La localisation de l’aide en débat

Publié le 18.08.2023| Mis à jour le 08.09.2023

Chargé de cours à Paris V-Descartes dans le cadre du master population et développement et cofondateur de Kayros, qui réfléchit aux évolutions de la solidarité internationale, Jean-Martial Bonis-Charancle décrypte pour nous les enjeux de la localisation de l’aide.

Échos du monde : Qu’est-ce que la « localisation de l’aide » ?

Jean-Martial Bonis-Charancle : Si l’on veut répondre de manière très directe, la « localisation de l’aide », c’est passer par les acteurs les plus proches des besoins, considérer que ce sont ces acteurs, les plus proches, qui devraient être impliqués dans la prise en charge de ces besoins.

D’où vient cette idée ?

Du secteur de l’urgence, plus précisément des épisodes du tsunami en 2004 et du tremblement de terre en Haïti en 2010. Les réponses massives à ces épisodes ont impliqué beaucoup d’acteurs internationaux qui ont en général laissé de côté les acteurs locaux, car ils jugeaient plus efficace et plus rapide d’agir par eux-mêmes.

Il y a eu une réflexion à la suite de cela sur l’incorporation des acteurs locaux dans la réponse à une crise. Le sommet humanitaire mondial d’Istanbul en 2016 débouche sur une résolution, appelée le Grand Bargain (« grande négo » en français, NDLR) qui prévoit que 25 % du financement de l’aide humanitaire ira directement aux acteurs locaux. À l’époque, nous étions à moins de 1 %, en 2022, nous sommes autour de 4 %. Le débat s’est ensuite étendu au secteur du développement, qui s’est interrogé sur ses pratiques.

Cela fait longtemps que le CCFD-Terre Solidaire travaille essentiellement à travers des acteurs locaux, et il a la réputation d’être très en avance sur ces enjeux !

Comment se situe le secteur du développement dans ce débat ?

Bien avant le Grand Bargain, beaucoup d’ONG françaises avaient mené des réflexions sur les relations partenariales et travaillaient déjà avec des acteurs locaux. Mais le débat devient plus profond et plus systématique, avec des questions du type : « Transfère-t-on suffisamment les décisions ? Qui gère les fonds ? Qui décide ? Qui a la visibilité vis-à-vis des bailleurs de fonds ? »

Est-ce une question portée par les sociétés civiles des pays des Sud et de l’Est ?

C’est très variable selon les pays. Quand la société civile monte en compétence, elle revendique plus de place, et l’on arrive parfois à des coalitions d’acteurs locaux qui remettent en cause la présence des ONG internationales. C’est le cas au Bangladesh par exemple, mais pas à Madagascar, d’où je reviens et où je n’ai pas noté ce type de réaction. En Haïti, le regard porté sur les acteurs internationaux est très méfiant, car leur présence massive après le tremblement de terre a été ressentie comme une invasion.

Dans quels domaines se déploie la localisation de l’aide : les financements, les relations avec les bailleurs, le terrain ?

Tout cela ! Les acteurs locaux sont déjà ceux qui réalisent les actions sur le terrain. Ils sont associés aux décisions opérationnelles, qui concernent le terrain. Mais si l’on passe aux décisions stratégiques, ce n’est pas forcément le cas. Même quand des ONG décentralisent leurs bureaux, par exemple leur siège dans un pays du Sud, la relation peut rester très hiérarchisée, très verticale, et la structure décisionnelle très occidentale.

Quant au financement direct de bailleurs à organisations locales, c’est en train d’augmenter petit à petit. L’AFD (Agence française de développement) a ainsi ouvert cette année son enveloppe Initiative-OSC (Organisations de la société civile) aux organisations de la société civile locale, alors qu’elle était jusque-là réservée aux OSC françaises.

Quelles sont les conséquences de la montée en puissance de la localisation de l’aide ?

Les ONG du Nord affirment qu’elles ne font pas le même métier qu’il y a vingt ou trente ans, et c’est vrai. Il y a maintenant très peu d’expatriés. Elles s’appuient beaucoup sur les ressources locales et jouent le rôle d’accompagnateur, de développement d’expertise et de recherche de complémentarité. Les ONG françaises jouent le jeu, elles soutiennent la montée en compétence de leurs partenaires, et cela va jusqu’à l’accès en direct aux bailleurs de fonds.

N’y a-t-il pas un risque de « chacun chez soi » et de la perte d’une certaine universalité ?

C’est le piège. On peut regretter qu’il soit si difficile, par exemple, de partir comme volontaire dans des ONG, qu’il y ait si peu de places. Ce volontariat permettait l’échange, la compréhension des enjeux, d’un pays. Par ailleurs, je ne connais pas de sociétés civiles du Sud qui demandent le départ des ONG du Nord. Elles veulent plus de place, avoir une voix égale dans les prises de décision, les réflexions stratégiques, un accès aux financements et davantage de visibilité.

Mais personne ne dit : notre objectif ultime c’est que le Nord et le Sud ne travaillent pas ensemble. Ce serait un échec énorme. Et puis de nouveaux sujets de collaboration très globaux, très transversaux émergent sur lesquels on peut travailler ensemble, par exemple les droits humains, les migrations internationales, la lutte contre le changement climatique…

On peut arriver à une complémentarité d’acteurs locaux au sein d’un réseau international, qui permet d’avoir à la fois du plaidoyer au niveau national et au niveau international. Cette complémentarité peut être très efficace sur les thématiques de développement durable, aujourd’hui très globaux, et sur celles des droits.

Par ailleurs, les ONG internationales restent très utiles, car elles peuvent prendre des positions, que des acteurs locaux, pour des questions politiques, ne pourraient pas se permettre. Là aussi, il peut exister une complémentarité.

Existe-t-il un glissement des financements ?

Les financeurs du Nord sont ambigus. Ils affirment vouloir financer les acteurs du Sud en direct et en même temps ont des exigences de plus en plus fortes et des procédures de plus en plus complexes. Les acteurs locaux ne sont pas forcément en capacité de répondre à toutes ces exigences croissantes.

Le CCFD-Terre Solidaire n’est-il pas un exemple dans le domaine de la localisation de l’aide ?

Cela fait longtemps que le CCFD-Terre Solidaire travaille essentiellement à travers des acteurs locaux, et il a la réputation d’être très en avance sur ces enjeux ! Il y a dans le modèle CCFD-Terre Solidaire des éléments utiles pour d’autres organisations qui voudront rester dans le circuit tout en étant moins présentes sur le terrain : en aidant au montage de projets, au développement d’expertise, tout en gardant une expertise à partager avec les acteurs locaux.

Propos recueillis par Gwenaëlle Lenoir

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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