Non, l’arrêt des exportations de pesticides interdits par l’UE ne signe pas l’arrêt de mort de l’économie européenne des pesticides

Publié le 18.04.2024| Mis à jour le 22.04.2024

Au lendemain de la Journée internationale des luttes paysannes, une coalition d’organisations de la société civile publie un rapport pour dénoncer une contradiction européenne : la possibilité de produire dans l’UE des pesticides pourtant interdits d’usage en UE pour ensuite les exporter dans les pays tiers. La fin de ces exportations aurait un impact fort et positif sur la santé des populations et l’environnement dans les pays importateurs. Et contrairement à ce qu’affirme le lobby des pesticides, l’interdiction des exportations n’aurait qu’un impact très négligeable sur l’emploi dans l’industrie européenne de l’agrochimie. Sur la base de ces conclusions, la coalition d’organisations de la société civile exhorte les responsables politiques de l’UE à agir sans plus attendre. 

« Ce deux poids deux mesures de l’UE n’a aucun sens : il ne bénéfice ni à la santé humaine des européen·ne·s et des pays tiers, ni à l’environnement. Les seuls bénéficiaires de cette législation sont les entreprises agrochimiques. Une mesure d’interdiction partielle a été adoptée en France, une autre plus complète en Belgique, peut-être bientôt en Allemagne, mais il faut une législation européenne pour plus de cohérence : l’UE doit s’engager pour une sortie de la dépendance aux pesticides. Avec la catastrophe écologique déjà en cours, il n’est plus possible de commercer impunément des produits aussi toxiques »

Jonas Jaccard, chargé de plaidoyer chez Humundi, chargé de la coalition belge stop-pesticides contre l’exportation de pesticides interdits

Pour des raisons liées à la protection de la santé des citoyen·ne·s européen·ne·s et la protection de l’environnement, l’UE a interdit l’utilisation de certains pesticides. Pourtant, les entreprises européennes peuvent continuer à les produire et à les exporter vers des pays tiers. Cette situation ubuesque dégrade sévèrement la santé des citoyen·ne·s et de l’environnement dans les pays tiers. Les premières victimes en sont les communautés rurales des pays à revenus faibles et intermédiaires, où ces ventes de pesticides sont autorisées par des réglementations plus laxistes. Finalement, ce double standard dont bénéficient les entreprises européennes est d’une actualité criante avec les manifestations qui agitent le monde agricole, car il représente une forme de concurrence déloyale pour les agriculteur·ice·s de l’UE. 

Au début du mandat de la Commission von der Leyen, cette dernière s’est montrée prompte à réagir en s’engageant à interdire de telles exportations. C’était en 2020. Une consultation avait même été lancée pendant l’été 2023. Depuis, sous la pression du lobby des pesticides, l’UE a tergiversé et cette interdiction n’a pas vu le jour. L’industrie met en avant des arguments économiques, notamment une perte massive d’emploi dans l’UE, sans se soucier des effets bénéfiques sur la santé humaine et l’environnement dans les pays tiers. 

Les profits de ces entreprises doivent-ils primer sur la santé des paysans, des communautés rurales et des consommateurs dans les pays tiers, sur leurs écosystèmes et leurs ressources naturelles ? Bien sûr que non. Pourtant, c’est sur cet argument fragile que l’UE se repose pour maintenir ces exports toxiques, bien qu’elle se soit engagée en 2020 à les interdire. Comble de l’incohérence, les aliments produits avec ces pesticides interdits sont ensuite exportés vers l’Europe, jusque dans les assiettes des consommateurs : un effet boomerang empoisonné.

Lorine Azoulai, chargée de plaidoyer souveraineté alimentaire au CCFD-Terre Solidaire

Un coût économique dérisoire 

Cependant, l’analyse des données économiques liées aux exportations de pesticides interdits présentée dans ce rapport donne une toute autre version des faits. « Sur la base des données relatives aux exportations de pesticides des sept principaux pays exportateurs européens, nous avons calculé que le nombre total d’emplois potentiellement menacés par une hypothétique interdiction des exportations de l’UE ne serait que de 173 emplois en 2022 » indique Christophe Alliot, du bureau d’étude Le Basic, principal auteur du rapport.  

L’expérience française de l’interdiction partielle des exportations des pesticides prohibés est un cas d’école des mensonges de l’industrie (1). En extrapolant à partir de ce précédent , les chercheurs concluent que la perte potentielle totale d’emplois représenterait 25 emplois en 2022 pour l’ensemble de l’UE. En effet, de nombreux emplois concernés peuvent également être affectés à d’autres postes au sein des entreprises, ce qui pourrait in fine conduire à des pertes nulles. On est finalement bien loin des cris d’orfraie de l’industrie et des « pertes massives » annoncées. 

Des impacts positifs incontestables pour les pays tiers 

Si l’impact négatif sur l’économie de l’UE est minime, l’impact positif sur les pays tiers est, lui, considérable. L’UE reste à ce jour le premier exportateur mondial de pesticides. Par conséquent, des règles plus strictes en matière d’exportation de pesticides auront des effets positifs sur la pollution chimique au niveau mondial. L’arrêt des exportations de pesticides interdits par l’UE réduirait l’exposition et tous les risques afférents pour la santé des travailleur·euse·s agricoles, des populations locales et de l’environnement. 

Des effets manifestes sur l’alimentation des européen·ne·s 

Non seulement ces pesticides dangereux nuisent gravement aux populations et aux écosystèmes en dehors de l’UE, mais ils finissent également en Europe sous forme de résidus dans les importations de denrées alimentaires.  

Pour Stéphanie Kpenou, chargée de plaidoyer à l’Institut Veblen, « ces exportations de pesticides interdits renforcent la probabilité d’importer par effet boomerang des produits contenant des résidus de ces pesticides sur le marché européen. L’UE doit faire preuve de cohérence dans son action. Et assurer une transition globale implique à la fois de mettre fin aux exportations toxiques de l’UE mais aussi à l’importation en UE de produits traités avec des pesticides interdits par la réglementation européenne »

 

Contact presse : 

  • Stéphanie Kpenou – Institut Veblen (FR) – +33.7.86.43.92.99 – kpenou@veblen-institute.org  
  • Jonas Jaccard – Humundi (BE) – +32 495/27.56.96 – jja@humundi.org
  • Noémie Marshall – CCFD-Terre Solidaire – 07 64 47 28 85 – n.marshall@ccfd-terresolidaire.org

 

(1) Le gouvernement français a adopté en 2018 une loi interdisant l’exportation de pesticides interdits, qui est entrée en vigueur en janvier 2022. À noter que l’interdiction s’applique finalement aux produits phytopharmaceutiques « contenant » des substances non autorisées en Europe, mais pas aux substances actives elles-mêmes. En 2018 et 2019, le lobby des produits phytopharmaceutiques Phytéis a fait pression sur plusieurs membres du Parlement français en faisant valoir que l’interdiction des pesticides mettait en péril 2 700 emplois directs et 1 000 emplois indirects dans leurs circonscriptions pour lever cette interdiction. Des recherches menées par une journaliste d’investigation ont montré que le chiffre de 2 700 emplois directs était infondé et gonflé. Cela a conduit à une alerte des ONG et à une saisine officielle des organes de déontologie du Sénat et de l’Assemblée nationale et de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Le gonflement des chiffres du chômage a finalement conduit à l’imposition de sanctions à l’égard de Phytéis par le Parlement en mai et juin 2023 au motif qu’elle n’a pas respecté ses obligations déontologiques, notamment en fournissant des informations délibérément inexactes dans le but d’induire les parlementaires en erreur. La HATVP, qui a examiné les activités de lobbying de Phytéis auprès du gouvernement, a estimé que les courriers avaient été rédigés « plus prudemment » que ceux adressés aux parlementaires sur lesquels se sont fondées les décisions de l’Assemblée nationale et du Sénat. 

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