© Roberta Valerio

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Tunisie : un texte européen menace les droits des migrants

Publié le 22.09.2023

Prise en étau entre les crises du continent africain qui accroissent l’émigration et la fermeture de l’espace européen, la Tunisie, financièrement dépendante, endosse le rôle de poste-frontière avancé de l’Europe, dans un contexte de xénophobie croissante.

Depuis début juillet, la situation des migrants en Tunisie a pris un tour tragique. En février dernier, un communiqué de la présidence de la République qualifiait la présence de Subsahariens en Tunisie d’entreprise « dont l’objectif inavoué est de transformer la composition démographique de la Tunisie ». Chauffés à blanc par une campagne de haine raciste sur les réseaux sociaux lancée depuis plusieurs mois, des groupes de citoyens s’étaient constitués pour agresser et dévaliser les Subsahariens, pendant près de deux semaines, alors que la police procédait à des contrôles et des arrestations. Ce climat de terreur a provoqué un afflux vers Sfax, ville côtière au sud de Tunis et point de départ vers l’île italienne de Lampedusa.

Cet afflux de milliers de candidats au départ et les activités liées au trafic de la traversée illégale ont exacerbé les tensions avec la population locale. La mort d’un Tunisien dans une rixe avec des Camerounais, le 3 juillet, a déclenché une vague de violences racistes. Dans les jours qui ont suivi, les forces de l’ordre tunisiennes ont exfiltré les migrants subsahariens, mais plusieurs centaines – voire peut-être davantage – ont été transférés aux frontières algérienne et libyenne, dans des zones désertiques, livrés à eux-mêmes, sans eau ni nourriture.

Le profil des migrants a beaucoup changé : ce sont des gens diplômés, des femmes, voire des familles entières. […] L’autre nouveauté, c’est le départ en masse des Subsahariens.

Romdhane Ben Amor, chargé de la migration au FTDES

Ces personnes se sont trouvées prises en étau, refoulées par les autorités algériennes et libyennes d’un côté et empêchées de retourner en Tunisie de l’autre. Quelque six cents d’entre elles ont été finalement rapatriées par le Croissant rouge en Tunisie devant l’émotion suscitée par leurs appels à l’aide. Tandis que d’autres n’avaient d’autre choix que de s’enfoncer dans le désert pour tenter d’entrer en Algérie ou en Libye. Au péril de leur vie. Des dizaines de corps ont été retrouvés. Selon l’Organisation mondiale contre la torture, parmi les migrants expulsés se trouvaient des personnes en situation régulière.

Dans le même temps, le nombre de départs par la mer depuis les côtes tunisiennes atteint des proportions sans précédent. Début juillet, près de 35 000 personnes sont arrivées par la mer en Italie, selon le ministère de l’Intérieur italien, contre 6 371 à la même période l’an dernier, et 32 000 arrivées pour toute l’année 2022. Le rythme s’est accéléré depuis.

Risque de chaos

« Les Tunisiens ne croient plus en l’avenir du pays », analyse Romdhane Ben Amor, chargé de la migration au Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES, partenaire du CCFD-Terre Solidaire). « Le profil des migrants a beaucoup changé : ce sont des gens diplômés, des femmes, voire des familles entières. Un quart des migrants sont désormais des mineurs. L’autre nouveauté, c’est le départ en masse des Subsahariens. » Sous la pression du gouvernement italien de Georgia Meloni, l’Union européenne a conclu le 16 juillet, avec la Tunisie, un mémorandum d’entente visant à « traiter la crise migratoire de façon intégrée ». ­L’Europe, alarmée par le risque d’un chaos en Tunisie qui amplifierait la vague migratoire, s’engage à verser 675 millions d’euros d’aide – conditionnée à la conclusion d’un accord avec le FMI que, pour le moment, le chef de l’État tunisien refuse d’endosser –, dont 150 millions d’aide budgétaire et 105 millions pour le renforcement du contrôle aux frontières.

En contrepartie, la Tunisie s’engage dans une coopération étroite dans la lutte contre l’émigration clandestine. « Conclure un mémorandum plutôt qu’un accord international permet de contourner les contrôles par les pouvoirs législatifs », relève Romdhane Ben Amor. Sur le fond, poursuit-il, « ce texte menace les droits des migrants en situation non réglementaire dans l’espace Schengen puisqu’il prévoit de faciliter les expulsions des Tunisiens. Il menace également les droits des migrants en Tunisie puisque l’Union européenne promet d’accroître les moyens tunisiens pour les identifier et les rapatrier dans leur pays d’origine ». Enfin, ajoute le chargé de la migration au FTDES, « l’Union européenne va encore renforcer les capacités tunisiennes d’interception en mer. Indirectement, cette politique revient à créer des “ hot spots ”, des centres où les migrants seront détenus dans l’attente de leur expulsion ».

Thierry Brésillon

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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