Pérou, des multinationales chinoises à l’assaut des Andes

Publié le 08.01.2013

Alors que le gouvernement péruvien ne jure que par l’exploitation minière, sans tenir compte de l’impact environnemental et social, l’implantation des multinationales chinoises menace de détériorer les conditions de travail déjà peu reluisantes dans ce pays andin.


L’homme, engoncé dans l’anorak qui le protège du froid mordant, indique d’un coup de menton le sommet enneigé qui domine la ville : « Le mont Toromocho, lance-t-il, quand les Chinois auront pris tout le cuivre, il n’en restera plus grand-chose… » Situé au cœur des Andes péruviennes, dans le département de Junin, le mont Toromocho (4 600 mètres d’altitude) recèle quelque 2 milliards de tonnes de minerais de cuivre, convoitées par la compagnie minière Chinalco (Chinese Aluminium Corporation). En 2007, celle-ci a racheté la Canadian Mining Compagny Peru Cooper et présenté un projet prévoyant de gros investissements et… le déplacement des cinq mille habitants de la petite ville de Morococha. Sols rongés, noircis par les émanations acides, air, lacs et cours d’eau contaminés, Morococha est située dans une région de longue tradition minière, à une vingtaine de kilomètres de La Oroya, qui a la triste réputation d’être la ville la plus polluée du monde.
À Morococha, les concessions des différentes compagnies couvrent 97,7 % du territoire de la municipalité. « Ça ne laisse pas grand-chose pour nos maisons », ironise le maire, Martial Salomé Ponce. « Mais la population vit de la mine, poursuit-il, et, lors d’une première consultation, nous ne nous sommes pas opposés à l’idée d’un transfert de la ville. » D’autant que Chinalco, entreprise d’État, se veut un fleuron de l’empire du Milieu. « La stratégie des entreprises chinoises, analyse José de Echave, directeur de l’ONG CoopérAction (voir page 20), partenaire du CCFD-Terre Solidaire est déterminée en amont par les choix économico-politiques du gouvernement chinois qui les soutient. Cela leur permet de mettre en œuvre des projets à long terme, sans être soumises à la pression d’actionnaires privés réclamant une rentabilité immédiate de leurs investissements. »


Un marché de dupe

À Morococha, les Chinois promettent de construire une agglomération équipée de tous les services – eau, écoles, hôpital – et de créer de nombreux emplois. Mais les choses ne tardent pas à se gâter. Les maisons modèles exposées par Chinalco sont jugées trop petites et les indemnisations insuffisantes, les premiers emplois créés sont attribués à des travailleurs venus d’autres provinces et même du Chili. Et l’emplacement choisi pour la construction de la nouvelle ville – une zone inondable située en aval du barrage où seront stockés les déchets de l’exploitation minière – pose problème… Chinalco choisit la confrontation et attise les divisions au sein de la population. « Aucun représentant chinois n’est venu discuter avec les habitants », se plaint Doña Marta Curacachi, présidente de l’Association des femmes de Morococha, qui affirme avoir reçu des menaces de mort sur son portable.
Pour essayer d’en savoir un peu plus sur ce qui les attend, les habitants de Morococha ont invité une délégation de syndicalistes et représentants de la municipalité de San Juan Marcona à venir échanger sur leur propre expérience. Depuis 1992, en effet, la multinationale chinoise Shougang Hierro Peru y exploite des gisements de fer, à quelque cinq cents kilomètres au sud de Lima. « Les Chinois s’engageaient à de gros investissements pour moderniser l’entreprise, explique Julio Ortiz, secrétaire du syndicat des mineurs de Marcona, et leur arrivée avait généré de grandes espérances parmi les ouvriers… Nous n’avons pas tardé à déchanter ! » Certes, à la différence de ce qui se passe dans nombre de pays africains, les Péruviens n’ont pas vu débarquer des contingents de travailleurs chinois, mais les investissements promis sont arrivés au compte-gouttes. Et les conditions de travail désastreuses et des équipements souvent obsolètes sont à l’origine d’un nombre anormalement élevé de graves accidents du travail. Des milliers de mineurs ont été licenciés et une partie réembauchée par des sociétés prestataires de main-d’œuvre – aujourd’hui, sur les quelque deux mille salariés de Shougang, moins de la moitié sont directement salariés par l’entreprise.

Un bras de fer permanent entre direction et syndicat

« Quant aux rapports entre direction et syndicat, déplore Julio Ortiz, c’est un bras de fer permanent. Nos salaires restent inférieurs à ceux des autres compagnies minières ». Les relations avec la municipalité ne sont pas meilleures : « Les licenciements ont provoqué une hémorragie et la ville a perdu près de la moitié de sa population, le parc de logements appartenant à l’entreprise n’a jamais été rénové, les rejets polluants affectent gravement l’environnement marin et les conditions de vie des pêcheurs, énumère Rodolfo Purizaca Paiba, adjoint au maire. San Juan Marcona devient une enclave chinoise ! » De fait, la multinationale Shougang refuse de rétrocéder à la municipalité la gestion de l’eau et, si ses cadres sont approvisionnés 24 heures sur 24, la population, elle, n’a accès à l’eau que quelques heures par jour. « Shougang s’oppose à tout ce qui pourrait remettre en cause son hégémonie sur le territoire de la commune, continue Rodolfo Puricaza, qu’il s’agisse de la construction d’un important terminal portuaire, de l’implantation d’une entreprise pétrochimique ou de projets d’aménagement urbain. » Ainsi, en septembre dernier, la compagnie a opposé son veto au démarrage des travaux de construction d’un nouveau quartier. Le maire et ses administrés se sont retrouvés face aux vigiles de l’entreprise, épaulés par une centaine de policiers et la situation a dégénéré en affrontements violents. Le projet avait pourtant été approuvé par décret d’État, mais…
Mais depuis une dizaine d’années, la croissance chinoise absorbe le tiers du fer, du cuivre et du charbon produit dans le monde. Cette boulimie contribue à faire monter en flèche les cours des matières premières… et dope l’économie péruvienne dont le sous-sol regorge de ressources minières. « Ni le gouvernement central ni les autorités régionales, écrit l’économiste Cynthia Sanborn, ne conçoivent leur rôle comme arbitre entre deux parties ; ils sont des défenseurs acharnés du projet minier. » Y compris là où la population s’y oppose massivement.
« Oui à l’agriculture ! Non à la mine ! » Récemment élu maire de Huancabamaba, Ramiro Ibañez a basé sa campagne sur ce mot d’ordre et remporté les élections grâce à l’appui des communautés rurales. Il faut dire qu’au nord du pays, dans ces « Andes vertes » de tradition agricole, attachées à leurs cours d’eau et leurs lacs, l’opposition à l’industrie minière est antérieure à l’arrivée des Chinois. Ainsi, à Huancabamaba, le projet d’exploitation des gisements de cuivre par la compagnie britannique Monterrico Metal a-t-il provoqué une levée de boucliers dont la répression exercée par l’État et les vigiles de l’entreprise n’a pu venir à bout. Paradoxalement, en 2007, cette situation conflictuelle a permis au consortium chinois Zijin d’acquérir Monterico Metals à un prix d’autant plus bas qu’il n’y avait pas d’offre concurrente. « Or, Zijin arrivait précédé d’une réputation exécrable* explique Benito Guarnizo Garcia, président de la communauté de Secunda y Cajas. Aussi, lors d’un référendum populaire, le 16 septembre 2007, les communautés de Huancabamba se sont prononcées à 97,7 % contre la mise en œuvre du projet minier. Hélas, nous n’avons pas été entendus et, le 2 décembre 2009, la police a ouvert le feu sur les paysans de Secunda y Cajas, faisant deux morts et plusieurs blessés. »
De tels faits auraient-ils pu se produire avec une compagnie minière occidentale ? « Sans doute, convient José de Echave. Un leader communautaire avait d’ailleurs été assassiné et des paysans détenus et torturés par les sbires de la compagnie britannique Monterrico Metals. Mais, à l’époque, notre mobilisation avait trouvé un écho dans le pays d’origine de l’entreprise, dont les actionnaires avaient été interpellés par la justice britannique… Il est beaucoup plus difficile aujourd’hui d’envisager un recours devant un tribunal chinois. »

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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