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8 questions autour de la lettre Encyclique Fratelli Tutti du pape François (FAQ)

Publié le 09.12.2020| Mis à jour le 15.09.2021

Vous avez envie d’en savoir plus sur la dernière lettre Encyclique du Pape François « Fratelli Tutti » sur la fraternité et l’amitié sociale?
Marcel Remon, jésuite et directeur du Centre de Recherche et d’Action Sociale (CERAS), répond à nos questions.


Avant propos : découvrir les deux premiers paragraphes de la lettre du pape

« Fratelli tutti », écrivait saint François d’Assise, en s’adressant à tous ses frères et sœurs, pour leur proposer un mode de vie au goût de l’Évangile. Parmi ses conseils, je voudrais en souligner un par lequel il invite à un amour qui surmonte les barrières de la géographie et de l’espace. Il déclare heureux celui qui aime l’autre « autant lorsqu’il serait loin de lui comme quand il serait avec lui ». En quelques mots simples, il exprime l’essentiel d’une fraternité ouverte qui permet de reconnaître, de valoriser et d’aimer chaque personne indépendamment de la proximité physique, peu importe où elle est née ou habite.

Ce Saint de l’amour fraternel, de la simplicité et de la joie, qui m’a inspiré l’écriture de l’encyclique Laudato si´, me pousse cette fois-ci à consacrer la présente nouvelle encyclique à la fraternité et à l’amitié sociale. En effet, saint François, qui se sentait frère du soleil, de la mer et du vent, se savait encore davantage uni à ceux qui étaient de sa propre chair. Il a semé la paix partout et côtoyé les pauvres, les abandonnés, les malades, les marginalisés, les derniers.

Pourquoi développer le thème de la fraternité et non de la solidarité ?


La grande question du Pape, dans toutes ces encycliques et tous ces textes, est celle du rapport entre le local et l’universel : l’importance d’être enraciné dans sa culture locale mais aussi de rayonner dans l’universel.

Il le dit très bien dans cette phrase : « Lorsqu’elle est authentique, cette amitié sociale au sein d’une communauté est la condition de la possibilité d’une ouverture universelle vraie. » [ 99 ]
C’est vraiment la question de cette tension face à l’altérité. On ne peut être ouvert à l’altérité que si on sait qui l’on est.

Appliquée au public français par exemple, cette tension se perçoit entre l’égalité – on est dans un monde où il faut essayer d’avoir les mêmes droits, les mêmes moyens, les mêmes ressources etc… – et la liberté, qui représente la diversité, pouvoir être différent des autres. Cette tension, local vs. universel, le Pape la pense sans la résoudre, mais il parle de « fraternité » pour que cette tension soit féconde.

Et c’est là où il est politiquement fort : la fraternité ce n’est pas la solidarité, qui est choisie. Je choisis d’être solidaire avec telle ou telle personne. Ce n’est pas non plus la charité.

La fraternité est quelque chose qui nous est donné : on est frères parce qu’on est frères, point. Caïn et Abel étaient différents : Abel a été tué par Caïn mais la fraternité n’a pas été annihilée par le meurtre. L’idée que la fraternité véhicule est que nous sommes tous fils, tous des êtres humains égaux car nous sommes tous frères.

Ce n’est pas un choix c’est une décision, une réalité. Et cela nous permet de vivre pleinement le local et l’universel. Cette notion de « fraternité » est peut-être la seule chose qui est vraiment nouvelle par rapport aux précédentes encycliques de la doctrine sociale.

Par où commencer la lecture de l’encyclique ?

L’Encyclique s’ouvre par un chapitre qui est une sorte de “contemplé” du monde, intitulé « Les ombres d’un monde fermé ». C’est une lecture que je trouve tragique et sombre du monde, très crue mais très réaliste.
Il est vrai que la culture argentine aime bien le tragique ; mais quand on lit ce premier chapitre, on voit vraiment poindre les vulnérabilités du monde ainsi que les souffrances du Pape par rapport au monde. Pour lui, la problématique est celle de la fermeture : dans l’Encyclique « Fratelli Tutti », on voit apparaître plusieurs fois les mots « fermé » et « ouvert », que le Pape met en tension. On y perçoit derrière la question de la fermeture des frontières face aux migrants, la fermeture du cœur et l’égoïsme financier et économique face aux plus pauvres, la fermeture de l’Église aussi… la liste des thématiques qu’il cite est longue.

Je ne conseille pas au lecteur de commencer par ce premier chapitre car il est très sombre ; il faut déjà avoir une fameuse colonne vertébrale d’espérance pour pouvoir le parcourir! Toutefois, ce chapitre se termine par quelques paragraphes d’espérance ; il fait par exemple allusion aux gestes de solidarité pendant la crise du Covid-19 quand il dit : « Certes, une tragédie mondiale comme la pandémie de Covid-19 a réveillé un moment la conscience que nous constituons une communauté mondiale qui navigue dans le même bateau, où le mal de l’un porte préjudice à tout le monde. Nous nous sommes rappelés que personne ne se sauve tout seul, qu’il n’est possible de se sauver qu’ensemble. » [ 32 ].

Je conseillerais de commencer par le chapitre 2, qui est une méditation sur le « bon samaritain », intitulé « Un étranger sur le chemin ». De nouveau on retrouve une parabole du monde actuel dans laquelle il dresse le constat de cette souffrance, de cette noirceur et de cette tragédie de l’indifférence de certains dans le monde, mais avec une vision beaucoup plus spirituelle et positive qui nourrit le lecteur.

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Quel est le rêve du pape ?

C’est une des particularités du pape François, il file la métaphore du « rêve ». Il dit dès le début « j’ai un rêve, un désir universel d’humanité », et il écrit : « Rêvons en tant qu’une seule et même humanité, comme des voyageurs partageant la même chair humaine, comme des enfants de cette même terre qui nous abrite tous, chacun avec la richesse de sa foi ou de ses convictions, chacun avec sa propre voix, tous frères. » [ 8 ]

On est des enfants de la terre, du même Dieu et en même temps on a chacun sa richesse, chacun sa conviction. C’est cette fraternité universelle qui guide sa véritable utopie, présente mais non encore réalisée.

Portrait d'une jeune femme indigène au Brésil
Portrait d’une jeune femme indigène au Brésil

Que dit-il concernant les peuples autochtones ?

Sur le sujet des peuples autochtones, le texte « Querida Amazonia » est, selon moi, l’un des textes les plus puissants : le Pape explique combien les peuples d’Amazonie doivent être respectés dans leur culture locale et leurs spécificités. Il y a des mots très forts car il parle de « crimes », de « pêchés quasi structurels », ça le touche énormément.

Dans « Fratelli Tutti », il reprend cela de façon peut-être moins vigoureuse, mais il est toujours aussi fort dans la défense de ses peuples-là : « […] j’ai exhorté les peuples autochtones à prendre soin de leurs racines et de leurs cultures ancestrales, mais j’ai tenu à clarifier que « mon intention n’est […] pas de proposer un indigénisme complètement fermé, anhistorique, figé, qui se refuserait à toute forme de métissage », puisque « la propre identité culturelle s’approfondit et s’enrichit dans le dialogue avec les différences, et le moyen authentique de la conserver n’est pas un isolement qui appauvrit ».  [ 148 ]

Il dit que c’est vraiment en respectant ces peuples que l’on va pouvoir atteindre l’histoire universelle. Pour lui il y a un drame des peuples indigènes et il faut se solidariser sinon on n’est pas frères avec eux : « Il n’est pas possible d’être local de manière saine sans une ouverture sincère et avenante à l’universel, sans se laisser interpeller par ce qui se passe ailleurs, sans se laisser enrichir par d’autres cultures ou sans se solidariser avec les drames des autres peuples. » [ 146 ]

Un pape anti exploitation?

En lien avec ce sujet, le Pape reste foncièrement « anti-exploitation », et on le perçoit à travers cette phrase : « Le marché à lui seul ne résout pas tout, même si, une fois encore, l’on veut nous faire croire à ce dogme de foi néolibéral. Il s’agit là d’une pensée pauvre, répétitive, qui propose toujours les mêmes recettes face à tous les défis qui se présentent. » [ 168 ]

Il réitère son opposition à ceux qui vident « des pays entiers de leurs ressources naturelles par des systèmes corrompus qui entravent le développement digne des peuples » [ 125 ], ainsi qu’à ces dettes qui « en arrive[nt] à compromettre la survie et la croissance [des peuples]. » [ 126 ]

Enfin il fait allusion au trois « T » : « Assurer une terre, un toit, et un travail à chacun » [ 127 ]. C’est une référence au programme de l’Eglise de Medelin, de la Conférence des évêques de l’Amérique Latine : il faut un minimum de conditions pour que la vie humaine puisse se développer et être digne. Il faut avoir une terre et un travail pour se nourrir et un toit pour se protéger et pour créer une famille. Ce programme est généralisé sur tout le continent ; c’est vraiment la mise en pratique de cette volonté de travailler au bien commun, c’est-à-dire créer des conditions pour que la dignité de l’homme soit respectée. 

L’appel à une gouvernance mondiale, est-ce une nouveauté pour l’Eglise?

Dans cet appel à une autre gouvernance mondiale, il reprend en substance son discours prononcé à l’ONU : « Je rappelle qu’il faut une réforme « de l’Organisation des Nations-Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations. » [ 173
Il appelle à «  inclure la création d’organisations mondiales plus efficaces, dotées d’autorité pour assurer le bien commun mondial, l’éradication de la faim et de la misère ainsi qu’une réelle défense des droits humains fondamentaux. » [ 172 ]

Toutefois, et c’est peut-être dommage de devoir dire cela, il n’y a rien de nouveau. Jean Paul II, Jean XXIII et Paul VI avaient déjà demandé qu’il y ait une organisation internationale qui soit démocratiquement représentative et qui détienne plus de pouvoir, et notamment pour pouvoir gérer les conflits.

Dans les principes de l’Église c’est une demande qui est faite depuis très longtemps. En effet, depuis les débuts de l’ONU, l’Église a toujours été une fervente supportrice des Nations-Unies. Donc là, dans Fratelli Tutti, François joue pleinement son rôle politique de chef d’État : le Vatican étant un état reconnu parmi les autres états, il dit « moi en tant qu’État je suis prêt avec d’autres à créer ou soutenir ce genre d’organisation internationale » ; il ne s’agit pas simplement du vœu d’une communauté chrétienne, mais bien celui d’un État comme un autre.

Parallèlement, son appel à un engagement des chrétiens n’est pas si nouveau que cela ; ce n’est pas François qui en a parlé le premier, tous les papes l’ont fait.

Les religions marchent pour le climat pendant la Cop 21 en 2015 à Paris, arrivée à la Basilique Saint Denis
Les religions marchent pour le climat pendant la Cop 21 en 2015 à Paris, arrivée à la Basilique Saint Denis

A quoi appelle-t-il les chrétiens ?

Ce qui vraiment novateur dans cet appel est qu’il est beaucoup plus clair sur les lieux dans lesquels les chrétiens doivent s’engager. Il parle bien sûr du combat auprès des migrants mais également – et c’est quelque chose de tout à fait nouveau qui n’existait pas dans les encycliques avant Laudato Si – il les appelle à s’engager sur le terrain du respect de la planète, de l’écologie, dans toutes les questions relatives à l’environnement.

En effet, il pousse les paroisses et les diocèses à faire une conversion écologique en disant que c’est important pour l’ouverture.

Le Pape touche à des questions où l’Église est finalement peu présente, et si elle l’est, elle reste plutôt conformiste : je pense notamment à la question migratoire, c’est LA problématique de cette époque, quand on voit le nombre de millions de personnes en migration, les morts etc…

Pour lui, il faut que l’Église puisse répondre aux questions des êtres de son époque : penser l’avenir de la planète, aborder la questions migratoire, diminuer les inégalités qui s’accroissent, aborder les questions sociétales comme l’avortement ou la montée du populisme.
C’est sur ces questions là qu’il veut mettre l’accent. Ce Pape est quelqu’un qui écoute le monde et qui repère les endroits où il y a des souffrances.

En fait il dit en filigrane aux chrétiens, « il ne faut pas simplement vous engager dans des gestes charitables et personnalisés mais il faut aussi s’engager politiquement car les institutions sont importantes ».

On retrouve cela dans cette phrase : « Même le bon Samaritain a eu besoin de l’existence d’une auberge qui lui a permis de résoudre ce que, tout seul, en ce moment-là, il n’était pas en mesure d’assurer. L’amour du prochain est réaliste et ne dilapide rien qui soit nécessaire pour changer le cours de l’histoire en faveur des pauvres. » [ 165 ]

Propos recueillis par Clémentine Métenier

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Chemins de fraternité : à la découverte de l’encyclique l’amour dans la vérité

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