© Jean-Michel Delage

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En Roumanie, Roma Just défend les droits des Roms

Publié le 22.06.2022| Mis à jour le 08.03.2023

De l’accompagnement des Roms fuyant la guerre en Ukraine au combat pour leur meilleure intégration en Roumanie, l’association Roma Just, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, a fait de la lutte contre les discriminations son combat quotidien. Une mission qui doit beaucoup au parcours de son président, Eugen Ghita.

En ce 21 avril, le calme règne à Sighetu Marmatiei, le troisième poste-frontière entre l’Ukraine et la Roumanie. Seules quelques personnes, le plus souvent à vélo, traversent le pont qui relie les deux pays pour travailler ou se ravitailler. Un va-et-vient observé par Radu Sodontoi, avocat. Sa mission ? Veiller à ce que les droits de tous les réfugiés soient respectés, et en particulier ceux des Roms fuyant la guerre. « Lorsque celle-ci a commencé, la situation était assez confuse et il y avait un réel besoin d’accompagnement, explique-t-il. Des Roms installés depuis bien longtemps en Ukraine ont, par exemple, été obligés de faire deux fois la queue à la frontière, car bien souvent ils ne possédaient pas de papiers d’identité. Dans un premier temps, certains étaient écartés avant de se voir proposer un hébergement d’urgence. » L’obtention d’un gîte reposant sur le bon vouloir des particuliers venus offrir aux nouveaux arrivés un lit pour la nuit, les Roms n’étaient pas toujours les premiers bénéficiaires.

Depuis début avril, avec le tarissement du flux de réfugiés, les cas problématiques sont en forte diminution. Ce qui n’empêche pas Radu d’être attentif. « À présent, ce sont les Ukrainiens qui vérifient l’identité de tous ceux qui souhaitent partir. Certains, qui n’entrent pas dans les bonnes cases, tentent de franchir la frontière illégalement, et hier un homme et son enfant se sont noyés dans le fleuve. »

Sur place ou à son bureau, toujours prêt à sauter dans sa voiture au moindre signalement, l’avocat fait partie des experts bénévoles mobilisés par Roma Just depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, pour faire respecter les droits de tous les réfugiés. Impliquer l’association Roma Just, créée il y a six ans pour lutter contre les discriminations subies par ces populations, était une évidence pour son fondateur et président, Eugen Ghita. « Jusqu’à présent, nous ne nous étions jamais occupés des réfugiés. Mais nous avons été contactés par une association moldave qui nous a alertés sur des problèmes entre nos deux frontières et nous a demandé notre aide. Nous nous sommes immédiatement mobilisés en renforçant le réseau d’avocats bénévoles qui travaillent à nos côtés. Nous avons aussi structuré nos antennes, situées près des postes-frontières, pour porter assistance aux Roms, mais également à tous ceux qui pourraient être victimes de discriminations », met-il en avant.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Roma Just a été sollicitée par une association moldave. Car l’ONG roumaine a su au cours des ans cultiver son image de redresseur de torts. La liste des combats engagés depuis sa création n’a cessé de s’allonger en raison des premiers résultats engrangés grâce à son opiniâtreté.

Autre dossier prioritaire : Faire sauter le plafond de verre auquel se heurtent les étudiants roms.

Dernier exemple en date : depuis plusieurs années, elle soutient 80 Roms expulsés de maisons abandonnées qu’ils occupaient sans droits ni titre à Eforie, une petite ville à une quinzaine de kilomètres de Constanța. « Ces maisons ont été rasées sans aucune justification, et les familles ont été transférées dans des conteneurs situés sur un terrain insalubre, loin du centre-ville. C’est un lieu difficile d’accès, et cela empêche les adultes de travailler et les enfants d’aller à l’école », mentionne Eugen Ghita. S’appuyant sur le droit roumain qui oblige les collectivités à reloger les personnes installées depuis dix ans dans des lieux qui ne font pas l’objet de litiges avec des propriétaires, l’avocat a gagné une première manche : l’enquête préliminaire n’a pas conduit à un non-lieu, et les poursuites engagées par la collectivité, mettant en demeure les familles de régler les factures d’électricité non acquittées, sont suspendues jusqu’au jugement. « Ce procès va être suivi de près, car la possibilité d’obtenir un logement viable est une des conditions de l’intégration des Roms », ajoute-t-il.

Résorber la fracture scolaire.

C’est d’ailleurs dans cette perspective que le président de Roma Just a pris la tête d’un autre combat qui lui tient tout autant à cœur : la résorption de la facture scolaire entre les jeunes Roumains et les enfants roms. Première pierre à l’édifice : la création d’écoles de la deuxième chance destinées à aider les élèves décrocheurs à raccrocher les wagons, grâce à des cours de rattrapage les vendredis et samedis, ou pendant les vacances. Autre dossier prioritaire pour l’association : faire sauter le plafond de verre auquel se heurtent les jeunes diplômés roms de l’enseignement supérieur. « Le gouvernement roumain réserve des places sur les bancs de la fac aux minorités, mais elles sont limitées. Surtout, cela ne permet pas de combler les lacunes ni de lutter contre les stéréotypes et les préjugés, affirme Eugen Ghita. C’est notamment ce qui se passe pour devenir avocat : le taux de réussite des étudiants roms au barreau n’est que de 6 %, contre 35 % pour le reste de la population. » Pour renverser la tendance, une préparation en ligne d’une durée de deux ans vient d’être mise en place et pourrait être étendue prochainement aux étudiants qui souhaitent devenir magistrats. De quoi soutenir une justice plus ouverte aux minorités, espère le responsable.

EUGEN GHITA, UN PARCOURS ATYPIQUE
Discriminé ? Enfant et adolescent Eugen Ghita ne se sentait pas vraiment visé. Ayant passé toute sa jeunesse en Roumanie, il découvrira cette réalité en Grèce quand, son bac en poche, il part travailler dans le secteur de la restauration. « En tant que Rom, j’ai vécu là-bas ce que je n’avais jamais connu dans mon pays, raconte-t-il. Sans doute ma couleur de peau, plutôt claire, m’avait-elle épargné des brimades. » Révulsé par cette situation, après avoir travaillé quelques années dans une association d’aide aux Roms, il décide, il y a dix ans, à l’âge de quarante ans de devenir avocat, afin de lutter contre tous les abus en matière de droits humains. Ayant réussi le barreau à 44 ans, il fonde, il y a six ans, Roma Just, une association qui aide les étudiants roms à accéder aux professions juridiques et défend les droits des populations roms discriminées. Il se met dès lors en retrait du barreau pendant dix ans afin de consacrer son temps à son ONG.
Alors qu’il lui reste encore quatre ans pour préparer sa succession, le bouillant président ne semble pas vraiment prêt à lâcher la barre. Même si venant de terminer son doctorat, il entend bien faire, à nouveau porter sa voix dans les prétoires… L.E.

Laurence Estival

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