Haiti : Nègès Mawon, la voix artistique des femmes

Publié le 15.08.2022

Dans un pays secoué par une crise sociale, politique, économique et sécuritaire, Nègès Mawon (Négresses marronnes ), l’association partenaire du CCFD-Terre Solidaire fondée et coordonnée par Pascale Solages, a choisi l’expression artistique pour donner une visibilité à la situation préoccupante des femmes.

Échos du monde : Quelle est la situation des femmes aujourd’hui en Haïti ?

Pascale Solages : Elle est alarmante ! Dans un pays qui traverse une crise multidimensionnelle, la première préoccupation des femmes est la sécurité. La majeure partie du territoire est en effet occupée depuis plusieurs années par des gangs. Les rapts se comptent par centaines et touchent toutes les catégories de population. Lorsque les victimes sont des femmes, elles subissent des violences physiques et sexuelles. Tout cela dans un pays où le système judiciaire n’est absolument pas organisé pour faire face à cette situation.

La vulnérabilité vient aussi de la structure familiale, puisque Haïti totalise 60 % de familles monoparentales dirigées par des femmes pauvres et très vulnérables. La santé est également une grande préoccupation. Le pays compte, par exemple, le taux de mortalité maternelle le plus élevé des Caraïbes. Malheureusement, la violence envers les femmes est acceptée, tolérée, voire ignorée, dans une société haïtienne foncièrement conservatrice et patriarcale.

La violence envers les femmes est acceptée, tolérée, voire ignorée, dans une société haïtienne foncièrement conservatrice et patriarcale.

Avec d’autres militantes féministes, vous avez créé Nègès Mawon, en 2015. Pourquoi ce nom et quel est le but de votre association ?

Le « nègre marron » est le symbole de la révolte des esclaves (1791-1804). On a voulu féminiser ce symbole. Nous avions, dès le début, la volonté de raconter Haïti à travers le prisme des femmes et avec une démarche artistique. En novembre 2015, nous avons créé cet espace qui permet d’exprimer notre activisme féministe, et ce par le biais de toutes les formes d’art possibles. Nous désirons promouvoir les droits civiques, politiques et socio-économiques des femmes, l’égalité des sexes et l’élimination de la violence à leur égard. Face à ces défis, l’idée a tout de suite germé de mettre sur pied le premier festival féministe en Haïti.

Quel a été le point fort de la première édition, en juillet 2016 ?

Incontestablement, la marche dans les rues de Port-au-Prince, qui a mobilisé une cinquantaine d’artistes. Je me souviens particulièrement de ces femmes qui portaient des pancartes avec des messages reprenant des paroles d’hommes qui les harcèlent au quotidien dans la rue. Et surtout les réponses qu’elles n’osaient jamais leur formuler.

Par exemple : « Je ne suis pas une kenep (nom d’un fruit local) que l’on peut goûter comme au marché » ou « le zozo (pénis) n’est pas une arme ». Les réactions ont d’ailleurs été parfois très violentes. Il y a même eu des agressions physiques et des messages terribles sur les réseaux sociaux. Mais cela a permis d’ouvrir le débat sur ces sujets aujourd’hui abordés dans toute la société. Et ce premier festival a tout de suite donné une identité forte à notre association !

LE MARRAINAGE, LA SOLIDARITÉ DES VICTIMES
Au-delà de son approche artistique, Nègès Mawon a initié, en 2019, le projet Marrainage. Des femmes victimes de violences sont accompagnées par d’autres femmes qui, elles aussi, ont subi ces violences.
« Cet accompagnement permet à ces femmes de créer un contre-discours et de lutter contre les pressions qu’elles subissent – généralement de la part de leurs proches – pour renoncer à porter plainte, explique Pascale Solages. À travers des échanges, souvent quotidiens, en présentiel ou par moyens de communication interposés, elles rompent leur isolement et peuvent entamer ou poursuivre un processus de reconstruction. Elles se sentent en confiance, tissent des liens forts en échangeant avec des femmes avec lesquelles elles ont un vécu similaire. Pour les marraines, dont la participation est basée sur le volontariat et qui bénéficient d’un suivi psychologique, ces échanges les aident aussi à se renforcer, à se reconstruire. Évidemment, une femme qui n’est pas sortie de la violence ne peut pas être marraine. Aujourd’hui, nous comptons 28 marraines pour près de 300 filleules. »

Après une pause pour cause de pandémie, le prochain festival se tiendra la dernière semaine de juillet. Quel en sera le thème ?

Ce sera « mon corps au sens propre et défiguré » pour évoquer la manière dont le corps des femmes est traité en Haïti. Il comportera une marche artistique qui regroupera entre 50 et 60 artistes de plusieurs disciplines (musique, danse, théâtre, slam, poésie…) Pour la première fois, cette année, nous allons sortir de Port-au-Prince et organiser ce festival à Cap-Haïtien. Il y aura des activités dans les semaines et les mois qui précèdent ce grand rendez-vous, notamment des ateliers de peinture féministe animés par quatre peintres haïtiennes reconnues internationalement.

Nous désirons promouvoir les droits civiques, politiques et socio-économiques des femmes et l’élimination de la violence à leur égard.

Parmi les nombreuses initiatives portées par Nègès Mawon figure le projet Alaso pour diffuser la voix des femmes haïtiennes.

Le nom du projet Alaso (À l’assaut) s’inspire d’une expression qui date de la guerre de l’indépendance : « À l’assaut, ceux qui meurent on les vengera ». C’est un terme de résistance, de révolte. Nous avons récupéré ce cri de guerre pour ce projet concrétisé en 2021. L’objectif est d’offrir une plateforme par et pour les femmes et les féministes haïtiennes en Haïti et dans la diaspora, afin de diffuser nos idées, nos positions, notre vision et nos aspirations.

On reproche souvent aux féministes de ne pas produire suffisamment, et nous souhaitions ouvrir donc un espace qui s’y prêtait. Concrètement, Alaso propose, à travers des lettres, des carnets et des podcasts, de favoriser l’expression des femmes. Le premier thème a été la « résistance ». Le second, actuellement en cours, est lié aux « frontières », à la migration, mais chaque fois dans une perspective féministe. La plupart des femmes qui participent à ce projet vivent d’ailleurs à l’étranger, le plus souvent par obligation.

Comment, selon vous, l’expression artistique permet-elle aux populations en souffrance de s’émanciper ?

Les gens se retrouvent dans l’expression artistique : une personne peut se sentir légitime pour s’exprimer, sur sa vie et ses expériences, à travers l’art. Mais aussi résister. Tout ce que nous avons créé avec Nègès Mawon vient des réalités des communautés dans lesquelles nous nous sommes rendues. Nous avons tenté de retranscrire leurs luttes et leurs souffrances de manière artistique.

Non seulement les artistes parviennent à s’approprier une cause, mais le public que l’on veut toucher – en particulier les jeunes – arrive à comprendre et à s’exprimer ensuite lui-même. L’art est donc un outil de travail pour faire passer des messages et combattre, car il est rassembleur, puissant et accessible. C’est pour cela que nous nous définissons comme des « artivistes » !

Propos recueillis par Jean-Claude Gerez

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