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En Birmanie, les violences contre les minorités ethniques continuent

Publié le 13.04.2017| Mis à jour le 08.12.2021

Après plus de 60 années de conflit armé avec ses minorités ethniques, la Birmanie s’est engagée dans un processus de paix. Il y a urgence, car dans certaines régions, les militaires birmans se rendent coupables d’atrocités et la situation vire au cauchemar.


Myitkyina, capitale de l’État Kachin, mi-décembre 2016. La ville se réveille peu à peu. Des gamins aux visages encore ensommeillés s’accrochent à leurs parents qui les conduisent à l’école, des rideaux de boutiques se lèvent, et sur le marché les affaires vont déjà bon train. Mais un bruit assourdissant vient soudain rompre l’ambiance matinale. Les yeux se lèvent. Dans le ciel, deux avions de chasse filent vers le nord-est.

« Ils partent bombarder les positions de la KIA [l’Armée pour l’indépendance kachin, ndlr], situées à un jet de pierre d’ici. C’est comme ça tous les jours », explique Daung Khar, officier de liaison de l’Organisation pour l’indépendance kachin, la KIO, bras civil et politique de la KIA.

« On pensait qu’avec la victoire d’Aung San Suu Kyi, les hostilités allaient cesser ou tout au moins diminuer, mais c’est encore pire que tout ce que nous avions connu jusqu’à présent. »

Artillerie lourde, tanks, hélicoptères de combat et MiG-29, armes chimiques, Tatmadaw, l’armée birmane, est en effet engagée, depuis la mi-août 2016, dans une énième offensive de grande ampleur pour réduire la résistance kachin.

« On pensait qu’avec la victoire d’Aung San Suu Kyi, les hostilités allaient cesser ou tout au moins diminuer, mais c’est encore pire que tout ce que nous avions connu jusqu’à présent » – Daung Khar, officier de liaison de l’Organisation pour l’indépendance kachin

Des militaires d’autant plus déterminés que les Kachins ont depuis été rejoints, au sein d’une Alliance du Nord par quatre autres mouvements ethniques des États Shan (voisin) et Arakan (à l’ouest), eux aussi en butte aux attaques de l’armée. Inadmissible pour le haut commandement birman.

Des populations prises entre deux feux

« Cela fait maintenant plus de cinq ans que cela dure [[ Dix-sept ans après le cessez-le feu de 1994, les combats reprenaient en juin 2011.]] et les villageois se retrouvent pris entre deux feux », déplore Ja, qui, pour Sha-It, ONG kachin partenaire du CCFD-Terre Solidaire, documente les violations des droits humains. Et dans les deux camps, la liste est longue. Il détaille :

« Exécutions extrajudiciaires, viols, recours aux boucliers humains et aux “détecteurs humains” de mines, travail forcé et torture du côté des troupes gouvernementales ; taxation illégale, abus ou recrutement forcé du côté kachin ».

Plus de 100 000 personnes, chiffre en constante augmentation, ont été obligées de quitter leur village depuis le début du conflit, en 2011, pour se réfugier dans la jungle ou des camps.

Tout cela alors que, ironie de l’Histoire, le gouvernement et les minorités ethniques sont engagés depuis plus de deux ans dans un processus de paix initié par le président Thein Sein.

En octobre 2015, huit groupes armés – le pays en compte une vingtaine – ont signé un accord de cessez-le-feu national qualifié d’« historique » aux termes duquel les différentes parties s’engageaient à promouvoir un « fédéralisme garantissant l’égalité des droits de chacun, quels que soient son ethnie, sa religion, sa culture ou son genre ».

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Un pas vers le fédéralisme ?

Une voie dans laquelle s’engagera à son tour la LND. À l’invitation d’Aung San Suu Kyi, plus de 1000 participants, membres du gouvernement, députés, partis politiques, militaires et représentants des minorités ethniques, se sont retrouvés le 31 août 2016 à Naypyidaw, la capitale, pour une « Conférence de Panglong du XXIe siècle » destinée à poser les bases de cette future fédération.

Une Birmanie « fédérée » ? La question n’est pas nouvelle. Comment en effet faire cohabiter une population composée de 135 ethnies différentes ? Dont une majorité, les Bamars, les « Birmans » [[Les « Birmans » représenteraient 60 % de la population totale.]], occupe les plaines centrales pendant que les autres groupes sont dispersés dans les montagnes qui forment comme un fer à cheval autour du pays. Le général Aung San, père d’Aung San Suu Kyi, avait essayé d’y répondre. Il avait rencontré, en 1947, à Panglong, les représentants des ethnies Chin, Kachin et Shan pour leur proposer d’entrer dans une « Union de Birmanie » et sortir de la tutelle britannique [[Conquise par les Britanniques en 1824, la Birmanie restera dans l’Empire des Indes jusqu’au 4 janvier 1948, jour de son indépendance.]],contre une promesse de pleine autonomie interne.

Comment en effet faire cohabiter une population composée de 135 ethnies différentes ?

Las, il fut assassiné quelques mois tard et une fois l’indépendance obtenue, en 1948, le projet de fédéralisme fut vite oublié. Il fut remplacé par une « birmanisation » des structures politiques, économiques et militaires, et une mise à l’écart progressive des élites ethniques. Cette marginalisation provoquera, infinie, le soulèvement des minorités, certaines prenant les armes au lendemain de l’indépendance.

Autant dire que la conférence qui s’est tenue en août dernier représentait une « importante étape » pour Aung San Suu Kyi, qui avait fait de la « réconciliation nationale » l’une de ses priorités de la campagne électorale. Elle n’a cependant pas convaincu tous les participants. « Il y avait de la frustration dans l’air à cause de la persistance des combats dans le nord », relativise le Dr Tu Ja, invité en tant que président d’un parti politique kachin. « Le problème, c’est que le gouvernement ne peut pas contrôler l’armée qui dispose d’un pouvoir exorbitant. Avant de parler de “réconciliation nationale” et de “fédéralisme”, il faudrait que la LND, les militaires et même les minorités ethniques acceptent des compromis pour trouver de vraies solutions. »

Peu de retombées pour les populations ethniques

Car les points d’achoppement restent nombreux. D’une part, l’obstination des généraux qui ne veulent pas s’engager dans un quelconque processus tant que tous les groupes armés n’auront pas déposés les armes. De l’autre, les divergences d’approche entre les différentes minorités : certaines sont prêtes à signer pendant que d’autres voudraient un accord plus « inclusif » impliquant tous les mouvements ethniques, y compris ceux toujours en lutte. Sans oublier, comme le rappelle le Dr Tu Ja, « la méfiance persistante entre le gouvernement central et les minorités créée par plusieurs décennies de guerre civile. »

Défiance qu’Aung San Suu Kyi n’a pas, pour l’instant, réussi à faire disparaître.
Autre sujet de tensions, et non des moindres, celui du développement des États ethniques. Car derrière ces questions politiques se cachent des enjeux économiques majeurs. Les terres « ethniques » regorgent en effet de ressources naturelles : minerais en abondance, or, pierres précieuses, mais aussi bois exotiques, notamment du teck, sans oublier un important réseau hydrographique, source potentielle de production d’électricité.

« Notre État n’est pas très riche, mais nous avons quelques mines d’étain, des forêts, et plusieurs rivières, dont la Salouen, qui le traversent » – Khu Nye Reh, représentant du Karenni National Progressive Party

Des ressources qui attirent toutes les convoitises et pourraient expliquer l’acharnement des militaires birmans contre ceux qu’ils qualifient de « terroristes » kachins et leurs alliés dans le nord du pays. Mais aussi expliquer pourquoi les groupes armés ethniques, qui sont également des acteurs économiques, ne veulent pas leur céder un pouce de leurs territoires. La Birmanie est par exemple est en passe de devenir la troisième source mondiale d’étain, dont une partie de l’exploitation est gérée par l’UWSA – la branche armée du groupe ethnique Wa.

« Notre État n’est pas très riche [[Situé à l’ouest du pays, l’État Kayah, ou Karenni, est l’un des plus pauvres.]], mais nous avons quelques mines d’étain, des forêts, et plusieurs rivières, dont la Salouen, qui le traversent », explique Khu Nye Reh, représentant du Karenni National Progressive Party. Ce groupe armé signataire, en 2012, d’un cessez-le-feu avec le gouvernement birman, est installé aujourd’hui à Loikaw, la capitale régionale. « Mais ces mines sont entre les mains des militaires et de leurs alliés et il n’y a pratiquement plus de tecks ni de bois durs dans nos forêts. Quant aux barrages, ils ont été construits sur notre territoire sans consultation des populations locales et 95 % de l’électricité part en Birmanie. Les Chinois veulent construire un autre barrage et, là encore, l’électricité ira ailleurs, en Chine. Il n’y a aucune retombée pour les habitants », regrette-t-il. « Le fédéralisme devrait nous permettre de remédier à cela. »

Le 4 février 2017, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de Rangoun et d’autres villes du pays. Membres de la société civile, dont des partenaires du CCFD-Terre Solidaire, militants des droits humains, étudiants, de toutes origines ethniques. Ils demandent la fin des combats et une déclaration unilatérale de cessez-le-feu de la part de l’armée birmane. Reste à espérer que les participants à la nouvelle réunion « Panglong », qui s’est tenue fin février dans le prolongement de la précédente, les aient entendus.

Patrick Chesnet

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