La France et le commerce des armes : Entre réglementations et opacité

Publié le 10.09.2012| Mis à jour le 08.12.2021

Apparemment très favorable au Traité international sur le commerce des armes (TCA), la France s’avère pourtant très opaque dans ses pratiques au niveau national, avec l’accord tacite des parlementaires qui ne jouent pas leur rôle de contre-pouvoir sur cette question.


« La France a été parmi les États qui ont promu, dès le milieu de la décennie précédente, l’idée d’un traité », aime-t-on à souligner au ministère des Affaires étrangères et européennes (Maee), qui souligne la nécessité d’un « instrument à l’échelle mondiale ». Et le Maee de rappeler que, dans notre pays, « toute exportation d’armes est interdite » depuis le décret-loi du 18 avril 1939, qui stipule qu’elles peuvent néanmoins être effectuées, sous réserve d’un « agrément préalable donné dans des conditions fixées par arrêté interministériel ». Des dérogations qui permettent à la France d’être aujourd’hui le quatrième exportateur d’armes au monde !

Un paradoxe que le Maee justifie par les contraintes très strictes auxquelles sont soumis les industriels français de l’armement. « Nous avons probablement l’une des réglementations les plus contraignantes sur les ventes d’armes », confirme Dominique Lamoureux, directeur Éthique et responsabilité chez Thalès, l’un des grands groupes français du secteur. « Nous devons d’abord obtenir une autorisation au plus haut niveau pour engager des relations avec un client », explique-t-il. « Ensuite, il y a une deuxième étape pour l’autorisation d’exporter. Le tout s’inscrivant dans un cadre institutionnel européen contraignant qui fixe les règles pour savoir dans quels cas on peut autoriser une exportation ou non. » Ce qui ne l’empêche pas de se dire lui aussi « favorable » à « À la fois parce que cela peut contribuer à supprimer l’économie criminelle qui peut tourner autour de ce commerce », mais aussi, ajoute Dominique Lamoureux, « parce que cela fera évoluer auprès du grand public l’image réductrice et souvent caricaturale qui entoure les acteurs de ces ventes ».

Un pays exemplaire donc ? À première vue, seulement. Car certaines questions, et non des moindres, demeurent en suspens. « Même si la position de la France, c’est : “Prenez exemple sur moi qui suis un modèle de vertu”, on est quand même pas chez les parangons de la transparence », relativise Jean Guisnel, un journaliste qui suit cette question depuis maintenant une trentaine d’années[[Armes de corruption massive. Secrets et combines des marchands de canons, par Jean Guisnel. Éditions La Découverte, 2011. 22 euros.]]. « Pour ce qui est des ventes d’armes ou de technologies de souveraineté dans lesquelles l’État a son mot à dire, vous avez des grands mouvements de drapés politico-diplomatiques, mais aucun détail. Aucune transparence. Jamais. »

Un commerce qui prend souvent des chemins détournés

Un manque de transparence dénoncé avec vigueur par les associations. « Pour que ce traité soit efficace, explique Zobel Behalal, chargé de plaidoyer paix et résolution des conflits au CCFD-Terre Solidaire, il faudrait qu’il oblige les États à déclarer publiquement ce qu’ils ont vendu. » Ce qui est loin d’être le cas. Le chargé de plaidoyer en veut pour preuve le rapport sur les exportations un tel traité. d’armement de la France en 2010, présenté au Parlement français en… octobre 2011 qu’il juge « très imprécis » et « flou ». Décalé dans le temps, il ne précise pas, par exemple, quels types de matériels ont été livrés, ni à qui, et quels refus ont été signifiés.

Il faudra donc attendre fin 2012 pour savoir ce que la France a fait en 2011 avec la Tunisie, l’Égypte, la Syrie, la Libye… Et ce n’est que la partie immergée de l’iceberg. Car il arrive parfois que ces ventes prennent des chemins détournés. Comme ce fut le cas pour des armes livrées officiellement, avec des contrats en bonne et due forme, au Qatar et qui se retrouveront entre les mains des rebelles libyens lors de la guerre contre le régime de Kadhafi en 2011. Ce, alors que la France, signataire de la résolution 1973 adoptée par l’Onu, en mars de cette année-là, s’interdisait de vendre des armes aux opposants libyens.

Et les armes de guerre ne sont pas les seules concernées. « Il y a aussi la question des ventes de matériels de maintien de l’ordre, illustrée avec tellement de candeur par Mam [Michèle Alliot-Marie] sur la Tunisie »[[En pleine répression du mouvement citoyen en Tunisie, la ministre des Affaires étrangères déclare au Parlement français, en janvier 2011, que la France est prête à exporter le savoir-faire de ses forces de sécurité « pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité »]], rap-pelle Jean Guisnel. Les incohérences en la matière sont légion. Elles traduisent plus les intérêts géostratégiques de la France que sa réelle volonté de moraliser ce commerce.

Cette opacité ne perturbe pas outre mesure les députés. « Le silence coupable du Parlement, voire l’apparente soumission des parlementaires français aux positions du gouvernement et de l’industrie de l’armement est plus que troublante », affirmaient Oxfam France, le CCFD-Terre Solidaire et Amnesty France dans un communiqué diffusé le jour de la publication du rapport 2011. « Depuis le début de la législature, les députés français n’ont, par exemple, jamais jugé utile d’auditionner le ministre de la Défense à l’occasion de la publication de ce rapport annuel. » Une véritable « démission », aux yeux des ONG qui rappellent au passage que députés et sénateurs, de droite comme de gauche, se sont abstenus de voter certains amendements renforçant le contrôle parlementaire et l’obligation de transparence lors de la proposition de loi relative au Contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et matériels assimilés, adoptée en juin 2011.

Pour le journaliste Jean Guisnel, cette attitude s’inscrirait dans un consensus beaucoup plus large. « Les ventes d’armes sont une réalité qui est acceptée, et même soutenue par une grande partie de la population française. C’est-à-dire que les Français pensent que si les ventes d’armes peuvent faire tourner les usines et consolider des emplois, il ne faut pas hésiter à le faire. » On comprendra aisément pourquoi, dans ces conditions, les politiques contactés pour répondre à nos questions ont montré si peu d’empressement. Les uns jugeant nos questions « trop techniques » (sic !), les autres « oubliant » de nous rappeler avant de nous faire savoir que, finalement, « ils n’avaient pas le temps ».

Alors que la résolution annonçant la mise en place d’un Traité international sur le commerce des armes a été adoptée à une immense majorité des membres de l’Onu en 2009 (151 pays), le Zimbabwe, lui, a voté contre et une vingtaine d’autres pays se sont abstenus, dont la Russie, la Chine, l’Arabie saoudite ou l’Inde.

Une vingtaine de pays font de la résistance

Les réticences sont multiples. Elles portent notamment sur les mesures de respect des droits de l’homme ou du droit humanitaire international mais aussi sur des clauses prévoyant l’interdiction de tout transfert pouvant affecter le développement socioéconomique du pays importateur, qui ne sont soutenues que par une vingtaine d’États. « Cela est d’autant plus inquiétant, pour Zobel Behalal, que l’irresponsabilité dans le commerce des armes engendre des conséquences incalculables sur le développement économique et social des populations. Par exemple, depuis quelques années, l’Afrique du Sud paye annuellement 530 millions de dollars pour rembourser une dette liée à un contrat d’armement qui a déjà conduit à des condamnations pour corruption. Alors que 425 millions de dollars par an suffi raient à distribuer gratuitement l’eau dans tout le pays. »

La bataille qui s’annonce est donc loin d’être gagnée. Réponse en juillet.

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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