Israël-Palestine : un dialogue impossible ?

Publié le 17.03.2023| Mis à jour le 03.04.2023

Ravivées par l’arrivée au pouvoir d’une coalition de la droite conservatrice et des partis extrémistes, les tensions et la violence dans les territoires occupés nécessitent pourtant plus que jamais le rapprochement entre Juifs et Palestiniens. Même si l’effacement de ces derniers du débat et de l’agenda politique, y compris de l’opposition, et la négation de leurs droits rendent celui-ci incertain.

Sur Kaplan, une des grandes avenues au centre de Tel-Aviv, la foule ne cesse de grossir de minute en minute ce samedi 28 janvier où, pour la quatrième semaine consécutive, les habitants sont venus crier leur indignation. Des femmes et des hommes de tout âge sont rassemblés contre les projets du nouveau gouvernement dirigé, depuis décembre, par Benjamin Netanyahou, le leader du Likoud, le parti conservateur allié à l’extrême droite et aux ultra-orthodoxes.

L’attentat meurtrier qui a eu lieu la veille à Jérusalem a certes dissuadé certains de participer, mais la détermination des manifestants dans la capitale – comme dans d’autres villes – est encore plus forte que la semaine précédente où 130 000 Israéliens avaient déjà battu le pavé… « Du jamais vu, lance Hila Tov, éditrice de Israël Social TV, un média indépendant, partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Ce gouvernement, le plus à droite de toute l’histoire d’Israël, fait réellement planer une menace sur les libertés, qui ne laisse pas indifférent », se félicite-t-elle. Une bannière sur laquelle le mot « démocratie » est écrit en lettres capitales résume l’enjeu réel de cette mobilisation « historique par son ampleur », sourit la responsable.

Signe des temps : même le secteur de la tech et des start-up est, pour la première fois, mobilisé, tout comme les économistes, y compris les plus libéraux, soucieux du devenir des investissements étrangers. Des menaces sur la démocratie qui pourraient ruiner l’image d’Israël sur la scène internationale et… son économie.

Un État de droit qui vacille

Si le pouvoir mettait en œuvre toutes les dispositions prévues dans l’accord de coalition, l’État de droit pourrait en effet vaciller. Parmi les plus décriées : un projet de loi permettant au gouvernement d’imposer ses vues face à la Cour suprême, la volonté du peuple étant considérée par le gouvernement comme plus légitime que celle défendue par les « gardiens de la Constitution ». Un texte allant dans ce sens a été voté à la Knesset, le parlement israélien, le 14 février1, en dépit de l’importance des manifestations, des protestations et des critiques des États-Unis et de l’Union européenne préoccupés par l’évolution de la situation.

Ce gouvernement est le plus à droite de toute l’histoire d’Israël, et fait planer une menace sur les libertés qui ne laisse pas indifférent.

HilaTov, d’Israël Social TV

L’inquiétude est d’autant plus grande que ce texte est la pièce maîtresse d’un vaste ensemble de mesures menaçant la liberté de la presse ou les droits des minorités. Sans parler de la légalisation de facto de la colonisation des territoires occupés, contraire au droit international, mentionnant la mainmise d’Israël sur la Palestine comme « temporaire ». « Mais comment en est-on arrivé là ? » s’interroge, médusée, une manifestante. Une question qui revient en boucle, car rien ne semble arrêter la volonté du pouvoir de poursuivre sa sinistre marche en avant.

Cette attaque contre l’État de droit est le résultat d’une alliance inédite dans laquelle chacun se sert de l’autre pour parvenir à imposer son agenda. D’un côté, des suprémacistes juifs et des ultra-orthodoxes qui ont obtenu la création d’un ministère de la Sécurité nationale confié à Itamar Ben-Gvir, figure très controversée de l’extrême droite, condamné pour appel à la haine. Son ambition : « rendre les Juifs fiers d’être juifs ». De l’autre côté, un Premier ministre accusé de corruption, de fraude et d’abus de confiance, qui cherche à garantir coûte que coûte son immunité parlementaire.

Cette coalition vient de se mettre d’accord sur un projet de loi apportant du crédit aux critiques brandies par l’opposition : le Premier ministre ne pourra être démis de ses fonctions que si 75 % des députés de la Knesset votent en ce sens.

Une société palestinienne devenue invisible

« L’instabilité politique – les Israéliens ont voté cinq fois en deux ans –, le sentiment de peur et la demande de sécurité d’une partie de la population fatiguée par les attaques, les contre- attaques et les attentats qui secouent depuis des années le pays expliquent aussi cette droitisation », rappelle Judith, une trentenaire, free-lance dans une société de production.

« Les partis de gauche, en glissant vers le centre, ont également leur part de responsabilité. Car, sans les outrances de l’actuel gouvernement, ils ont en réalité conduit la même politique. La gauche craint de perdre des voix en remettant la question palestinienne au centre des débats. En se voulant plus nationaliste que les partis nationalistes eux-mêmes, elle empêche de réelles alternatives de voir le jour. Or, c’est de cela que nous avons besoin », ajoute Yuval Abraham, journaliste à +972, un magazine indépendant en ligne, partenaire du CCFD2.

Les journalistes indépendants font l’objet de multiples pressions. Ils subissent des interrogatoires, se voient confisquer leur matériel et sont menacés

Yuval Abraham, journaliste à +972.

Les Palestiniens ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : absents de ce débat, ils sont très peu nombreux à rejoindre les cohortes de manifestants. « À quoi bon descendre dans la rue pour défendre une Cour suprême qui a souvent avalisé les projets de loi visant à reconnaître les atteintes à nos droits ? » justifie Nidaa Nassar, de l’ONG Baldana, partenaire du CCFD-Terre Solidaire.

© Anne Paq

Près de la colonie Shilo, des colons ont attaqué des Palestiniens en train de récolter des olives, le 25 octobre 2022. Les paysans se sont défendus en jetant des pierres sur leurs agresseurs, qui ont brûlé deux de leurs voitures.

© Anne Paq

La presse indépendante révèle une autre réalité

« Ce radicalisme, qui ne doit pas être confondu avec de l’extrémisme, met en garde Hila Tor, n’est en réalité que l’aboutissement d’un long processus d’effacement progressif des Palestiniens des débats, facilité par le silence de plus en plus criant de la presse mainstream. » C’est pour renverser cette tendance que Social TV tout comme +972 mettent en avant, dans des reportages, enquêtes et analyses, le quotidien les Palestiniens. Aux clichés faisant des Palestiniens les responsables des violences qui entraîneraient en retour une montée de la colère chez les colons menacés, ils opposent une tout autre réalité. « Ce mois de janvier a été le plus meurtrier depuis dix ans, avec 35 victimes palestiniennes tuées par les forces armées israéliennes et les colons dans les territoires occupés », souligne +972 dans une enquête accumulant la description de cas précis.

« En septembre dernier, nous avons publié une enquête reprise par toute la presse, y compris les grands médias. Nous y avons démontré que, contrairement à l’allégation d’un colon israélien, habitant près d’Hébron, expliquant qu’il avait été lynché par une trentaine de Palestiniens, cette agression n’avait jamais eu lieu, raconte Yuval. Une vidéo de 23 minutes a filmé l’ensemble de la séquence et montre que c’est un groupe de colons qui a mené l’assaut contre des fermiers palestiniens. Ils étaient masqués et armés de barre de fer et même pour l’un d’entre eux d’un fusil… Les autorités ont été obligées d’admettre les faits. Mais pour un cas comme celui-là qui a un fort retentissement, nombre d’autres histoires restent inconnues. »

Le travail au plus près du terrain est loin d’être facile pour ces journalistes se qualifiant eux-mêmes d’« activistes » : « Ils font l’objet de multiples pressions. Ils subissent des interrogatoires, se voient confisquer leur matériel et sont menacés…, continue Yuval. Les tensions, qui n’ont jamais vraiment cessé, se sont même accrues au cours de ces derniers mois. » À l’intimidation s’ajoutent maintenant les pressions financières. « Nous avons été convoqués par le ministère de la Communication qui cherche à supprimer les subventions accordées à la presse indépendante. Pour nous, elles représentent 15 % de notre budget, illustre Hila. L’aide que nous recevons d’ONG internationales pourrait en outre prochainement être taxée. »

Vers la création de nouveaux ponts ?

« Cet effacement de la population palestinienne est tragique. Car si les relations entre Juifs et Palestiniens sont la cause de la droitisation actuelle, un changement radical avec une recon- naissance des mêmes droits pour tous pourrait être le remède », ajoute Yuval. Les quelques drapeaux palestiniens qui, dans la manifestation, viennent perturber la marée de drapeaux israéliens brandis par l’assistance « sont le signe que quelque chose d’inédit est en train de se passer, veut croire Hila. Des photos les montrant ont été diffusées dans les grands médias ».

Nina, la cinquantaine, venue manifester avec son mari et une amie, pour exprimer sa colère, le reconnaît : « Il y a un début de prise de conscience. » Elle tient à la main une pancarte : « L’occupation corrompt » . « À force de tout accepter, y compris la négation de l’identité des Palestiniens, on finit par se dire que tout est permis », décrypte-t-elle, sous le regard approbateur des manifestants autour d’elle. « Il ne peut pas y avoir de démocratie, sans reconnaissance des droits des Palestiniens », renchérit un étudiant de l’université où le mouvement, appuyé par de nombreux enseignants, a pris de l’ampleur.

Reste que ces prises de position sont encore isolées… « Lors des premières manifestations, on a vu des groupes LGBT juifs et palestiniens se lancer des anathèmes. Pourtant, il y aurait des moyens d’établir des ponts sur des sujets moins conflictuels que l’avenir des territoires occupés, comme les droits des femmes et des minorités, mais aussi la lutte contre les inégalités ou encore le changement climatique », remarque Hila, prête à participer à ces rapprochements. Un chemin étroit, certes semé d’embûches, mais qui pourrait constituer un rempart contre la tentation « illibérale »3 de la coalition au pouvoir d’un pays se targuant d’être – ironie de l’histoire – la seule « démocratie » de la région…

Laurence Estival

1. Deux textes ont été approuvés par 63 voix contre 47. L’un modifie le processus de nomination des juges et l’autre introduit une clause « dérogatoire » permettant au Parlement d’annuler à la majorité simple certaines décisions de la Cour suprême.

2. Le média en ligne +972, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, a été créé en 2010 par des journalistes palestiniens et israéliens pour décrypter les changements politiques, culturels et sociaux en Israël et en Palestine. Il publie des reportages, des opinions et des analyses en hébreu, en anglais et en arabe. Les journalistes mettent l’accent sur les droits humains, les communautés marginalisées, la justice sociale et climatique et l’impact de l’occupation sur les deux sociétés. Leurs articles sont repris par les principaux médias locaux et internationaux.

3. Illibérale : qui est opposé au libéralisme, à ses principaux fondements, tels que la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, l’État de droit et les libertés individuelles.

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