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Les résultats en 9 questions

Publié le 12.06.2013| Mis à jour le 10.09.2021

Les 50 plus grands groupes européens pèsent, collectivement, près de 4500 milliards d’euros en chiffre d’affaires en 2012. C’est l’équivalent de 24% du Pib européen, soit davantage que le budget cumulé des Etats de l’Union européenne. Ils génèrent 208 milliards d’euros de profits cumulés. Ce poids économique et l’influence des grandes entreprises leur confèrent un devoir de rendre des comptes aux sociétés dans lesquelles elles s’inscrivent. Toutes opèrent dans les pays du sud de la planète, où leur contribution au développement (et notamment à l’impôt) est pour le moins controversée. Mais aujourd’hui, une grande opacité entoure leurs activités. Aucune grande entreprise européenne ne permet jusqu’à présent au simple citoyen, du Sud ou du Nord, de vérifier si la localisation de son profit correspond à la réalité de son activité.


1. Toutes donnent-elles gratuitement une liste complète de leurs filiales ?

Non, pas toutes.
60% d’entre elles fournissent gratuitement, en ligne, une liste complète de leurs filiales (entendues ici comme l’ensemble des entités incluses dans le périmètre de consolidation comptable). Même si, pour certaines, il faut chercher dans des annexes publiées hors du rapport annuel, ou dans des formulaires remplis pour se conformer aux exigences du gendarme de la bourse américaine, la SEC [[SEC : Security & Exchange Commission]]. D’autres ne mettent pas l’information en ligne : il faut en faire la demande pour Dexia (qui l’honore aussitôt), et les entreprises britanniques renvoient au registre du commerce. On doit alors, pour chacune d’entre elles, débourser 1£ pour obtenir les données (pour la banque Barclays, l’opération est vaine, l’information étant la même que celle contenue dans le rapport annuel).

Surtout, douze groupes ne dressent, dans leur rapport annuel, qu’une liste des « filiales principales ». Parmi ces groupes, six sont cotés au Cac 40 (Axa, Total, France Télécom, EADS, GDF Suez, Arcelor Mittal). Le contribuable français découvrira avec intérêt que la participation de l’Etat au capital (GDF Suez, France Télécom) n’est en rien un gage de transparence ! France Télécom annonce 400 entités mais n’en liste que 32. Total annonce 883 entités mais ne donne le nom que pour 179 d’entre elles. BMW n’en publie que 85 dans son rapport 2013 alors que deux ans plus tôt, elle en listait 228. Se distinguent aussi, par le petit nombre de filiales publiées, les puissants groupes Arcelor Mittal (35), ING (44), Zurich Financial Services (60), ou Glencore (62). Relevons que la norvégienne Statoil, qui jouit d’une image de bon élève en matière de transparence [[Le rapport de Transparency International « Transparency in Corporate Reporting » en 2012 la classe n°1 en matière de transparence (parmi 105 multinationales), de même que le rapport « Piping Profits », publié en 2011 par la coalition norvégienne Publiez ce que vous payez.]], ne donne qu’une courte liste de 44 filiales qui ne couvre pas l’ensemble des pays où elle opère notamment les Bahamas, les Pays-Bas, Singapour ou les Émirats arabes unis. Il est évident que l’incomplétude de l’information fausse les données que nous sommes en mesure de présenter. Ces douze groupes publient un nombre moyen de filiales, que ce soit au total ou dans les paradis fiscaux, environ sept fois inférieur à celui publié en moyenne par les 38 autres. Dans l’hypothèse où ces douze groupes ne dépareilleraient pas de leur consœurs ou concurrentes, il manquerait à notre recensement environ 1500 filiales logées dans les paradis fiscaux.

2. Peut-on localiser les filiales ?

La question peut sembler absurde, tant il paraît insensé, du point de vue de l’actionnaire, de l’Etat, du journaliste comme du simple citoyen, que l’entreprise fournisse le nom de la filiale sans permettre de la situer géographiquement. C’est pourtant ce que fait la major française du pétrole ! Chacun devinera que Total Venezuela est au Venezuela, mais qu’en est-il de Total Finance Exploitation ou Total Capital ? Six entreprises, toutes allemandes, ne donnent quant à elles que le nom de la ville où sont implantées leurs filiales, ce qui dans certains cas peut prêter à confusion : Dover est-elle la ville américaine du Delaware ou la Douvres anglaise ralliée par ferry depuis Calais ? BMW invite à se repérer sur une carte du monde. Inversement, une poignée de groupes fournissent pour chaque filiale une adresse détaillée : c’est le cas de Dexia pour l’ensemble du périmètre de consolidation, et celui de Lloyds, GDF Suez, Crédit agricole et Axa pour leurs principales filiales.
Parfois, on observe un fossé entre le pays d’implantation des filiales et leur pays d’opération : ainsi, BP Exploration opère en Algérie mais est enregistrée aux Bahamas. Toujours chez le pétrolier britannique, il en va de même pour South Caucasus Pipeline Company, opérant en Azerbaïdjan mais enregistrée aux Iles Caïman. Pourquoi ?

3. Combien parmi ces 50 entreprises sont absentes des paradis fiscaux ?

Aucune.
Toutes sans exception sont implantées dans les paradis fiscaux, dès lors que l’on utilise la liste des 60 territoires opaques retenue en 2009 par le Tax Justice Network (TJN). Elles y détiennent en moyenne 117 filiales chacune, soit 29% de leurs filiales étrangères. Certains groupes ont délibérément choisi d’implanter leur siège dans un paradis fiscal, à l’instar d’EADS aux Pays-Bas ou Arcelor Mittal au Luxembourg.
Même si l’on adopte une liste plus restrictive de paradis fiscaux, le nombre moyen d’implantations reste important. Par exemple, en excluant les moins opaques des « pays du secret » listés par TJN (moins de 60% d’opacité, comme l’Irlande, la Belgique, les Pays-Bas ou le Delaware), on recense tout de même une moyenne de 60 filiales par groupe européen et aucun n’en est absent. Quant à leur présence dans les « trous noirs » de la finance internationale (les territoires présentant plus de 75% d’opacité selon TJN), seul un groupe n’y est pas : le français CNP Assurances. Les 49 autres y comptent en moyenne 28 filiales soit 7% de leurs filiales étrangères.
Si l’on retient, à l’instar du Congrès des États-Unis, la liste des paradis fiscaux établie par le General Accounting Office (GAO), l’équivalent de la Cour des Comptes – une liste qui ne tient par exemple pas compte du Delaware ni des Pays-Bas -, là encore aucune des grandes firmes européennes ne sort indemne [[Hormis, en apparence, la française Total. Mais sa liste très parcellaire de filiales en cache au moins certaines dans les territoires listés par le GAO, notamment les Bermudes (voir encadré) et la Suisse.]]. Chacune possède en moyenne 60 filiales dans les paradis recensés par l’Oncle Sam (soit 15% des filiales étrangères).

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Nous avons enfin procédé à l’inventaire en nous référant à la liste intermédiaire des territoires pointés du doigt par le Forum fiscal mondial de l’OCDE, à l’issue d’une évaluation de leur législation. Cette liste particulièrement limitative ne compte que 14 noms, selon le dernier rapport remis au G20 en avril 2013… dont 3 îles du Pacifique [[Botswana, Brunei, Dominique, Émirats Arabes Unis, Guatemala, Iles Marshall, Liban, Libéria, Nauru, Niue, Panama, Suisse, Trinidad et Tobago, Vanuatu.]]. Et pourtant, même en ne retenant que ceux-là, il n’y a guère que cinq groupes sur les 50 que nous avons étudiés qui n’y déclarent aucune filiale : les assureurs Aviva et CNP assurance, la banque Dexia et deux autres groupes (ING et Zurich Financial Services) pour lesquels le doute persiste, tant leur liste de filiales est incomplète. A contrario, huit entreprises y ont au moins vingt filiales – dans l’ordre croissant : EXOR, Siemens, Allianz, Generali, BASF, Metro, Shell, Deutsche Post. La Suisse, les Émirats arabes unis et le Panama accueillent près de 85% des filiales concernées.
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4. Quels sont les paradis fiscaux préférés des firmes européennes ?

Les firmes européennes ont une préférence marquée pour les paradis… européens ! Elles localisent 63% de leurs filiales offshore dans les 18 territoires européens de la liste de TJN. Seule une poignée d’entreprises sont davantage implantées dans des paradis hors d’Europe : Enel, Nestlé, Shell, Tesco et Deutsche Bank.
Les destinations de prédilection sont, dans l’ordre : les Pays-Bas, l’État du Delaware (États-Unis), le Luxembourg, l’Irlande et les Îles Caïman. A eux seuls, ces cinq territoires concentrent plus de la moitié (53%) des filiales que les firmes européennes détiennent dans des paradis fiscaux. Suivent la Belgique, l’Autriche, la Suisse, Hong-Kong, Jersey, la Hongrie et Singapour. Les Pays-Bas ont particulièrement la faveur des groupes industriels, tandis que les assureurs lui préfèrent le Luxembourg, et les banques localisent la moitié de leurs filiales offshore au Delaware, dans les Caïman, au Luxembourg et en Irlande. A noter aussi la séduction exercée par les Pays-Bas et les Bermudes sur les pétroliers.
Pour prendre toute la mesure de l’amour que portent les groupes européens pour ces havres fiscaux, comparons les chiffres aux pays dont l’émergence aiguise – paraît-il – les appétits. Qu’observe-t-on ? Les 50 groupes étudiés ont aux îles Caïman davantage de filiales qu’au Brésil et 2 fois plus qu’en Inde ! Ils sont mieux implantés sur le caillou de Jersey, au large de Saint-Malo, qu’au Mexique ! Même la Chine (579 filiales) n’attire guère davantage que le Luxembourg (557). Au total, Brésil, Chine, Inde et Mexique totalisent 1299 filiales : c’est moins que le cumul de celles situées dans les territoires les plus opaques (plus de 75%) du globe (1386 entités).

5. Quels sont les secteurs les plus concernés ?

Les secteurs banques et assurances restent de loin les premiers clients des paradis fiscaux : les principaux groupes européens du secteur y détiennent, en moyenne, respectivement 35% et 36% de leurs filiales étrangères (contre 22% par exemple dans l’automobile ou l’énergie). Parmi les banques, la britannique Lloyds (59% de ses filiales étrangères situées dans des paradis fiscaux) et l’allemande Deutsche Bank (57%) caracolent en tête de la compétition. En France, BNP Paribas reste de loin l’entreprise la plus implantée dans les paradis fiscaux (214 filiales) – il est vrai que le rachat de Fortis, et BGL dont les fiefs sont la Belgique et le Luxembourg, plombent un peu son bilan de ce point de vue. Avec 18% de leurs filiales étrangères offshore, BPCE et Banco Santander suggèrent qu’il est possible d’en faire moins [[Rappelons, pour la France, que le Crédit Coopératif ne possède en Belgique qu’une filiale commerciale, et que la NEF ou la Banque postale sont tout simplement absents des paradis.]]. Les banques sont aussi particulièrement friandes d’opacité : les douze banques de notre étude détiennent à elles seules la moitié des filiales que nous avons recensées dans les trous noirs de la finance mondiale (plus de 75% d’opacité), les deux tiers du fait des banques britanniques. Avec ses 137 filiales aux Îles Caïman et ses 39 filiales à Jersey, Barclays décroche la palme.
Au-delà des banques, chaque secteur a ses champions dans le recours aux paradis fiscaux : les britanniques Vodafone pour les télécommunications (48%), Tesco pour la distribution (49%), la française CNP pour l’assurance (54%), les allemandes BMW pour l’automobile (35%) et RWE pour l’énergie (34%).

6. La nationalité des entreprises joue-t-elle un rôle ?

Difficile à dire : les grandes entreprises ont tendance à adopter des pratiques comparables à leurs concurrentes. Reste que, dans notre étude, les entreprises allemandes et anglaises tiennent indubitablement le haut du pavé quand il s’agit d’examiner la présence dans les pays appelés, caricaturalement, « à palmiers ».
Les 13 firmes allemandes de notre étude détiennent près de 45% des filiales que nous avons dénombrées dans les paradis fiscaux ! Avec 761 filiales dans les paradis fiscaux, Deutsche Bank est, de loin, championne d’Allemagne (l’assureur Allianz en détient 293), mais aussi d’Europe, devant la Barclays (340 filiales, soit moitié moins) et RBS (320). Si l’on se concentre sur la part des filiales étrangères détenues dans les paradis fiscaux, alors les entreprises britanniques sont largement en tête (41% en moyenne, contre 16% par exemple pour les espagnoles).
Les paramètres géographique et linguistique ont leur importance dans la localisation des filiales. Après le Delaware (qui attire aussi les suisses), les entreprises allemandes affectionnent ainsi les Pays-Bas, l’Autriche et le Luxembourg. On retrouve les françaises surtout aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg, en Irlande et en Suisse, et les anglaises en Irlande, aux Îles Caïman, aux Pays-Bas et à Jersey.

7. La présence dans les paradis fiscaux a-t-elle reculé depuis 2009 ?

Non, au contraire. C’est ce que nous avons constaté en comparant les chiffres que nous avions trouvés pour l’année 2009 [[Jean Merckaert & Cécile Nelh, « L’Économie déboussolée : multinationales, paradis fiscaux et captation de la richesse », Rapport du CCFD-Terre Solidaire, décembre 2010.]] à ceux de 2012.
En avril 2009, le G20 décrétait la guerre aux paradis fiscaux. Manifestement, les multinationales européennes n’en ont cure : le nombre de filiales offshore dont elles révèlent l’existence ne cesse d’augmenter (+ 16 % entre 2009 et 2012), même si la progression est moindre que celle du nombre total de filiales (+ 33%). Si l’usage des paradis fiscaux ne recule pas, il serait toutefois hâtif de voir ici l’indicateur de son intensification. Car cette tendance résulte avant tout du léger surcroît de transparence auquel certains groupes allemands et britanniques ont consenti – notamment sous la pression de l’opinion et d’ONG persévérantes comme ActionAid outre-manche – à l’heure de publier la liste de leurs filiales. En 2010, Lloyds listait 8 filiales dans son rapport annuel ; en 2013, la liste déposée au registre du commerce en compte 1369.

Mathématiquement, la proportion des filiales offshore rapportées au nombre total de filiales diminue (de 21% en 2009 à 18,3% en 2012). Pour une dizaine d’entreprises, le ratio diminue même sensiblement (de plus de 5 points) : c’est le cas [[Pour les groupes dont les données sont comparables.]] des banques Barclays, Deutsche Bank, Dexia et UBS, des énergéticiens RWE et E.ON, ou encore de Deutsche Telekom, BASF et Munich Re. La française BNP Paribas semble avoir sensiblement réduit son nombre d’implantations dans les paradis fiscaux (214 en 2012, contre 347 en 2009 et 360 en 2011 [[Cf. L’Economie déboussolée, Op. Cit., 2010 ; « Banques et paradis fiscaux », Op.cit, 2012.]]), au point que ses chiffres surprennent : aurait-elle vendu ou fermé 146 filiales dans les paradis fiscaux entre 2011 et 2012 [[À l’échelle mondiale, elle affiche un périmètre d’activité qui aurait, la même année, diminué de 539 filiales !]] ? Pourquoi son site de promotion institutionnelle mentionne-t-il l’existence d’une filiale sur l’Ile de Man, qui ne figure pas dans le périmètre de consolidation [[Cf. http://sitesetmarques.bnpparibas.com/fr. Inversement, les comptes financiers consolidés du groupe montrent la présence de filiales aux îles Caïman, aux Bermudes et à Guernesey, que l’on ne retrouve pas dans la rubrique « localisation » du site…]] ? A contrario, le pourcentage de filiales dans les paradis fiscaux augmente fortement pour les italiennes Eni et Unicredit, ainsi que pour la finlandaise Nokia.
Parmi les paradis fiscaux significatifs, ce sont les îles Vierges britanniques (BVI) et les Bermudes (+80% de filiales entre 2009 et 2012) qui ont tiré le plus grand bénéfice de la multiplication des filiales, suivies des îles anglo-normandes (Guernesey, Jersey et l’Île de Man enregistrent entre 45 et 55% de filiales supplémentaires), de Singapour (+45%), de l’Irlande et du Luxembourg (+40%). A une moindre échelle, le Bahreïn, Brunei, la Dominique et le Liban ont vu s’accroître à grande vitesse le nombre d’entités aux mains des géants européens sur leur territoire. Dans le clan des perdants, on retrouve surtout [[Outre Israël (-67%), où la baisse s’explique avant tout par la vente de 51 filiales que Generali y détenait.]] des territoires caribéens : Bahamas (-40%), Îles Caïman (-20%), Barbade et Panama.

8. Combien pratiquent le reporting pays par pays ?

Aucun. Si l’on retient l’activité, le chiffre d’affaires, l’effectif, les bénéfices, les subventions et les impôts comme périmètre minimal d’informations nécessaires, pays par pays, ou filiale par filiale, alors aucun grand groupe européen ne joue vraiment le jeu de la transparence.
Certaines font pire que les autres : 29 parmi les 50 plus grosses entreprises ne décrivent même pas d’un mot l’activité de leurs filiales dans leur rapport annuel !

En revanche, certaines font mieux que les autres. Quatre entreprises [[Trois italiennes – Enel, Exor, Generali – ainsi que Telefonica (Espagne).]] expliquent le lien capitalistique qui lie la filiale aux autres entités du groupe et trois banques britanniques donnent le rang des filiales [[HSBC, Lloyds, RBS. Une filiale détenue par une filiale est dite de deuxième rang.]]. La moitié des groupes (français et allemands notamment) publient le capital de chaque entité. Plus significatif : les entreprises allemandes ont l’obligation légale de fournir le résultat de chacune de leurs filiales. Et trois d’entre elles (Deutsche Post, Deutsche Telekom, Metro) le font effectivement, de même que la banque espagnole Banco Santander. Mais la loi allemande prévoit des régimes d’exception suffisamment larges [[La loi allemande prévoit des exemptions à l’obligation de publication dans les cas où la filiale n’est pas jugée très importante (critère de matérialité), où la publication entrainerait un désavantage significatif pour la filiale ou l’entité associée, ou encore quand l’intérêt ou la sécurité de l’Allemagne est menacé.]] pour que, par exemple, Volkswagen puisse « oublier » de fournir l’information pour ses filiales à Panama et aux îles Caïman et pour qu’Allianz, BASF, BMW, E.ON, Munich Re et Siemens s’exonèrent totalement de cette contrainte. Deutsche Bank, elle, donne l’information pour le sixième environ de ses presque 2000 filiales – quasiment rien n’est dit, par exemple de celles du Delaware.
Les entreprises françaises fournissent un peu plus d’informations que les autres (valeur comptable des titres, capitaux propres hors capital, dividendes) et notamment le chiffre d’affaires et le résultat pour certaines de leurs filiales. Mais l’information est souvent très parcellaire : EDF ne donne le résultat que pour 11 filiales, France Télécom et Peugeot pour 13 d’entre elles, GDF pour 17, BPCE pour 19, Carrefour ne fournit aucun renseignement chiffré pour ses filiales étrangères… Parmi les professionnels de la finance, Axa, CNP Assurance, Crédit agricole, Société générale et BNP Paribas fournissent certes bénéfice et (à l’exception de BNP Paribas) chiffre d’affaires, mais uniquement pour les filiales « dont la valeur d’inventaire excède 1% du capital » du groupe. Aussi ces listes sont-elles cantonnées pour l’essentiel à la France. CNP, curieusement, a laissé en blanc le chiffre d’affaires et le résultat de ses filiales à Guernesey et de certaines à Londres et au Luxembourg.
Enfin, la norvégienne Statoil se distingue car elle fournit, pays par pays, le nombre d’employés et les profits. Seul bémol – et il est de taille, elle ne fournit cette information que pour 16 pays parmi les 36 où elle est implantée.

9. Qu’aurait changé la transparence ?

Difficile d’affirmer, à partir de cette seule étude, ce que révèlerait la transparence pays par pays, tant l’opacité domine encore. Mais les informations disponibles, bien que très parcellaires, livrent déjà quelques enseignements. Ou plutôt, elles soulèvent quelques interrogations. L’on constate, ainsi, que les filiales londoniennes de la Deutsche Bank sont particulièrement lucratives, et que 18% du profit du groupe est réalisé dans 4 filiales du Luxembourg. À la Société générale, on notera que la banque d’investissement est particulièrement rentable : la filiale de Hong-Kong a dégagé en 2012 un profit de 300 millions d’euros pour 530 millions de chiffre d’affaires, celle de Londres a même généré un profit (37 millions d’euros) supérieur au chiffre d’affaires (34 millions). Chez Axa, on s’aperçoit que 30% du chiffre d’affaires total est réalisé par la filiale suisse Axa Versischerugen AG et que, dans certaines filiales hébergées à Londres, au Luxembourg, en Belgique et aux Pays-Bas (mais aussi chez Axa France Assurance, à Paris), le bénéfice représente plus de 85% du chiffre d’affaires qui y est déclaré.
Mais le principal enseignement de cette étude est simple : l’information est disponible… quand l’entreprise le veut ! L’argument du coût que représenterait la publication de ces informations ne tient pas : les dirigeants disposent bien évidemment, pour le pilotage des groupes, d’informations aussi basiques que les effectifs, le chiffre d’affaires ou le bénéfice !

Que fait Total aux Bermudes ?
Total n’en dit rien dans son rapport annuel. Mais le géant pétrolier français, qui annonce 11 milliards d’euros de profit en 2012, dispose au moins, aux Bermudes, d’une filiale du nom de Total International Ltd [[Des médias africains ont rapporté qu’une entité du même nom aurait une implantation à Genève, en Suisse (http://fr.allafrica.com/stories/201009131319.html ; http://www.djibitv.com/photo/5600/Accord+de+partenariat+entre+Gestoci+et+Total+international+limited).]]. Quel est son rôle ? A défaut d’avoir trouvé une explication publique de Total, on le devine au gré des controverses qui l’entourent : elle jouerait un rôle pivot dans l’achat et la revente de pétrole [[http://panjiva.com/Total-International-Ltd/2165077]]. Cette filiale a été exposée à l’occasion de la catastrophe de l’Erika : c’est elle qui avait affrété le navire pétrolier qui s’est échoué près des côtes françaises [[Communiqué de la Cour de justice des communautés européennes, 24 juin 2008, http://curia.europa.eu/fr/actu/communiques/cp08/aff/cp080039fr.pdf. Voir aussi le jugement de la Cour d’appel de Rennes, le 13 février 2002 : http://www.rajf.org/spip.php?article489. ]]. En Belgique, c’est un accord avec les services fiscaux qui a ému la presse en 2011, car il entérine l’achat par l’ancienne Petrofina de son pétrole brut, pour sa raffinerie d’Anvers, à Total International Ltd. La Libre Belgique, reprenant le journal flamand Knack [[http://www.knack.be/nieuws/belgie/dankzij-fiscus-hoeft-total-belgie-geen-belastingen-te-betalen/article-1194961299605.htm]], s’interroge sur cette filiale qui « n’a ni personnel ni matériel » [[http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/645991/transferts-de-total-vers-un-paradis-fiscal-approuve.html]]. Difficile de confirmer ou d’infirmer pareille information, quand Total ne publie même pas la liste de ses filiales !

Le petit plus de Saint-Gobain
Saint-Gobain, qui n’appartient plus au cercle des 50 plus grands groupes européens en 2013 (il en faisait partie en 2010), reste l’une des entreprises qui donnent le plus d’informations : pour la plupart de ses filiales, on trouve le nombre d’employés et le chiffre d’affaires réalisé. Un rapide calcul permet de repérer que rapporté au nombre de salariés, c’est en Suisse que le chiffre d’affaires affiché est le plus grand (le salarié suisse serait 2,5 fois plus rentable que la moyenne des employés de Saint-Gobain). Mais l’exercice a ses limites : le leader mondial des métiers de l’habitat omet de donner des chiffres pour certaines de ses filiales, en particulier ses holdings et sociétés financières en Suisse, aux Pays-Bas et aux États-Unis.


Exotisme
Certains groupes cherchent à se distinguer en s’isolant sur des îles ou enclaves où personne d’autre ne va : Deutsche Post est ainsi la seule présente à Antigua et Barbuda, à Aruba et au Bélize. Elle se partage Sainte Lucie avec Shell. Le pétrolier espagnol Repsol détient la seule filiale de notre étude en Andorre. BPCE aussi affectionne les destinations insolites : elle est la seule à Vanuatu ! Tous boudent les îles Vierges américaines, hormis Deutsche Bank. L’examen attentif révèle aussi des destinations qui ne figurent pas sur la liste des paradis fiscaux établie par TJN. L’extravagante Deutsche Post possède ainsi deux filiales aux Iles Fidji, tandis que Banco Santander détient 19 filiales à Porto Rico . Les Iles Canaries, quant à elles, attirent le réassureur allemand Munich Re, qui y a localisé 18 filiales, et l’énergéticien italien Enel (17 filiales). Les avantages fiscaux offerts par l’île y sont-ils tout à fait étrangers ? Non seulement les sociétés admises en zone spéciale des Iles Canaries bénéficient d’un taux d’imposition de 4%, mais elles peuvent aussi prétendre à un abattement fiscal pour les investissements productifs et autres exonérations en matière de droits de mutation et droits de timbre.

Mathilde Dupré et Jean Merckaert, « Aux paradis des impôts perdus. Enquête sur l’opacité fiscale des 50 premières entreprises européennes », Rapport du CCFD-Terre Solidaire en partenariat avec Revue-Projet.com

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