arrivent pas toujours à bon port.

Le gouvernement militaire a pourtant annoncé la tenue, en mai, d’un référendum sur la nouvelle constitution et des élections en 2010 ?

Tout cela n’est qu’une mise en scène destinée à amadouer l’opinion internationale. Si les militaires étaient vraiment sérieux, il leur suffirait de relâcher la leader de l’opposition, Aung San Suu Kyi, les responsables de la Ligue nationale pour la démocratie, la LND et tous les leaders ethniques qui ont été arrêtés ou placés en résidence surveillée. Mais, au lieu de cela, les arrestations continuent.

Même le Secrétaire général des Nations Unies, Ibrahim Gambari, se fait littéralement promener, au propre comme au figuré, par les généraux. Ce référendum sera organisé par la junte et pour la junte. Avec la bénédiction des divers groupes de citoyens, de femmes ou de la jeunesse qui sont à leur service. Quand aux membres des minorités ethniques qui ont conclu des accords de cessez-le-feu avec le régime, il leur est juste demander de se taire.

La répression a-t-elle provoquée un afflux de réfugiés vers la Thaïlande ?

De plus en plus de gens sont arrivés en Thaïlande après les manifestations, y compris des populations que l’on avait pas trop l’habitude de rencontrer jusqu’ici. Il y a eu ainsi beaucoup de personnes originaires de la région de Mandalay qui, jusqu’à présent, ne quittaient que rarement leurs villages. Ils sont en général propriétaires de leurs terres et peuvent subvenir relativement facilement aux besoins de leurs familles, pourtant eux aussi sont partis de chez eux. Et certains, comme les Chins, n’ont pas hésité à traverser tout le pays pour venir en Thaïlande. La situation, non seulement politique mais aussi économique, est devenue telle que de plus en plus de monde cherche désormais à quitter la Birmanie, quitte à se faire exploiter dans les pays voisins.

Que se passe-t-il lorsque ces gens arrivent en Thaïlande ? Sont-ils considérés comme des réfugiés politiques ?
Ce sont des immigrés. Des immigrés clandestins. Et ils peuvent donc être arrêtés à tout moment par la police thaïlandaise et reconduit à la frontière. Dans la réalité, il suffit souvent de graisser régulièrement la patte des fonctionnaires de la police locale pour être tranquille et pouvoir travailler. Il arrive même que, lorsque les autorités d’un district voisin décident de faire un contrôle, ce soient les policiers locaux qui viennent avertir les clandestins et leur conseillent de se cacher !

Et quand tout est terminé, ces derniers reviennent chez eux et reprennent leur travail. Il arrive aussi assez souvent que ce soient les employeurs qui profitent de la situation. Certains ne payent pas leurs employés et les menaces de les dénoncer à la police, puis recommencent leur petit manège avec d’autres. Mais il est alors difficile d’intenter une action en justice. Même si ces travailleurs sont dans leurs droits, car cela peut se terminer par un renvoi en Birmanie et ça, les gens n’en veulent pas. Ils préfèrent se taire et continuer à rester en Thaïlande.

Comment sont les rapports avec la population thaïlandaise ?
Les seules personnes avec lesquelles nous ayons des problèmes, ce sont les jeunes. Quand ils ont un peu trop bu ou avalé des cachets d’amphétamine, ils s’en prennent souvent aux immigrés birmans et veulent les racketter. Et si la personne, ou la famille, agressée refuse de leur donner ce qu’ils désirent, de l’argent la plupart du temps, il peut y avoir des violences physiques entraînant parfois la mort.

De tels cas ne sont pas rares dans notre province, notamment parmi les familles travaillant dans les plantations d’hévéas. Il n’y a en général qu’une seule famille par plantation et celles-ci vivent éloignées les unes des autres. Lorsque, tous les mois ou tous les deux mois, ces familles vendent leur production, certaines personnes l’apprennent et savent que telle ou telle famille vient de toucher une certaine somme. Ce qui en fait des proies idéales. Il y a aussi des cas de viols parmi les jeunes femmes employées comme employée de maison…

Que peuvent attendre les immigrés birmans du nouveau gouvernement thaïlandais ?

Pas grand chose. Ils ont clairement annoncé qu’ils continueraient la politique menée par leur prédécesseur, Thaksin Shinawtra. Autrement dit : le business continue. Il faut bien comprendre qu’un grand nombre de produits fabriqués en Thaïlande, par des immigrés birmans souvent, sont ensuite exportés vers la Birmanie. S’il venait à l’idée du gouvernement thaïlandais de faire quoi que ce soit qui puisse déplaire aux militaires birmans, ceux-là pourraient alors très facilement bloquer les importations thaïlandaises à la frontière. Ce dont ne veulent certainement pas les autorités thaïlandaises.

Propos recueillis par Patrick Chesnet

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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