Lilia Ravonarisoa : émanciper les femmes rurales de Madagascar

Publié le 05.03.2023

Lilia Hantanirina Ravonarisoa, 63 ans, est à la tête de l’association de solidarité malgache Farm qui lutte pour la souveraineté alimentaire et l’adaptation au changement climatique. Rencontre avec une femme de coeur et de terrain qui a toujours voulu améliorer la condition des femmes agricultrices malgaches.

Malgré l’écran derrière lequel apparaît Lilia Hantanirina Ravonarisoa, l’énergie qu’elle dégage est contagieuse. Apprêtée d’une robe à fleurs colorées à manches courtes, la Malgache va droit au but pour se présenter : « Je suis une femme militante depuis 39 ans ! » Voire plus, à l’entendre dérouler son parcours qui commence dans son village de Morafeno-Nord, commune rurale de Betsohana, à l’est de Madagascar. Lilia, qui dès son plus jeune âge, a vu sa mère pieds et mains dans la terre, ne se destinait pas à l’agriculture.

Mais le destin la rattrape : faute de moyens financiers, elle est obligée d’arrêter ses études de physique et de gestion : « Je me suis mariée, j’ai lancé ma petite exploitation agricole avec mon mari, à trente kilomètres de mon village. J’ai tout de suite été confrontée aux problématiques des petits producteurs malgaches qui peuplent majoritairement le pays : de faibles productions, un enclavement géographique, des conditions climatiques difficiles… »

Cette mère de quatre enfants, qui vit ces difficultés dans sa chair, décide de porter son attention sur les conditions des femmes en milieu rural. « Cela a été un appel pour moi. J’ai vu à quel point elles subissent un travail physique difficile comme agricultrices. Elles portent la charge du foyer et l’inquiétude de l’insécurité alimentaire en tant que mères, et enfin elles ont beaucoup de responsabilités en tant que citoyennes au sein de la communauté villageoise », détaille-t-elle. Ce constat la pousse à créer, en 2001, la première organisation communautaire de femmes agricultrices du pays, la Fédération nationale des femmes malgaches (FVTM). Elle est convaincue qu’il faut regrouper les femmes entre elles pour faire avancer les pratiques agricoles et culturelles.

Mobiliser et autonomiser les femmes agricultrices

Reprenant sa respiration, entre deux sourires, Lilia souhaite insister sur un point, « essentiel », si l’on veut comprendre les enjeux de son action : « Dans la culture malgache, les femmes sont responsables de tout : elles se débrouillent, nourrissent les enfants, les soignent et les éduquent… Mais il leur est interdit de participer à une réunion de la communauté. Les hommes sont chargés des décisions qui concernent le village, même s’il s’agit de la santé ou de l’éducation des enfants. »

Nous devons repenser la distribution foncière qui exclut les femmes et les petits producteurs, et développer nos semences endémiques uniques au lieu d’importer des graines de Chine et de promouvoir l’agrobusiness.

Le poids du patriarcat

Lilia se retrouve sous le feu des regards et des critiques pour son activisme : elle mobilise les femmes pour qu’elles s’approprient de nouvelles pratiques agricoles, les informe des changements du climat, ou encore promeut l’agriculture biologique : « À Madagascar, on qualifie une femme de “porte blanche” lorsqu’elle ne reste pas à chauffer le foyer. » Elle sourit à l’évocation de ce moment où elle et son mari décident d’intervertir les rôles : « C’est rare un mari à la maison. Dans notre culture, un homme qui fait la lessive et qui s’occupe des enfants est considéré comme un homme faible. » Mais le sien l’accepte.

Lilia ne lâche rien, et les petites victoires s’enchaînent au fil des années ; « Petit à petit, les femmes autour de moi ont commencé à me demander de leur apporter des semences traditionnelles et à s’intéresser concrètement à la culture biologique… »

Entre deux formations sur la gouvernance, le leadership, les pratiques agroécologiques et des allers-retours à la capitale Tananarive, Lilia est embauchée en 2018 au Centre de recherches et d’appui pour les alternatives de développement de l’océan Indien (CRAAD-OI, partenaire du CCFD-Terre Solidaire). Face aux impacts criants du réchauffement des températures et du manque de pluie réduisant les cultures et la nourriture quotidienne, Lilia décide la même année de créer l’organisation Farm (Femmes en action rurale à Madagascar, autre association partenaire). « Notre travail consiste en particulier à sensibiliser à l’usage du bio charbon ou charbon vert1 pour stopper la coupe des arbres, et à l’agroécologie en fabriquant du bio compost notamment pour fertiliser les sols et stopper l’usage d’intrants chimiques », explique l’agricultrice malgache. Et l’enjeu continue d’être de taille : en 2022, le Programme alimentaire mondial a averti que l’île risquait de connaître « la première famine mondiale due au changement climatique ».

Une âme de guide

« C’est une vraie meneuse », renchérit Charlotte Kreder, chargée de mission au CCFD-Terre Solidaire. « D’apparence calme, réservée et consensuelle, elle est néanmoins déterminée, sans concessions sur des questions de réforme agraire, engagée pour la cause des femmes et elle n’a pas la langue dans sa poche, même dans les réunions politiques ! » témoigne-t-elle. Depuis 1992, Lilia participe en effet aux interpellations de plaidoyer auprès du gouvernement malgache pour obtenir une réforme agraire réglementée.

« Nous devons repenser la distribution foncière qui exclut les femmes et les petits producteurs, et développer nos semences endémiques uniques – riz, les grains secs comme les haricots, le niébé, l’arachide… – que nous pourrions exporter, au lieu d’importer des graines de Chine et de promouvoir l’agrobusiness », dénonce Lilia. En 2018, la militante a obtenu du gouvernement et des Nations unies que le pays puisse célébrer la Journée internationale des femmes rurales, le 15 octobre.

Des rires d’enfants ponctuent la conversation : « Chaque jour après l’école, mes petits-enfants viennent faire un bisou à leur mamie ! » se réjouit la soixantenaire. Où puise-t-elle cette résilience et cette force de leadership ? « Je suis l’aînée d’une fratrie de dix enfants. J’ai décidé d’aider mes parents à m’occuper de toute la famille. Toutes ces situations m’ont forgée à la lutte pour un avenir meilleur », exprime-t-elle sans regret. Avec l’humilité et la générosité qui semblent la caractériser, elle est fière que ses jeunes frères et sœur puissent, eux, faire des études, tout comme ses quatre enfants et, bientôt, ses petits-enfants.

Au moment de raccrocher, elle fait signe d’un oubli : en 2022, le Premier ministre malgache l’honore chevalier de l’ordre du Mérite agricole, qu’elle a reçu deux ans plus tôt. Une reconnaissance qu’elle a tout de même acceptée…

Clémentine Méténier

1. Le charbon vert, ou charbon végétal, est fabriqué avec des déchets végétaux ou des résidus agricoles.

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