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La séquestration du carbone dans les terres agricoles, miracle ou alibi ? (Rapport)

Publié le 01.06.2018| Mis à jour le 22.08.2022

L’agriculture est tour à tour considérée comme responsable ou victime des dérèglements climatiques. Certains voient en elle des solutions pour lutter contre le réchauffement de la planète en transformant les terres agricoles en puits de carbone… Vraie ou fausse solution ? Ne faut-il pas avant tout questionner nos systèmes agro-industriels ?

Alors que l’agriculture est l’une des activités humaines qui génère le plus d’émissions de gaz à effet de serre, la séquestration de carbone dans les sols agricoles est de plus en plus souvent présentée comme une technique capable de limiter le réchauffement climatique. Au niveau international, les initiatives en ce sens se multiplient, alliant acteurs privés et Etats. Solution miracle ou alibi pour ne pas réduire les émissions liées au secteur agricole ?

Le rapport du CCFD-Terre Solidaire, intitulé « Nos terres valent plus que du carbone ! », analyse plus en profondeur la question de la séquestration du carbone dans les sols et du lien complexe entre agriculture et dérèglements climatiques. Il questionne nos systèmes agro-alimentaires – de l’amont à l’aval de la production – en abordant les enjeux à l’aune des critères environnementaux mais aussi économiques, sociaux et culturels.

Surtout, il montre qu’avant de mettre en place des mécanismes de séquestration de carbone, nous devons engager l’agriculture des pays riches dans une transition agricole et alimentaire. Les systèmes alimentaires industrialisés et gourmands en intrants chimiques produisent trop de gaz à effet de serre. Les systèmes alternatifs existent mais se développent trop lentement, faute de soutien politique adéquat.

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La séquestration de carbone dans les sols : une solution limitée

Par le phénomène de la photosynthèse, les végétaux ont la capacité d’absorber du CO2. Lorsque les plantes meurent, les matières en décomposition s’intègrent au sol sous forme d’humus. Une partie du carbone qu’elles ont absorbé au cours de leur existence vient ainsi se fixer dans le sol, créant ce que l’on appelle des « puits de carbone ».

Les forêts, les tourbières et les prairies sont des puits de carbone anciens et bien connus, ce qui fait de leur préservation un enjeu majeur dans la lutte contre les dérèglements climatiques.

Ce que l’on sait moins, c’est que les terres cultivées peuvent également constituer des puits de carbone. Pour certains défenseurs de la séquestration du carbone dans les sols, il suffirait ainsi d’adopter quelques pratiques agricoles pour limiter l’échappement du CO2 dans l’atmosphère, sans forcément transformer en profondeur le modèle agro-industriel.

Toutefois, la réalité est plus nuancée.

Pour commencer, il est difficile de mesurer l’efficacité réelle de la séquestration du carbone dans les sols cultivés. Il est par exemple extrêmement difficile d’en assurer sa permanence. Le processus n’est ni éternel, ni irréversible.

Par ailleurs, il n’existe pas de méthode standardisée pour calculer la teneur en carbone des sols. Difficile dans ces conditions de mesurer l’impact réel de la séquestration. Surtout, les scientifiques s’accordent pour dire que, quelle que soit la méthode de calcul utilisée, cette technique ne sera jamais aussi efficace qu’une réduction effective des émissions de gaz à effet de serre.

Un rapport de 2002 évaluant la situation en France établit ainsi que le carbone séquestré ne pourra jamais représenter plus de 1 ou 2 % du total des émissions françaises. Une goutte d’eau dans l’océan.

En vérité, la problématique de la séquestration du carbone dans les terres agricoles ne serait-elle pas un moyen d’éviter le cœur du sujet ?

Car si l’agriculture est bien l’une des activités humaines qui génère le plus d’émissions de gaz à effet de serre, le dioxyde de carbone est très loin d’être le seul responsable des émissions dues à l’agriculture.

En 2005, l’agriculture générait, en effet,

  • 50 % des émissions mondiales de méthane
  • 60 % des émissions de protoxyde d’azote.
    Deux gaz dont le potentiel de réchauffement de l’atmosphère est respectivement 25 et 298 fois supérieur à celui du CO2 sur le long terme.

En cause notamment, l’élevage intensif, responsable de l’écrasante majorité des émissions mondiales de méthane, ainsi que les intrants chimiques (engrais de synthèse), responsables pour leur part des émissions de protoxyde d’azote.

  • Le dioxyde de carbone, quant à lui, ne compte que pour moins de 1 % des émissions directes du secteur agricole (au sens des terres cultivées).
    L’atténuation des émissions liées à la gestion des terres cultivées doit donc viser principalement la réduction permanente du méthane et du protoxyde d’azote.

Une question pourtant régulièrement écartée par les décideurs politiques et que l’approche « séquestration du carbone » ne permet pas de traiter.

Par ailleurs, se focaliser sur les seules émissions induites par nos terres cultivées, revient à omettre de considérer le rôle de notre système alimentaire dans son ensemble : c’est-à-dire les activités agricoles à la fois en amont et en aval de la production et dont les caractéristiques sont majoritairement celles de nos modèles agro-industriels.

S’il est difficile d’évaluer la contribution de l’agriculture dans son ensemble – du champ à l’assiette – les estimations convergent pour attribuer plus d’un tiers des émissions mondiales au système agro-alimentaire.

C’est dans cette perspective que la question du dioxyde de carbone se pose (énergie utilisée pour produire les intrants chimiques, sur les exploitations, dans les processus de transformation et lors du transport, notamment).
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La séquestration de carbone dans les sols : une solution aux conséquences potentiellement néfastes

Historiquement, la Convention Climat [[Convention Cadre des Nations unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC)]] s’est avant tout intéressée au dioxyde de carbone dans la lutte contre les changements climatiques, car il constituait le gaz émis en plus grande quantité par les pays industrialisés.

Peu à peu, à l’instar des forêts, les sols agricoles ont été perçus comme pouvant jouer un rôle pour compenser les émissions industrielles.
Et comme pour les forêts, il existe un risque non négligeable d’une ouverture aux marchés carbone, fondée sur une logique marchande inadaptée.

Dès lors, on se retrouve confronté au même danger d’une approche financiarisée de la nature, au détriment des paysans et des besoins des populations.

Au sein de la Convention Climat, les Etats peinent à traiter des problèmes liés à l’agriculture et optent pour la politique des petits pas.

Ils laissent ainsi le champ libre à de nombreuses initiatives parallèles à la gouvernance onusienne qui fleurissent ces dernières années.

C’est le cas de l’Alliance pour une agriculture intelligente face au climat (GACSA) ou encore de l’Initiative pour l’adaptation de l’agriculture africaine (AAA).

Ces initiatives ne manquent pas de mettre en avant le potentiel de séquestration du carbone dans les sols. Elles allient Etats, institutions financières, centres de recherche et certaines ONG mais aussi et surtout les géants de l’agro-alimentaire.

Et en particulier le secteur industriel des semences et des intrants de synthèse : Monsanto, Bayer, Syngenta…

Vers la financiarisation du carbone dans les sols

A l’abri de tout encadrement, des projets issus de partenariats public/privé voient ainsi le jour aujourd’hui avec, au menu : la financiarisation du carbone dans les sols dans l’espoir d’échanger les crédits générés sur les marchés carbone et la promotion des acteurs économiques dominants de l’industrie agricole, principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre du secteur.

La séquestration du carbone devient pour les géants de l’agroalimentaire un prétexte pour faire perdurer leurs pratiques.

Un simple verdissement du système agro-alimentaire industriel ne fera que transformer les terres en objet de spéculation et entraînera des risques d’accaparement supplémentaires.

L’approche holistique : repenser les systèmes agro-alimentaires dans leur ensemble

La séquestration du carbone n’est pas la solution miracle pour répondre au problème des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture.

Il s’agirait plutôt d’avoir le courage politique de transformer en profondeur l’ensemble de nos systèmes agro-alimentaires.

Le secteur agricole doit en effet relever trois défis majeurs :

– S’adapter aux dérèglements climatiques

– Atténuer sa contribution aux émissions de gaz à effet de serre (CO2, mais surtout méthane et protoxyde d’azote)
– Préserver, voire accroître les stocks de carbone contenus dans les sols

Ces trois enjeux ne peuvent pas être traités séparément. Or, les Etats n’ont que trop longtemps privilégié une approche en silo.


Financiariser les terres pour séquestrer le carbone au détriment des communautés paysannes est un non-sens.

Il est au contraire urgent d’investir dans les petites exploitations et les agricultures familiales, qui représentent près de 90 % du secteur agricole mondial et 80 % de la production totale de nourriture.

Ces mêmes populations productrices de nourriture sont les plus menacées par l’insécurité alimentaire et les dérèglements climatiques.
Elles sont pourtant beaucoup moins responsables des émissions de gaz à effet de serre tout en étant les plus à même d’identifier des solutions.

Il essentiel d’inverser le paradigme et de replacer l’humain et les ressources vivantes au cœur de l’action climatique.

La crise climatique impose de faire des choix radicaux pour limiter le réchauffement de la planète à une augmentation de 1,5°C.

Si les Etats refusent de prendre les mesures politiques qui s’imposent, le recours à la séquestration de carbone dans les sols agricoles continuera à servir d’alibi, conduisant à des pressions sans commune mesure sur les terres.


Consulter notre Rapport “Nos terres valent plus que du carbone” :

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Lire aussi l’appel signé par 50 organisations internationales : Nos terres valent plus que du carbone

Documents joints

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