Au Brésil, BNP Paribas assigné en justice par notre partenaire CPT

Publié le 27.03.2023

En octobre 2022, la Commission pastorale de la terre (CPT), une organisation qui soutient les luttes autochtones au Brésil, a mis en demeure BNP Paribas pour manquement à son devoir de vigilance lié à l’industrie bovine brésilienne.

Alors que la loi sur le devoir de Vigilance fête son sixième anniversaire en France, nous publions cet entretien avec le frère dominicain Xavier Plassat, coordinateur de la campagne de la CPT contre le travail esclave paru dans notre magazine Echos du Monde. Le CCFD-Terre Solidaire soutient le travail de la CPT depuis de nombreuses années

Échos du monde : La Commission pastorale de la terre, avec Notre affaire à tous et Rainforest Action Network, a alerté BNP Paribas en octobre 2022. Que reprochez-vous à la banque française ?

Xavier Plassat : Nous accusons BNP Paribas de ne pas avoir de plan de vigilance conforme à la loi française sur le devoir de vigilance des entreprises, votée en 2017 (voir p.16). En effet, la banque apporte son soutien financier à Marfrig, le deuxième producteur de viande bovine du Brésil, suspecté de graves violations de droits humains et d’atteintes à l’environnement.
D’après nos informations dûment documentées, l’entreprise brésilienne, par manque de contrôle de sa chaîne d’approvisionnement, contribue à la déforestation illégale de la forêt amazonienne et de la savane du Cerrado (1), à l’accaparement de terres autochtones et au travail esclave recensé dans les élevages de ses fournisseurs.
Marfrig n’est pas une filiale de BNP Paribas. Mais, en finançant cette entreprise, la banque participe à ces pratiques illégales et se rend responsable des risques pris par son client.

Les acheteurs de viande auprès de ces abattoirs, tout comme leurs financeurs, doivent exiger la mise en place d’outils de suivi et cesser de repousser systématiquement les échéances de traçabilité de leurs chaînes d’approvisionnement.

La CPT est aussi engagée dans une procédure contre Casino. Pour quelles raisons ?

Les motifs de notre action contre le groupe Casino, aujourd’hui en instance au tribunal de Paris, sont semblables à ceux invoqués contre BNP Paribas.
Pão de Açúcar, l’un des plus grands distributeurs brésiliens, filiale de Casino, achèterait de la viande bovine à des abattoirs qui s’approvisionnent en bétail élevé sur des terres indigènes accaparées et illégalement déforestées.
Certaines exploitations agricoles autorisées se fournissent auprès de paysans qui, eux, élèvent illégalement les bœufs sur des territoires autochtones. Il y a une sorte de procédure de blanchiment, car ces bœufs sont transférés au dernier moment avant leur abattage sur des exploitations légales.

Ces abattoirs disent qu’il est difficile d’identifier les fournisseurs indirects. C’est faux, des mécanismes de traçabilité existent, comme la puce agrafée sur les oreilles des bœufs et les documents de transfert des animaux, obligatoires dans la loi brésilienne.
Les acheteurs de viande auprès de ces abattoirs, tout comme leurs financeurs, doivent exiger la mise en place de ces outils de suivi et cesser de repousser systématiquement les échéances de traçabilité de leurs chaînes d’approvisionnement.

Si BNP Paribas imposait ces conditions de suivi à Marfrig, en le menaçant de suspendre son financement, ce serait une épée de Damoclès pour l’entreprise brésilienne. On lui demande donc d’exercer son pouvoir d’influence pour faire changer les choses. Et il y a urgence !
Le point de non-retour est proche d’être atteint dans certaines régions d’Amazonie. Elles deviennent plus productrices de CO2 qu’elles n’en captent. C’est pourtant la fonction principale de la forêt !

Pourquoi parlez-vous de travail esclave et non d’esclavage ?

Le pape François dit toujours : « La traite des êtres humains, c’est l’esclavage moderne. » Au Brésil, on utilise l’expression : « le travail dans des conditions analogues à celle d’esclave », car, depuis son abolition en 1888, les situations apparentées à de l’esclavage ne peuvent plus être nommées ainsi. Mais en soi, il n’y a pas vraiment de différence.

Depuis 2003, il existe une définition précise du travail esclave dans le Code pénal brésilien, avec quatre critères. Le premier est celui de soumettre les travailleurs à des conditions dégradantes de travail, d’hébergement, d’alimentation, d’existence ; le deuxième, d’imposer un rythme ou une quantité de travail épuisants ; le troisième, de mettre en œuvre une servitude pour endettement illégitime, lorsque le travailleur doit plus à son employeur qu’il n’a à recevoir de lui. Enfin, le dernier critère est la suppression de la liberté d’aller et de venir, par différents moyens, comme l’isolement géographique, la confiscation de documents personnels, la menace et la violence. Ces critères ne sont pas cumulatifs. Chacun est suffisant pour qu’un inspecteur du travail caractérise les conditions de travail comme analogue à l’esclavage et oblige l’employeur à libérer son travailleur, à lui payer son dû, puis à répondre de ses actes devant la justice. En 1995, lors de la mise en œuvre de la nouvelle politique de lutte contre l’esclavage, 60 000 personnes ont été libérées. 2 200 personnes environ durant la dernière année du mandat de Jair Bolsonaro.

Quels types d’actions mène la CPT pour lutter contre le travail esclave ?

Avant tout, nous sensibilisons les communautés autochtones sur la réalité du travail esclave. Nous organisons des réunions et des débats avec des ouvriers et des paysans qui partagent leur expérience. Nous leur proposons également des outils de prévention pour faire face aux situations conduisant au travail esclave, et ensuite pour s’en sortir.

Concernant nos actions de plaidoyer, dans les années 1990-2000, il s’agissait de faire ployer un gouvernement négationniste et l’amener à combattre le travail esclave à travers des politiques efficientes. Nous avons notamment interpellé la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour l’obliger à agir. Récemment, notre travail consiste à faire pression sur des entreprises comme BNP Paribas et Casino, pour dénoncer leur implication dans le travail esclave. Et les alerter sur les mesures à mettre en place.

Le départ de Jair Bolsonaro de la tête du pays vous donne-t-il de l’espoir ?

© Midia Ninja
Photo d’investiture de Lula au Brésil, janvier 2023 © Collectif Midia Ninja

Si l’on avait dû repartir pour quatre années de présidence Bolsonaro, cela aurait été le désespoir total ! Dès le premier jour de son mandat, il promettait qu’aucun millimètre carré de territoire indigène ne serait régularisé. Au contraire, il déclarait vouloir délégaliser des terres autochtones, favoriser l’utilisation des pesticides, le droit d’explorer l’or sans condition ; et aussi supprimer les ressources dédiées à l’inspection du travail comme à la protection de l’environnement.

Pourtant, même avec sa volonté acharnée de destruction négationniste, le gouvernement Bolsonaro n’a pas réussi à détricoter toute la politique de lutte contre l’esclavage. À l’image de la publication semestrielle de « la liste de la honte » qui continue de recenser les entreprises prises en flagrant délit de travail esclave. On a grand espoir maintenant. D’autant plus depuis que Lula a choisi le cacique Raoni pour lui remettre son écharpe d’investiture. Et qu’il a nommé une femme autochtone à la tête du ministère des Peuples indiens, une grande première au Brésil.

Propos recueillis par Marion Chastain

Pour en savoir plus sur la Commission pastorale de la Terre et ses actions, consultez la fiche de ce partenaire.

Retrouver tout notre dossier sur le devoir de vigilance

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