Regards croisés de femmes engagées

Publié le 01.09.2023

À l’occasion de la campagne de carême, Juana Mercedes, agricultrice et déléguée générale de la Conamuca (Confédération nationale des femmes paysannes de République dominicaine, partenaire du CCFD-Terre Solidaire), est invitée par les bénévoles d’Auvergne-Rhône-Alpes à rencontrer des femmes elles aussi engagées, pour un partage unique d’expérience.

Magnet, commune rurale d’un peu plus de 1 000 habitants dans l’Allier, en Auvergne-Rhône-Alpes. En ce 21 mars 2023, Juana Mercedes, 66 ans, agricultrice de République dominicaine, marche le long de l’étable à la rencontre des vaches charolaises de la ferme de Jean-Luc et Marie-Pierre Desnoyer, bénévoles du CCFD-Terre Solidaire. « Ce sont les meilleures vaches du monde ! » lance l’éleveur en descendant de son tracteur pour saluer la partenaire de la Conamuca. Ce matin, les bénévoles du département ont organisé un premier échange avec les représentantes d’un groupement féminin de développement agricole (GFDA), de la Montagne bourbonnaise, allié du CCFD-Terre Solidaire.

« En France, jusque dans les années 1990, les femmes d’agriculteurs étaient considérées comme “ sans profession ”, et elles n’avaient pas de droits, notamment en matière de protection sociale», rappelle Isabelle Gagnol, agricultrice. « Le GFDA a été créé en 1968 par et pour des agricultrices. Au départ, c’était pour améliorer l’hygiène dans les maisons, comme l’installation de toilettes, puis pour les aider à s’équiper en technologies », raconte Isabelle également présidente de ce GFDA. Le groupement a ensuite proposé des réunions d’information et de sensibilisation, et des formations agricoles, administratives, en informatique ou encore de développement personnel pour apprendre à s’exprimer en public. La présidente explique également le besoin de se fédérer avec d’autres GFDA de l’Allier pour unir leurs forces. Mais aussi pour pallier le manque de soutien aux agricultrices : « La chambre d’agriculture fait plus pour les hommes », argue-t-elle.

La nécessité de se rassembler, Juana Mercedes en est, elle aussi, convaincue. L’une des raisons d’être de son organisation, qu’elle a cofondée en 1986, est d’aider les paysannes à défendre leurs droits et renforcer leur place au sein de la société (voir encadré) : « Nous les accompagnons à prendre la parole et à partager leurs connaissances en tant qu’agricultrices. Nous travaillons aussi à faire évoluer les mentalités en matière d’égalité femmes-hommes », explique la militante dominicaine. Les 15 fédérations et associations partenaires de la Conamuca à travers le pays soutiennent aujourd’hui plus de 10 000 femmes : « Quand on s’unit, on est plus fortes », abonde-t-elle.

À la ferme des Desnoyer, bénévoles au CCFD-Terre Solidaire, Juana Mercedes échange avec des femmes du Groupement féminin de développement agricole de la Montagne bourbonnaise.

Des femmes indépendantes et innovantes

Après Magnet, direction Arronnes. De jeunes vaches blanches à taches noires – robe pie typique des prim’Holstein – profitent de l’herbe fraîche. Sur l’un des bâtiments de la ferme, une enseigne indique « Lait délices de Lucie » pour Lucie Roux, cheffe de cette entreprise de vente de produits laitiers.

« Je transforme à la main les 40 000 litres de lait que donnent chaque année les vaches de l’exploitation de mon mari, en yaourts, crèmes, riz au lait et fromages, et je les vends dans la boutique à côté », explique-t-elle. Installée depuis 2019, cette mère de quatre enfants va droit au but : « J’ai mon propre statut d’artisan, j’emploie un salarié et j’organise mon activité et mon temps de travail comme je le souhaite, sans mon mari. » Il n’en faut pas plus pour faire sourire Juana Mercedes : « Je suis aussi mère de quatre enfants, grand-mère de dix petits-enfants et j’ai quatre arrière-petits-enfants. Je gère ma plantation de cacao en République dominicaine. Et mon mari, la sienne. » Avant d’ajouter : « Lucie est une femme indépendante, elle a réussi à faire ce qu’elle voulait. Je suis sûre que les femmes parviendront à occuper la place qu’elles méritent dans la société. »

Un local d’un nouveau genre trône au milieu du village : le Mijon de terroir, Drive de la Montagne bourbonnaise. « Un mijon signifie “ un peu”en patois local », traduit Dominique Desnoyer, bénévole et référent de la délégation du CCFD-Terre Solidaire dans l’Allier. Trois jeunes femmes attendent Juana Mercedes pour lui raconter la genèse du projet : « Notre association est née fin 2020 en plein confinement. L’idée était à la fois de rompre l’isolement, de faciliter l’acheminement des courses des habitants de Morand (lieu-dit d’Arronnes) et de soutenir les producteurs locaux », explique la présidente Noémie Riquier. « On a commencé avec cinq fournisseurs de pain, fromages, yaourts, primeurs, légumes secs – et la distribution se faisait à l’abribus un peu plus haut », poursuit sa collègue Carole Roche.

À Arronnes,le Covid-19 l’association “Un mijon de terroir”, créée durant pour rompre l’isolement, facilite l’acheminement des courses et soutient les producteurs locaux.

Quelques mois plus tard, l’association lance dans ce local municipal un service de drive hebdomadaire gratuit, et désormais ouvert à tous les habitants de la Montagne bourbonnaise. « Nous avons une vingtaine de commandes par semaine et nous travaillons aujourd’hui avec 25 producteurs », indique Sandra Cognet, membre de l’association. « Nous aussi, nous avons fait face à beaucoup de restrictions pendant le Covid, rebondit Juana Mercedes. Cette idée de drive est vraiment inspirante », confie-t-elle en félicitant les membres de l’association.

Les jeunes, moteurs de développement du pays

22 mars 2023, changement de paysage. Après la montagne, les champs de cultures céréalières – principalement du blé et du colza – bordent la route menant à Escurolles, 750 habitants. Ce matin, rendez- vous à la Maison familiale rurale (MFR), une association créée dans les années 1930 par un syndicat d’agriculteurs d’un petit village de Lot-et-Garonne, constatant que l’enseignement traditionnel n’était pas adapté aux besoins de leurs enfants, ni de leur métier.

Depuis, le mouvement des MFR a pris de l’ampleur – près de 500 établissements en France forment à des métiers dans 18 secteurs professionnels et 700 maisons dans une quarantaine de pays dans le monde. « À Escurolles, le bac pro services aux personnes et animation dans les territoires et le BTS économie sociale et familiale sont nos formations principales, explique la directrice Marie-Agnès Vigier. L’établissement accueille des élèves à partir de 14 ans, dont 90-95 % de filles selon les années », précise-t-elle. Ces formations permettent d’exercer dans les secteurs du social, de la santé, de l’animation, la restauration, l’environnement pour accompagner tous les publics : de la petite enfance aux adolescents, les adultes, les personnes en situation de handicap et les personnes âgées.

Dans le réfectoire à côté, une dizaine d’élèves en bac pro et en BTS installent les chaises en attendant la militante dominicaine. « Je m’appelle Juana Mercedes, je viens de la province de Monte Plata. Je cultive principalement du cacao, un peu de bananes et des ignames, raconte-t-elle après avoir présenté son organisation. J’ai commencé mon activité militante à 16 ans. Je ne suis jamais allée à l’université, mes connaissances, je les ai acquises au cours de ma vie et grâce à mes nombreuses lectures. »

Une élève l’interroge : « Mes parents sont agriculteurs, ils élèvent des chèvres pour fabriquer du fromage. Ils travaillent avec des machines. Est-ce aussi le cas en République dominicaine ? » Juana Mercedes explique alors que les petits agriculteurs dans son pays travaillent à la main,leurs exploitations leur servent à la fois de moyen de subsistance et de source de revenus. « Il existe par ailleurs un vrai problème d’accès à la terre, notamment pour les femmes, à cause de grands groupes industriels et d’une réglementation approximative qui ne protège pas assez contre l’accaparement des terres, souligne Dominique Desnoyer. On connaît aussi ces problèmes chez nous. Rien n’est simple, mais la situation est encore plus difficile là-bas. »

Après un rapide tour de table des structures dans lesquelles les élèves effectuent leur stage, Juana Mercedes réagit : « Vous voir travailler ainsi pour préparer votre avenir me donne plein d’espoir. Le système en alternance n’existe pas en République dominicaine. J’aimerais y ouvrir une maison comme celle-ci pour permettre aux jeunes là-bas de se former autrement. Vous, les jeunes, vous êtes le moteur de développement du pays ! »

L’espoir au son d’une cornemuse

« Qu’est-ce que l’engagement au féminin ? », interroge Juliette Moyer, la journaliste animatrice de la table ronde Femmes engagées organisée par les bénévoles du CCFD-Terre Solidaire à la maison de mutualité à Vichy, en s’adressant d’abord à la déléguée générale de la Conamuca : « C’est lutter pour les droits sociaux, économiques, politiques et culturelles des femmes partout dans le monde, quelle que soit leur classe sociale. »

Une opinion partagée par les intervenantes de la table ronde, dont Isabelle Réchard, ex-présidente du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles de l’Allier, qui ajoute : « Il faut aussi penser l’éducation au prisme de l’égalité. Tout part de là. » À ses côtés, Véronique Pouzadoux, maire de Gannat, acquiesce : « Ma mère nous a toujours dit avec mes sœurs qu’il fallait être indépendantes. Elle nous a transmis ce capital éducatif très positif. »

Soutenir et transmettre ces valeurs, c’est aussi fondamental pour la militante dominicaine : « À la Conamuca, nous encourageons les femmes à participer davantage à la vie publique et les formons à devenir des leaders paysannes, pour influer sur les décisions politiques afin de défendre leurs droits, en particulier pour soutenir une agriculture familiale respectueuse de l’environnement, mais aussi pour l’accès à la santé. »

Égalité femmes-hommes dans le monde agricole et politique, rôle des femmes dans la société sont autant de sujets qu’aborderont les intervenantes. Au terme de la soirée, Juana Mercedes soulignera l’importance de ce séjour qui lui a permis de dialoguer avec toutes ces femmes engagées. « Des rencontres, des pratiques, des idées pleines d’espoir que je suis pressée de partager à mon retour », conclura-t-elle avant qu’Isabelle Gagnol du Groupement féminin de développement agricole de la Montagne bourbonnaise ne commence à jouer… de la cornemuse. Une tradition que les bénévoles du CCFD-Terre Solidaire de l’Allier tenaient à faire résonner jusqu’en République dominicaine !

Marion Chastain

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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