En Isère, des collégiens invités à mesurer leur bien-être

Publié le 03.05.2022| Mis à jour le 01.07.2022

Un collège d’Isère crée son propre indicateur pour le « mieux-vivre » des élèves. Accompagnés par des bénévoles du CCFD-Terre Solidaire, les collégiens étaient invités à mesurer leur bien-être afin d’imaginer des indicateurs de mesure de la richesse alternatifs au PIB.

Céline Bernigaud, salariée du CCFD-Terre Solidaire, basée à Grenoble, n’en est pas à sa première animation scolaire : « Vous allez choisir une photo qui représente une chose importante pour vous et qui vous rend heureux. » La technique du photo-langage, qui consiste à s’inspirer d’une image pour s’exprimer, fonc­tionne instantanément. Ce matin-là, dès 9 heures, 25 élèves de cinquième du collège Fernand Bouvier à Saint-Jean-de-Bournay (Nord-Isère) se lèvent et circulent entre les tables de classe où sont disposées des photos sur des sujets très variés.

« Qui veut nous parler de son choix ? » demande Céline. Des bras s’élancent vers le plafond. « Sur ma photo, on voit des mains qui se joignent, décrit Thaïs, ça montre qu’il faut avoir confiance dans les personnes qui nous entourent. » « C’est quelque chose d’important pour toi, pour te sentir bien ? » interroge Céline. « Oui, bien sûr, c’est le sentiment de sécurité, c’est important », répond la jeune fille. Justin brandit sa photo : un immense drapeau composé de drapeaux du monde entier.

« Il faut être tous solidaires entre pays, pour partager les connaissances, sinon c’est la guerre, lâche le collégien. Il faut plus d’égalité entre les peuples ! » Lucie, facétieuse, décrit une photo de bonbons colorés et de toutes les tailles : « On est tous égaux entre bonbons ! Je suis gourmande, j’avoue, mais cette photo montre aussi qu’on peut tous vivre ensemble, quelles que soient nos différences. »

Pendant que les langues se délient, Pierre inscrit des mots sur le grand tableau blanc : « s’aimer », « solidarité », « confiance », « lutter contre le racisme », « lien social », « famille », « paix », « santé », « nature », « faire ses propres choix de vie ». Le septuagénaire, fort de dix années de bénévolat au CCFD-Terre Solidaire, a lui aussi l’habitude d’animer ce genre d’interventions scolaires. « C’est tellement différent du format de conférence ; avec les jeunes, les échanges sont vraiment vivants ! » témoigne-t-il. Il est persuadé de l’importance de les sensibiliser à d’autres façons de vivre qu’en accumulant des biens.

« Notre société est trop dans le jugement. On abîme les gens par des systèmes agressifs et évaluatifs. Donner un espace d’expression à nos élèves pour qu’ils s’interrogent sur la notion de bien-être est nécessaire ! »

Emmanuelle Broutier, professeure de français

Sensibiliser à d’autres outils de mesure de la richesse

L’exercice permet de tendre doucement vers le cœur du sujet : penser autrement la mesure de la richesse d’un pays à travers des indicateurs alternatifs. « Après la guerre, pour mesurer ce qu’ils produisaient, les pays ont mis en place un indicateur, le produit intérieur brut, le PIB, qui mesure tout ce que les gens produisent dans les usines, les magasins, les champs, etc. », explique Pierre. IDH(1) , PIB, indice de Gini(1) sont au programme de géographie de 5e , axé sur les inégalités. « On compare le PIB entre la France, l’Allemagne, l’Italie pour savoir qui est le plus riche, continue le bénévole. Mais on ne se demande pas si les populations ont une bonne éducation ou une bonne santé. Or, on pourrait penser à d’autres indicateurs pour mesurer la richesse d’un pays. » Beaucoup de jeunes acquiescent. « Vous l’avez tous dit, on a besoin d’autres choses pour vivre en société ! » abonde Céline.

En retrait depuis le début de la séance, ravie de l’engouement et des prises de parole de ses élèves, la professeure de français lève la main à son tour pour partager sa photo d’une colombe. « Pour moi, elle symbolise la liberté. Parce que nous avons tous le choix de définir notre vie. Cela nous permet de ne pas être enfermés, d’être libres et de casser ce qui nous empêche d’avancer, grâce à la volonté. Surtout vous, qui êtes dans les études, soyez des colombes ! » Émus, les élèves applaudissent. Si elle ne connaissait pas le CCFD-Terre Solidaire avant ce jour, Emmanuelle Broutier se sent concernée par la problématique des indicateurs. Selon elle, ils devraient prendre en compte l’individu dans sa complexité : « Je trouve que notre société est trop dans le jugement. On abîme les gens par des systèmes agressifs et évaluatifs. Donner un espace d’expression à nos élèves pour qu’ils s’interrogent sur la notion de bien-être est nécessaire ! »

Sensibiliser les enfants et les adolescents à l’Éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale (ECSI) est l’une des missions du CCFD-Terre Solidaire, surtout portée par ses bénévoles. Ce jour-là, ils sont douze, venus des quatre coins du département isérois, à intervenir tout au long de la matinée dans les huit classes de cinquième. « En tant que salariée, j’accompagne les bénévoles pour qu’ils s’approprient nos différents outils pédagogiques », détaille Céline Bernigaud, chargée d’animer le large réseau de bénévoles à l’échelle de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

En 2012, le « Réseau richesses » est créé par le CCFD-Terre Solidaire au niveau régional dans le but de s’interroger sur les outils de mesure économiques qui « ne prennent pas en compte ce qui compte ». Trois ans plus tard, un voyage au Bhoutan permet d’étudier au plus près le BNB, le bonheur national brut. En découle, en juin 2018 à Grenoble, le premier Forum international pour le bien-vivre, trois jours d’échanges pour penser d’autres modèles de développement, où sont conviés des partenaires internationaux du CCFD-Terre Solidaire.

Depuis, l’élan sur ces questions perdure. L’objectif est d’envergure : créer un indicateur de bien-être pour les 800 élèves du collège. Ce « grand projet de l’année », comme elle aime le qualifier, est porté par la proviseure Sylvie Meary Chabrey. En 2018, alors CPE en lycée, elle a été sensibilisée aux indicateurs de richesse alternatifs par sa fille, Pauline, investie sur le Forum International pour le bien-vivre et présente à l’intervention ce jour-là (voir portrait à la fin de l’article).

Le répit de la récréation est de courte durée pour les bénévoles qui enchaînent, en deuxième partie de matinée, avec quatre nouvelles classes. Dans la salle d’à côté, malgré son habitude et sa parfaite maîtrise du sujet, Pauline est un peu stressée.

© Clémentine Méténier.

Une fleur pour mesurer le bien-être dans le collège

Après l’exercice du photo-langage, une grande fleur colorée est projetée au tableau. « Voici la fleur du Bhoutan, indique Pauline. Ce pays d’Asie a mis en place un indicateur pour mesurer le bien-être de sa population. Une large consultation a été menée partout dans le pays pour récolter les besoins des habitants dans leur quotidien. En sont ressortis des critères, représentés par des pétales de fleurs, pour évaluer leur bien-être, chaque année. » Niveau de vie, éducation, santé, vitalité de la communauté, bien-être psychologique, diversité écologique, bonne gouvernance, utilisation du temps, diversité culturelle sont les critères du bonheur national brut.

« Vous allez réaliser votre propre fleur, explique Pauline. Imaginez que vous êtes un pays et qu’il faut mesurer le bien-être des habitants. » Ravis de pouvoir dessiner et de discuter librement en groupe, les jeunes ne se font pas prier. « Soyez tranquilles, vous n’êtes pas évalués, c’est à vous de noter sur une échelle de 1 à 10 ce qui est le plus important pour vous », tient à rappeler Pauline.

« Confiance », « Famille », « Respect », les mots fusent. La jeune femme se détend : « Cette animation, créée en 2018 pour le Forum, peut-être déclinée devant des publics très différents. On part de la personne, de son environnement proche et puis on élargit à un petit groupe, au collège, au monde ! La finalité reste la même : trouver des leviers d’amélioration pour notre vie en société. »

Le processus de concertation et de dialogue est au cœur de l’intervention. Il en ressort des fleurs uniques, porteuses d’espoir. La santé, la liberté, l’amour sont notés 10/10 la plupart du temps ; viennent ensuite la famille, les amis, les loisirs, le shopping, le plaisir de manger…

À la fin de l’atelier, Pauline annonce que le projet va se poursuivre à l’échelle de l’établissement : « Vous allez créer un indicateur de bien-être dans une fleur commune à toutes vos classes. Sur une application numérique, vous donnerez une note aux critères que vous avez établis. Par exemple, votre avis sur les jeux dans la cour, la qualité des repas à la cantine, l’ambiance entre élèves. Cela permettra d’améliorer vos conditions de vie au collège. » La suite sera inventée par les huit professeurs volontaires, dans une approche transversale de leurs disciplines. « L’idée est que nos élèves construisent un questionnaire de bonheur pour le diffuser dans tout l’établissement », détaille la professeure de français.

Le 1er mars, ces professeurs ainsi que le personnel de l’établissement : CPE, infirmières, AVS(3), bénéficieront de la formation donnée aux élèves : photolangage et échanges autour du bien-être au collège. Céline Bernigaud présentera, avec un professeur de lycée impliqué sur ces enjeux dans son établissement, une méthodologie pour construire les futurs indicateurs au collège.

À la fin de la matinée, en observatrice attentive, Jehanne, bénévole de l’association depuis de longues années, ressort partante pour animer des interventions sur ce sujet à son tour : « Ce sont eux l’avenir, c’est notre rôle de leur transmettre d’autres expériences. L’école et la famille ne suffisent pas ! On plante une petite graine ! » Pour faire grandir la grande fleur du bonheur…

Clémentine Méténier

Les indicateurs alternatifs sont des espaces d’expression

C’est dans le cadre de son master « Intervention et développement social » à l’Université Grenoble Alpes, que Pauline commence à s’intéresser, en 2016, à la notion d’indicateurs de richesse alternatifs. Pour effectuer son alternance, elle rejoint le CCFD-Terre Solidaire, pour organiser, avec les équipes locales, des évènements dans la région Auvergne-Rhône-Alpes en vue du Forum international pour le bien-vivre à Grenoble en juin 2018. « Ma formation insistait beaucoup sur la consultation des personnes et du public dont on peut avoir la charge. Je l’ai compris en travaillant dans un centre de demandeurs d’asile, où il faut prendre en compte la parole des personnes concernées, leur donner des espaces d’expression pour les accompagner. Cette thématique est très présente dans la question des indicateurs alternatifs de richesse ; ils doivent être adaptés à tout ce que vivent les personnes. »

Aujourd’hui, CPE dans un collège à Lyon, Pauline a très à cœur de « veiller et contribuer au bon climat scolaire des élèves » ; elle utilise souvent les outils du CCFD-Terre Solidaire et le concept de la fleur du Bhoutan auprès des élèves. « L’exercice est une bonne amorce pour qu’ils verbalisent les choses, ça les détend, car ils ont toujours la pression de l’évaluation. Là, on leur demande de penser à leur bien-être. » Elle espère pouvoir s’impliquer dans la préparation du prochain forum à Grenoble, pourquoi pas en invitant quelques élèves motivés sur ces questions.

(1) IDH : Indicateur de développement humain conçu par le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui prend en compte l’espérance de vie, l’accès à l’éducation et le PIB par habitant en parité du pouvoir d’achat.
L’indice de Gini : indicateur d’inégalités de salaires varie en 0 et 1. Il est égal à 0 dans une situation d’égalité parfaite où tous les salaires, les revenus, les niveaux de vie seraient égaux.

(2) AVS : Auxiliaire de vie scolaire

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