Chiffres Raymond Baker, 2007

Chiffres Raymond Baker, 2007

Impossible développement

Publié le 08.09.2010| Mis à jour le 09.09.2021

50% des flux financiers internationaux transitent par les paradis fiscaux et judiciaires (PFJ), parmi eux des capitaux licites ou illicites qui représentent une véritable hémorragie financière pour les économies des pays en développement. Cette fuite des capitaux n’est pas nouvelle : selon les Nations unies, dans les pays africains de 1960 à 1990 elle a représenté près de deux fois le montant de la dette du continent.


Par définition, l’opacité des PFJ empêche de disposer de chiffres précis, mais selon les estimations les plus sérieuses, les seuls flux illicites s’évadant des pays du Sud via les PFJ oscillent entre 500 et 800 milliards de dollars. Ces flux illicites comprennent l’argent du crime, de la corruption et de la fraude fiscale (voir tableau 2) qui doit elle aussi être reconnue dans une large acceptation comme illicite. L’évasion, la fraude fiscale et la corruption doivent de toute urgence recevoir une réponse de la communauté internationale, tant la perte financière pour les pays du Sud est importante et compromet tout effort de ces pays et de la communauté internationale pour lutter contre la pauvreté.

Ces pratiques coûtent précisément plus de 125 milliards d’euros [[Christian Aid, « Death and taxes : the true toll of tax dodging » mai 2008]] par an aux caisses des pays du Sud, c’est-à-dire exactement la somme que les Nations unies estiment nécessaire pour réduire de moitié la pauvreté d’ici 2015 et ainsi atteindre les Objectifs Du Millénaire issus de la Déclaration du Millénaire, résolution adoptée en Septembre 2000 par l’Assemblée Générale des nations Unies.

Chiffres Raymond Baker, 2007
Chiffres Raymond Baker, 2007
La fuite des capitaux : des fonds bien supérieurs à l’aide au développement internationale
La fuite des capitaux : des fonds bien supérieurs à l’aide au développement internationale

Oxfam International a calculé que 100 milliards de dollars d’aide supplémentaire annuelle sont nécessaires pour atteindre les 8 objectifs du Millénaire pour le développement, décidés en 2000 par les Nations unies pour diviser par deux la pauvreté d’ici à 2015.

Or, pour chaque euro d’aide au développement versé au continent africain, environ 5 euros en provenance du continent s’abritent sur des comptes off-shore[[Selon les calculs de John Christensen, « La corruption, la pauvreté et l’économie politique des paradis fiscaux », Tax Justice Network, 2007]].

Le recouvrement d’un tel manque à gagner pour les budgets des pays pauvres est aujourd’hui le seul moyen, avec l’aide internationale au développement, de doter ces Etats de ressources financières propres pour développer des politiques de services publics en santé et en éducation qui soient accessibles à tous.

L’Inde victime du tourisme fiscal

Pour échapper à l’impôt, de nombreux Indiens fortunés placent leur argent à Port-Louis [capitale de l’Île Maurice] afin de mieux le réinvestir, non taxé, dans leur pays d’origine. Cet aller-retour, qui permet de se délester impunément de la charge fiscale et des droits de douane, est connu sous le nom de « round tripping ». Alimentant derechef une supercherie statistique, puisque les sommes en jeu seront comptabilisées au titre des investissements « étrangers ». Pour les autres investisseurs, multinationales et diaspora indienne, on parle de « treaty shopping » : grâce à son traité de non-double imposition avec l’Inde, l’Île Maurice – qui n’impose pas les plus-values – permet de défiscaliser les capitaux. Ces deux combines ont contribué à faire de l’Île Maurice le premier investisseur mondial en Inde, et de très loin. Depuis dix ans, cette petite île d’à peine un million d’habitants a fourni 44 % des capitaux investis dans le sous-continent. Les autres paradis fiscaux, dont Singapour et Chypre, en ont apporté plus de 15 %. Les autorités de Delhi qui chiffrent le manque à gagner pour l’Etat fédéral en centaines de millions d’euros voient rouge.

Extrait de « Île Maurice : l’autre paradis », article de Jean Merckaert à paraître dans Faim et Développement Magazine en février 2010.

Les activités douteuses des compagnies multinationales sont, comme on l’a vu, un facteur essentiel de la finance offshore. Mais la corruption et la criminalité ne sont pas moins dramatiques dans leurs conséquences, qui, au-delà de la finance, touchent, à travers corruption et criminalité, aux fondements démocratiques des sociétés, et particulièrement les plus fragilisées.

Abacha au Nigeria, Mobutu au Zaïre, Bongo au Gabon, l’entourage du président angolais Dos Santos, l’ex-président russe Eltsine, la CDU allemande d’Helmut Kohl, la société pétrolière française Elf-Aquitaine ou encore le chef des services de renseignement du Pérou, Montesinos, ont en commun d’avoir utilisé les mêmes juridictions et les mêmes mécanismes pour blanchir les recettes des pots-de-vin, trafics d’armes, caisses noires et fonds détournés. En effet, chacun de ces acteurs de la corruption est passé par la minuscule principauté européenne du Liechtenstein.

L’argent de la corruption

Les PFJ sont des outils très souvent utilisés pour faciliter la grande corruption. Les banques peuvent y faire transiter sans risque, dans l’opacité la plus totale, des fonds liés à la corruption. Selon la Banque mondiale, 40 milliards de dollars sont détournés chaque année par des dirigeants corrompus. Avec le secret bancaire, l’opacité des structures juridiques et l’absence de coopération judiciaire, presque tous les coups sont permis. Pourtant, des règles existent : la Convention de Merida, adoptée en 2003 par l’Assemblée générale des Nations Unies, assure la lutte contre la corruption et prévoit des procédures de restitution des biens mal acquis. Mais, comme l’indique le tableau ci-dessous, ces mécanismes juridiques sont limités et les montants effectivement restitués bien trop faibles.

Le cas des avoirs détournés par les dictateurs des pays du Sud[[Voir le Rapport du CCFD Bien Mal Acquis. A qui profite le crime ? 2009. par Jean Merckaert et Antoine Dulin]] est l’exemple le plus frappant de fonds publics ayant été détournés à des fins personnelles grâce aux montages financiers complexes qu’offrent les PFJ. Le Nigérian Sani Abacha n’aurait jamais pu ainsi transférer plus de 4 milliards de dollars sans être inquiété s’il n’était pas passé par les paradis fiscaux. Il recrutait des agents dans les Îles vierges britanniques ou aux Bahamas pour lui servir de prête-nom et ouvrir une société internationale anonyme, elle-même possédée par une société d’investissement créée par lui dans une juridiction plus respectable, telle que l’île de Man. La société des Îles vierges ouvrait alors un compte par Internet dans une banque en Lettonie, au Liechtenstein ou à Vanuatu, qui traitait alors, pour le compte de la société des îles Vierges, avec les principales banques à New York, Londres, Hambourg, Paris et Zurich grâce à des comptes de «correspondants».

Il est donc difficile d’identifier les bénéficiaires réels des comptes bancaires domiciliés dans les paradis fiscaux et judiciaires. De plus, les autorités judiciaires de ces pays, à commencer par le Luxembourg, le Liechtenstein et le Royaume-Uni, répondent rarement aux demandes d’entraide judiciaire formulées par les pays spoliés : la règle d’absence de coopération judiciaire pour protéger son client est de mise.

L’arsenal législatif pour saisir et restituer les fonds d’origine illicite s’est considérablement enrichi ces dernières années, notamment à travers la Convention de Merida évoquée ci-dessus). Pour autant, ces normes resteront condamnées au rang de déclarations de principes tant qu’elles ne s’accompagneront pas d’une coopération judiciaire effective. La France, très en retard sur les actions pour geler ou restituer les « Bien mal acquis », a refusé au Nigeria par exemple une demande, invoquant le fait qu’elle était formulée en anglais.

Source : Plateforme paradis fiscaux et judiciaires, http://www.argentsale.org/la-fuite-des-capitaux-des-pays-du-sud.php


Tableau des estimations de quelques « Biens mal acquis » et des restitutions obtenues
Pays/Dictateur/années Fourchette d’estimation des Biens mal acquis en milliards de dollars Argent total restitué de l’étranger en millions de dollars
Philippines / MARCOS / 1965-86 5 à 10 MDS$ 658 Mill. $ avec intérêts (Suisse / 2003)
Mali / TRAORE / 1968-91 1 à 2 MDS$ 2,4 Mill$ (Suisse/1997)
Nigeria / ABACHA / 1993-98 2 à 6 MDS$ 160 Mill$ (Jersey/2004) 594 Mill$ (Suisse/2002-05)
Angola/ DOS SANTOS /1979- 4 à 5 MDS$ 21 Mill$ (Suisse/2005)
Pérou / FUJIMORI / 1990-2000 0,6 à 1,5 MDS$ 80,7 Mill$ (Suisse/2002-04) 20,075 Mill$ (EU/2006)
Haïti / DUVALIER / 1971-86 0,5 à 2 MDS$ /
RDC – Zaïre / MOBUTU / 1965-1997 5 à 6 MDS$ /
Kazakhstan / NAZARBAEV / 1991- 1MDS$ /
Kenya / MOI / 1978-2002 3MDS$ /
Indonésie / SUHARTO / 1967-98 15 à 35 MDS /
Iran / M.PAHLAVI / 1941-79 35 MDS$ /

Source du tableau : Rapport du CCFD – Terre Solidaire, Biens mal acquis. A qui profite le crime ? 2009 par Jean Merckaert et Antoine Dulin.

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