Immersion en République Centrafricaine, à la recherche de la paix #GrandFormat

Publié le 21.07.2023| Mis à jour le 04.04.2024

Comment ouvrir le dialogue dans un pays comme la République Centrafricaine fracturé par la guerre civile ? Comment convaincre les différentes communautés d’enterrer la hache de guerre, de travailler ensemble pour rétablir la paix ?

Pour répondre à ces questions, nous nous sommes rendus en République Centrafricaine avec une journaliste de la radio RCF. Ce pays, meurtri par les coups d’état et les conflits armés, compte de nombreuses confessions, ethnies et plus de 70 dialectes différents.

Sur place, nous avons été accueillis par des bénévoles de la PIJCA, une association soutenue par le CCFD-Terre Solidaire, qui œuvre pour la paix et le dialogue interconfessionnel. Suivez-nous à la rencontre de ces différentes communautés et découvrez, à travers ce récit, leur travail commun en faveur de la réconciliation.

Une famille qui vend du manioc dans le village de Ndanga, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Notre voyage débute dans le sud de la République centrafricaine sous une chaleur écrasante, en route vers la ville de Boda, à l’ouest de la capitale.

Moins de 200 kilomètres séparent les deux villes, il nous faudra pourtant 7 heures pour les parcourir en voiture.

La route, principalement de la piste, rend la conduite difficile même pendant la saison sèche.

Tout au long du trajet, les forêts défilent devant nos yeux, révélant la grande richesse naturelle de ce pays. Les ressources ne manquent pas : or, diamants, uranium et du bois, en grande quantité.

Judicaël et Carmelle, des bénévoles de la PIJCA, la Plateforme Interconfessionnelle de la Jeunesse Centrafricaine, nous racontent qu’à certaines périodes de l’année le sol est recouvert de chenilles, que les arbres regorgent de fruits et que le pays abrite un grand nombre de bétail. Un paradoxe dans ce pays où, selon la FAO, 81,3% de la population vit en insécurité alimentaire.

Sur la route, nous croisons d’énormes camions transportant du bois, des troncs entiers. Nous comprenons rapidement qu’ils appartiennent à la milice russe Wagner, très présente dans le pays.

Nous traversons de nombreux villages. A plusieurs reprises, nous devons descendre sur le bord de la route, montrer nos papiers d’identité et expliquer ce que nous faisons ici. Ces barrages sont tenus par la gendarmerie, mais non loin de là, beaucoup d’autres sont entre les mains de groupes armés. Il n’y a pas de doute : l’insécurité persiste bel et bien dans le pays.

Judicaël nous raconte la guerre civile qui a déchiré ce pays pendant de nombreuses années. En 2013, un groupe armé à majorité musulmane, connu sous le nom de Seleka, a pris le pouvoir par la violence et le sang, plongeant le pays dans le chaos. En réaction, des milices d’auto-défense majoritairement chrétiennes se sont formées, les anti-balakas, déclenchant ainsi une guerre civile qui a causé de lourdes pertes des deux côtés. Les civils ont été, comme toujours, les premières victimes et ont subi de nombreuses exactions.

Judicaël précise : « A l’origine, ce n’était pas un conflit communautaire ! Les chrétiens et musulmans vivaient en paix. Les raisons qui ont déclenchées cette guerre étaient purement économiques. Les gens se sentaient abandonnés par l’État et souffraient de la faim. Mais la guerre a été instrumentalisée par les politiques. Les manipulations et les horreurs commises pendant la guerre ont causé une profonde déchirure, une fracture entre ces communautés. Aujourd’hui, on se bat pour rouvrir le dialogue et retrouver la paix, comme avant. »

Boda, le “laboratoire de la réconciliation”

Nous arrivons dans le centre-ville de Boda. En passant devant le marché, nous sentons des odeurs de café, d’épices ou encore de poisson fumé. Nous pouvons entendre la musique diffusée dans les boutiques, et les clients qui négocient avec les commerçants en sango, la première langue du pays. Les rues de la ville sont bondées, une ambiance chaleureuse et conviviale semble y régner.

L'ancienne "ligne rouge" de Boda, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Judicaël nous raconte que quelques années auparavant, Boda était pourtant l’une des villes « où le sang a le plus coulé » pendant la guerre. Les musulmans étaient parqués dans un quartier de la ville et ne pouvaient plus en sortir. Aujourd’hui, la mixité est de retour et les gens circulent librement.

Pour comprendre l’histoire particulière de cette ville, nous rencontrons Dasco, coordinateur de l’antenne de la PIJCA à Boda, une personnalité emblématique du village. Il nous emmène sur un petit pont en bois, qui nous paraît au premier abord tout à fait banal. Il nous explique qu’il s’agissait de la « ligne rouge » qui séparait le quartier des musulmans et celui des chrétiens. Pendant la crise, toute personne qui la traversait y laissait sa vie.

Dasco a été la figure de la réconciliation et du dialogue à Boda. Lui-même musulman et marié à une femme chrétienne, il a été séparé d’elle et de leurs enfants pendant la guerre. Forcé de vivre à l’opposé de la ville sans pouvoir retrouver sa famille, il a décidé de prendre les choses en main. Il a été le premier à avoir osé traverser le pont pour engager le dialogue avec les leaders des différents groupes. Il a risqué sa vie pour la paix, et son courage a porté ses fruits. Grâce à la détermination des militants de la PIJCA, comme Dasco, le dialogue s’est progressivement rouvert et la situation s’est apaisée. Les blessures sont récentes et le chemin vers une paix durable est long, mais le calme est revenu. Jusqu’à Bangui, la capitale, on parle de Boda comme un « laboratoire de la réconciliation ».

Le premier test ne s’est pas fait attendre. En 2021, une nouvelle tentative de coup d’État a eu lieu. Un groupe rebelle mené par l’ancien président a tenté de prendre le contrôle du pays. De nombreuses violences et pillages ont été commis. Pendant plusieurs mois, les rebelles ont établi leur quartier général à Boda et ont tenté de rallier les anciens combattants de la ville à leur cause en leur offrant de l’argent et de belles promesses. Cependant, tous les anciens combattants accompagnés par la PIJCA de Boda ont refusé. Malgré le risque de représailles, aucun d’entre eux n’a repris les armes. Ils s’étaient tous beaucoup investis lors des formations sur le vivre ensemble et des médiations, ils avaient retrouvé leur dignité. Ils ont préféré se réfugier dans la brousse en attendant le départ du groupe armé plutôt que de le rejoindre. Après avoir goûté à la paix, ils ne voulaient plus revenir en arrière.

Le dernier soir à Boda, les bénévoles de l’antenne locale de la PIJCA nous font une surprise : un chant en sango. Il parle de paix et de fraternité.

Les Peuls, autres victimes de la guerre

Malgré les progrès réalisés ces dernières années, une communauté reste largement stigmatisée et exclue : les Peuls.

En quittant Boda, nous passons devant un camp où ils vivent retranchés, juste à l’extérieur de la ville. Nous décidons de nous arrêter pour aller à leur rencontre. Les habitations sont constituées de murs en tôle et les toits sont de simples bâches. Le leader de la communauté nous explique que ce camp était supposé être provisoire. Ils y résident pourtant depuis 10 ans. Les conditions de vie y sont précaires, voire insupportables, comme nous l’ont confié plusieurs habitantes. “Particulièrement pendant la saison des pluies, les bâches s’effondrent régulièrement et nous ne pouvons pas dormir de la nuit”, nous expliquent-elles.

Traditionnellement, les Peuls vivent de l’élevage et du commerce de leur bétail. En raison de leur mode de vie nomade et de leur confession musulmane, ils ont été lourdement stigmatisés et sont devenus des cibles faciles pendant la guerre.

Le camp de réfugiés Peuls de Boda, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Plusieurs d’entre eux nous racontent avoir été chassés de leur village, et pensent ne jamais pouvoir y retourner. Leur communauté a subi de nombreuses pertes et ils ont perdu la totalité de leurs troupeaux. Ainsi, ils sont privés non seulement de leurs moyens de subsistance, mais aussi leur mode de vie dans son ensemble. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux essaient tant bien que mal de gagner un peu d’argent en revendant des fagots de bois ou du maïs.

Nous les suivons jusqu’à un grand terrain vague, à quelques centaines de mètres de leur camp. C’est ici que la PIJCA va construire un petit village pour qu’une vingtaine de familles peules s’y installent. Ils nous disent tous avoir hâte que le chantier démarre. Cela leur permettra de retrouver des conditions de vie dignes et de reprendre leur vie, en suspens depuis dix ans.

A Bangui, rencontre avec les anciens combattants

Nous reprenons la voiture pour aller vers la capitale, Bangui, là où tout le travail de dialogue et de réconciliation a commencé, là où tout se joue.

Le trajet du retour est tout aussi mouvementé que l’aller. Nous traversons des énormes nids-de-poule, des ponts et des rivières. Nous nous accrochons fermement en nous laissant porter par les chansons diffusées à la radio. Qu’elles soient en sango ou en français, toutes parlent d’amour et d’espoir.

Arrivés à Bangui, l’atmosphère nous paraît presque irrespirable en raison de la poussière dans l’air. Les rues sont remplies de motos qui circulent à toute vitesse, s’évitant de justesse les unes et les autres. C’est le principal moyen de transport des habitants, qui se faufilent entre les véhicules militaires et les 4×4 de l’ONU.

Judicaël et Carmelle nous emmènent au marché principal de la ville, à PK5, le « quartier musulman ». Comme à Boda, la ville de Bangui était divisée en deux pendant la guerre, personne ne pouvait circuler librement entre les quartiers chrétiens et musulmans.

Nous rencontrons des anciens combattants qui tiennent des boutiques sur le marché. Leur regard est dur et distant, ils n’aiment pas reparler de la guerre, ni même y repenser. Beaucoup en garde des séquelles et des traumatismes, sans aucun accompagnement psychologique. Aidés par la PIJCA, certains revendent des médicaments, d’autres réparent des voitures ou des motos. Tous soulignent les difficultés à retrouver un emploi dans le pays, surtout après avoir combattu. C’est pourquoi l’association les aide dans leur recherche d’emploi, en leur finançant des formations ou en les aidant à ouvrir leur propre boutique. A Bangui comme à Boda, les anciens miliciens accompagnés par la PIJCA n’ont pas repris les armes en 2021.

Champ cultivé par les médiatrices sociales de Bangui, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Les anciens combattants ne sont pas les seuls à bénéficier d’une aide financière de la PIJCA. Sur le marché, nous rencontrons aussi des médiatrices sociales. Formées par la PIJCA, ces femmes sont spécialisées dans la gestion des conflits. Elles ont joué un rôle central dans le processus de dialogue et de réconciliation après la guerre. Aujourd’hui, elles font partie des rares femmes à gérer leur propre commerce sur le marché. Certaines tiennent des stands de tissus, de miel, de manioc ou encore de chenilles fumées, tandis que d’autres travaillent dans les champs.

Les femmes sont “l’écho du pays”

Jamila, coordinatrice des médiatrices sociales de Bangui, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Une femme s’approche de nous, avec un sourire rayonnant. Ses yeux dégagent une douceur qui lui confère une présence chaleureuse et éclatante.

C’est Djamila, la coordinatrice des médiatrices sociales de Bangui.

Elle nous raconte avoir grandi ici, dans le quartier de PK5. Son père était musulman et sa mère chrétienne. Sa famille s’est elle aussi retrouvée déchirée à cause de la crise. “Mon cœur était séparé en deux” nous confie-t-elle. Elle a dû se réfugier dans le quartier chrétien pour être avec sa mère. Elle y a vécu pendant 8 ans avant de pouvoir revenir ici.

La guerre a été une épreuve particulièrement difficile pour elle. Les tensions et la haine étaient un fardeau quotidien. Elle a été témoin de conflits et de violences entre des chrétiens et des musulmans qu’elle connaissait personnellement. La situation était si dangereuse que lorsqu’il a fallu acheter des médicaments pour sa mère malade, elle n’a pas pu s’aventurer trop loin de chez elle, au risque de mettre sa vie en danger. Les yeux remplis d’émotion, elle nous apprend que sa mère est décédée quelques semaines plus tard, faute de soins.

Aujourd’hui, Djamila est coiffeuse et se bat pour offrir une chance aux femmes de son pays. Elle essaie d’ouvrir un grand restaurant pour les médiatrices sociales. Cela leur permettrait de trouver du travail, de gagner leur vie et de les souder entre elles. Elle souhaite en faire un symbole d’apaisement, réunissant des médiatrices de toutes les religions et communautés. Elle a déjà choisi le nom : Restaurant « Ma grande famille ».

Des femmes qui vendent du café sur le marché de Boda, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Ce groupe de médiatrices sociales a vu le jour au sein de la PIJCA en 2015. Beaucoup de jeunes femmes se sont engagées très tôt dans le processus de paix mis en place par l’association, mais elles avaient l’impression d’avoir peu la parole, moins de place que les hommes. Elles ont ainsi choisi de créer leur collectif, afin de pouvoir mettre en place leur propres actions. Djamila nous raconte.

Les femmes sont importantes dans le processus de réconciliation car ce sont elles qui ramènent l’information dans les foyers après le marché. Elles sont l’écho du pays. Mais surtout, les femmes ont un rôle essentiel car la paix, ça commence au sein de la famille.

Djamila, coordinatrice des médiatrices sociales de Bangui

Grâce à leurs actions de médiation, les femmes prennent progressivement une place plus importante dans la société. Au sein de la PIJCA, elles reçoivent non seulement une formation à la gestion de conflit, mais aussi en leadership féminin, entrepreneuriat et droit des femmes. Ces dernières années, plusieurs d’entre elles ont réussi à ouvrir seules leur propre commerce, une grande première.

Ces temps d’échanges et de formations sont également précieux car ce sont les seuls moments où elles peuvent passer du temps entre femmes et partager leurs expériences quotidiennes. Un véritable réseau d’entraide et d’écoute s’est formé, où elles se soutiennent et s’encouragent mutuellement. Malgré les discriminations qu’elles subissent quotidiennement et une condition difficile, elles gardent espoir et se battent pour changer les choses.

Pour aller plus loin, écoutez le reportage réalisé par RCF lors de cette mission.

Laurine Gatefait

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

J'agis

J'ai 1 minute

Partagez et relayez nos informations et nos combats. S’informer, c’est déjà agir.

Je m'informe

J’ai 5 minutes

Contribuez directement à nos actions de solidarité internationale grâce à un don.

Je donne

J’ai plus de temps

S'engager au CCFD-Terre Solidaire, c'est agir pour un monde plus juste ! Devenez bénévole.

Je m'engage

Vous n'avez qu'une minute ?

Vous pouvez participer à la vie du CCFD-Terre Solidaire

Rejoignez-nous

Restez au plus près de l'action

Restez informés

Abonnez-vous à notre newsletter

Je m'abonne
Pour une terre sans faim, cultivez l'action du CCFD-Terre Solidaire
Je donne chaque mois